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Le témoignage d’E., policier victime d’injures homophobes sur son lieu de travail

date de redaction mercredi 29 septembre 2004     auteur Jean-Benoît RICHARD


Voici le témoignage d’E., policier à Paris, victime sur son lieu de travail d’actes homophobes commis par l’un de ses collègues (compte-rendu).

Il ressort clairement de ce témoignage que le ministère de l’Intérieur fait tout pour enterrer l’affaire.


Madame, Monsieur,

Je suis un policier exerçant à Paris et il me paraît important de porter à votre connaissance certaines informations concernant des faits dont j’ai été victime afin qu’ils puissent être justement condamnés.

Le 1er décembre 2002, j’ai intégré une Compagnie d’Intervention de la Direction de l’Ordre Publique et de la Circulation de la Préfecture de Police de Paris. Bien que j’assume parfaitement mon homosexualité, je suis d’un naturel discret et ne parle pas de ma vie privée très aisément aux gens qui m’entourent.

Au début de l’année 2003, quelques mois après mon affectation, plusieurs collègues m’ont fait savoir qu’une rumeur concernant ma prétendue homosexualité circulait au sein du service. J’ai laissé dire jusqu’à ce que cette rumeur me prête des relations intimes avec l’un de mes supérieurs hiérarchiques. J’ai alors souhaité me défendre de ces propos calomnieux.

Après en avoir informé ma hiérarchie et lui en avoir demandé l’autorisation, j’ai pris la parole devant l’ensemble de mes collègues et, avec l’aide du Commandant qui dirige la Compagnie, nous avons fait un rappel à la loi concernant les propos diffamatoires et les sanctions pénales et disciplinaires s’y rapportant.

J’aurais souhaité ne pas avoir à exposer ainsi ma vie privée. Je suis sorti des rangs et me suis exprimé devant près de cent collègues ce jour là afin de mettre un terme à ces propos calomnieux, ce qui fut une démarche difficile pour moi. Je la savais nécessaire pour retrouver une certaine quiétude. La disparition des rumeurs mensongères à mon encontre m’a fait espérer un temps être parvenu à cet objectif.

Alors que je me trouvais en congés annuels, j’ai participé avec l’association Flag ! le 28 juin 2003 à la Marche des Fiertés L.G.B.T. de Paris (gay pride). A cette occasion, lors de notre arrivée place de la République à la fin de la marche, le service d’ordre était assuré par trois sections du service dont je faisais partie, ce que j’ignorais me trouvant en congé de longue date.

Ce jour là, par respect pour mes supérieurs hiérarchiques et l’ensemble de mes collègues que je n’avais pas vu depuis deux semaines, je les ai salués en leur faisant part de mon soutien pour le travail qu’ils effectuaient. Mon attitude et ma tenue étaient très sobre, une poignée de main, quelques mots d’encouragements, vêtu d’un polo bleu foncé et d’un bermuda de couleur beige. Faut-il préciser que je ne portais ni maquillage, ni plume et ni paillette ni aucun accessoire particulier....

A mon retour de congés, le mardi 1er juillet, j’ai regagné les locaux du service après avoir effectué ma vacation. Lorsque je me suis dirigé vers mon vestiaire afin de me changer pour regagner mon domicile, autour de l’étiquette de mon nom apposée sur un de mes deux casiers, j’ai constaté la présence des écrits suivants : « SALE PD, DEPRAVE, HOMO DE MERDE, VA BOUFFER DU SPERME AILLEURS, ENCULE ».

Le lendemain, après avoir déposé une plainte contre X pour outrage à agent dépositaire de l’autorité publique auprès de l’Inspection Générale de Services, j’ai voulu remplacer l’étiquette nominative de mon casier et je me suis aperçu que d’autres insultes étaient écrites sur l’un des autocollants de mon second casier : « TU N’ES QU’UNE PAUVRE PEDALE DEGUEULASSE ET REPUGNANTE, BIENTOT L’INCONTINENCE FECALE POUR TOI SALE HOMO, VA VOTER DELANOË PAUVRE PETITE FIOTTE ».

Je n’ai pu et ne peux toujours pas comprendre cette haine à laquelle je ne trouve ni raison, ni excuses. J’ai été outragé et blessé dans mon intégrité morale et professionnelle. Après que l’on ait porté atteinte à ma vie privée, on s’en est pris à mon honneur et à ma dignité.

Il est important de préciser que suite à mes démarches ma hiérarchie n’a eu de cesse de m’expliquer qu’il eut été plus judicieux de ne pas porter plainte auprès de l’I.G.S. avant de lui rendre compte et qu’il eut été préférable de trouver une solution interne au service à cette affaire.
En outre, il m’a été dit par ces mêmes supérieurs que le fait de venir saluer mes collègues lors de la Gay Pride hors de mon service était une marque de provocation, laissant sous-entendre ainsi une justification aux injures proférées à mon encontre. J’ai plutôt pensé qu’il aurait été provoquant de passer devant eux en les ignorant sans leur dire bonjour.

Les policiers de l’Inspection Générale des Services qui ont fait les constatations d’usage et reçu ma plainte, ne m’ont donné aucune nouvelle de l’enquête et aucune investigation n’a eu lieu pendant un mois, jusqu’à ce qu’un courrier de Monsieur Jean-Luc Roméro interpelle Monsieur Sarkozy alors Ministre de l’Intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales sur les faits et que ce dernier donne pour instruction au Préfet de Police de Paris d’apporter une « attention particulière à l’enquête ».

Suite à cette intervention, des auditions de fonctionnaires de Police et des études graphologiques ont été effectuées permettant ainsi de confondre l’un de mes collègues policiers qui, après avoir tenté en vain de camoufler son écriture, a avoué son forfait. Les syndicats de Police ont été soudains très soucieux de ne pas prendre parti à l’encontre d’un autre collègue. Heureusement plusieurs collègues m’ont apporté spontanément leur soutien. Je me trouvais bien isolé.

Durant cette période, ma hiérarchie m’a proposé de changer de service et m’a fait lire une note de la direction me proposant d’intégrer « le service de mon choix ». Constatant la dégradation de l’ambiance au sein du service, j’ai émis le souhait d’intégrer la Brigade des Réseaux Ferrés.

Il m’a alors été répondu que cela n’était pas possible et que je devais comprendre par l’expression « le service de mon choix », celui d’intégrer un service figurant sur une liste bien précise de services que l’on peut facilement qualifier de dévalorisants ou de « placards ». J’ai alors refusé les services proposés et décidé de continuer à travailler dans ce service malgré la mauvaise ambiance et la présence de l’auteur des faits.

Le 20 octobre 2003, j’ai constaté que mes deux casiers de vestiaire avaient été détériorés à coups de pieds. Le 1er novembre 2003, j’intégrais la Brigade des Réseaux Ferrés.

Au début de cette année 2004, l’I.G.S. m’a notifié par écrit que l’infraction d’outrage envers une personne dépositaire de l’autorité publique n’était pas retenue par le Procureur de la République qui ne retenait que l’infraction d’injure à caractère non publique. Ce dernier ne justifiant d’aucune façon et avec aucun texte de loi cette prise de décision.

De plus, le Parquet, une fois la requalification de l’infraction effectuée, m’informait que le délai de prescription des poursuites n’étant que de 3 mois pour les injures à caractère non publique et que le dossier leur étant parvenu à 3 mois et 2 jours suite à « l’égarement » du dossier, l’affaire se trouvait donc de ce fait automatiquement CLASSEE SANS SUITE.

L’association FLAG ! m’a mis en relation avec un avocat spécialiste des questions d’homophobie qui est désormais mon conseil dans cette affaire. Me trouvant parfaitement insatisfait des décisions de Monsieur le Procureur de la République, j’ai intenté une action judiciaire en citation directe de l’auteur présumé pour « Outrage à agent dépositaire de l’autorité publique », infraction qui avait été visé par mes soins dès le dépôt de ma plainte initiale.

L’affaire sera jugée par la 10ème chambre correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Paris en audience du 13 0ctobre prochain à 13 heures 30.

En l’absence d’un texte de loi pénalisant les propos homophobes, pourtant maintes fois promis par le législateur et le gouvernement, mon seul recours est de poursuivre sous le chef d’Outrage à Agent dépositaire de l’autorité publique.

Ces faits et ces implications judiciaires méritent d’être dénoncés et médiatisés afin que les choses changent et qu’une jurisprudence puis une loi propre permettent enfin à toutes celles et ceux subissant cette homophobie d’être reconnues comme victimes.

Il est utile de vous signaler qu’à ce jour, il semble bien que le Ministre de l’Intérieur n’ait diligenté aucune procédure disciplinaire à l’encontre du Gardien de la Paix présumé auteur des écrits ni pris à son encontre aucune décision de sanction administrative.

Aussi il n’est pas vain de s’interroger sur les conditions dans lesquelles le Ministre de l’Intérieur souhaite que les droits des personnes homosexuelles soient respectés dans la Police Nationale et par elle lorsqu’elle se trouve en situation d’assurer sa mission de service aux citoyens.

Je ne suis pas un homosexuel militant ou animé de l’esprit de vengeance, je suis un citoyen comme beaucoup d’autres.

Je vous prie de croire, Madame Monsieur, en l’expression de mes sincères salutations.

E.
Gardien


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