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Rien ne sert de marier, il faut pacser à point !

date de redaction mardi 27 avril 2004


Sans être forcément défavorables à l’idée d’ouvrir le mariage aux couples homosexuels, Jan-Paul Pouliquen et Denis Quinqueton rappellent les avantages du pacte civil de solidarité qu’ils ont initié, la nécessité de le faire évoluer encore, et estiment qu’il ne faut pas occulter le débat public en tentant un passage en force.


par Denis Quinqueton, président du Collectif Pacs, etc
et Jan-Paul Pouliquen, initiateur du Pacs

Le maire de Bègle vient d’annoncer qu’il allait célébrer un mariage homosexuel. On l’aura mal renseigné. Les brèves de prétoire ne sont pas forcément de bonnes sources d’inspiration en politique et cette fois-ci, l’histoire est écrite d’avance. En 1998 déjà, un maire d’arrondissement de Paris a été saisi d’une demande de mariage homosexuel. Comme ce maire fait partie des gens qui considèrent à juste titre que nos lois communes ne sont pas un sujet de plaisanterie, il a interrogé l’autorité de tutelle qui lui a répondu que seuls les mariages entre des personnes de sexe différent sont légalement autorisés. Et pour cause, la loi, dans son état actuel, ne laisse guère de place à l’ambiguité : l’article 75 du Code civil fait explicitement référence au "mari" et à la "femme". Mais il nous est également loisible de consulter quelques arrêts de jurisprudence voire même de ne pas négliger la coutume qui, comme chaque juriste averti ne l’ignore point, peut avoir force de loi. A ces approximations juridiques, ajoutons des doutes sur la méthode qui consiste à mépriser le mouvement social : la plupart des associations lesbiennes, gaies, bi et trans n’ont pas été consultées, pas plus que les mouvements de femmes ou le Collectif qui s’est battu pendant un dizaine d’année pour faire naître le pacs.

Il ne faudrait pas confondre l’ouverture du mariage aux couples homosexuels et lesbiens avec le "pot belge" : la France ne l’adoptera pas à l’insu de son plein gré ! Si on veut faire de la politique, c’est à dire prendre part à l’organisation de la vie de la société, on peut se souvenir que sur ce genre de question, encore aujourd’hui chargée de clichés dévastateurs et de carricatures meurtrières, la décision vaut autant que le débat public qui la précède. Car le débat sert de pédagogie et on ne peut pas faire comme si l’homosexualité masculine ou féminine allait de soi dans "Le plus beau pays du monde". L’homophobie et la lesbophobie existent parfois sous des formes extrêment violentes. On l’a vu récemment avec l’agression dont a été victime Sébastien Nouchet. Les discriminations à l’embauche, sur le lieu de travail ou d’études, dans la vie quotidienne sont encore courantes. N’est-il pas toujours de bon ton de demander dans un rire hoquetant et rougeaud qui fait la femme et qui fait l’homme dans un couple homosexuel. Pire, nombre d’individus se demandent encore plus bêtement ce que deux femmes peuvent bien faire entre elles Dans ce contexte, il n’y a rien à gagner à prendre une décision en catimini au fond d’un palais de justice. Outre que ce n’est pas le cadre rêvé pour le débat démocratique, le "mariage" qui en résulterait pourrait bien s’avérer un redoutable piège discriminatoire.

Il ne faut pas confondre non plus progrès social et ordre social. Militants, on peut tenter un pari, démocratique celui-là, résolument progressiste autour du pacs et de son amélioration (Successions, imposition, pension de réversion, droit de séjour...). Contrairement à ce qu’on nous avait asséné le pacs a laissé la planète tourner dans le même sens. Les progrès législatifs quant aux conséquences du pacs ne devraient pas, cette fois-ci, occuper ou préoccuper le Parlement plus que quelques heures.

L’adoption du pacte civil de solidarité en octobre 1999 a marqué un double progrès social. Le plus évident fut sans doute l’entrée incontestable des couples homosexuels dans la réalité légale de notre pays. Par paresse ou excès de conformisme, on souligna moins l’autre progrès qu’a marqué la création du pacs : il s’agit pourtant de l’invention d’un nouveau moyen d’organiser la vie d’un couple. Et ce moyen présente quelques différences conceptuelle fondamentales avec le mariage. Ainsi, la loi sur le pacs ne préjuge pas du type de relation qui unit les deux membres du couple. Elle ne supporte pas l’héritage de pratiques qui prédéterminaient - avec quelle injustice ! - le rôle de chacun dans le couple. Le pacte civil de solidarité permet au couple de discuter du contenu de l’union et d’en faire, via la convention de pacs, une affaire réellement personnelle et, pourquoi pas, unique. En effet, les termes du contrat doivent obligatoirement être établis par les intéressé-e-s. Il ne s’agit pas de se fondre dans une sorte de moule mais de façonner à sa guise ce que l’un et l’autre s’interdisent et s’autorisent ; qu’il s’agisse des liens économiques ou sexuels, Le pacs, enfin, prévoit des conditions de rupture mêlant simplicité et protection systématique du plus faible. Dès lors, faut-il renoncer à ces progrès réels pour s’insérer à toute force et à tout prix dans un ordre social suranné qui peine à se réformer ?

Alors, l’ouverture du mariage aux couples homosexuels, pourquoi pas ? Mais l’exigence d’égalité des droits nous présente d’autres chantiers autrement plus urgents. L’amélioration du pacs, bien sûr, mais aussi son exportation dans les pays de l’Europe des 25 qui ne disposent pas d’une telle législation. La parentalité aussi qui, même en Belgique, n’est pas permise aux couples homosexuels Quelle sera l’attitude, dans l’immédiat des 51 présidents de gauche de Conseils généraux qui, dans le cadre de la loi actuelle, accordent l’agrément d’adoption ? Et puis les équivalences internationales entre toutes ces législations ou futures législations progressistes pour assurer, au moins au niveau de l’Europe, une réelle et concrète liberté de circulation et d’installation des personnes. Tous ces chantiers, qui sont immenses, ne sont pas de la compétence exclusive des juges, des avocats ou des maires. Ce sont les centaines de millions de citoyens des pays européens et leurs milliers de parlementaires qui doivent s’en saisir et trancher. Démocratiquement.

Ce débat sur l’ouverture par effraction du mariage aux couples homosexuels et lesbiens est une belle occasion offerte aux réactionnaires de tous poils de se mobiliser facilement sur leurs terrains favoris : le jugement péremptoire et la carricature. Pour les homosexuels, mais aussi pour les femmes et les hommes qui ne le sont pas, nous préférons, encore aujourd’hui, la réalité qui n’est pas toujours drôle et que nous voulons, avec tant d’autres, améliorer. A toute force et à tout prix. Au grand jour, après un débat mobilisant l’ensemble des défenseurs des droits et des devoirs des uns, des unes et des autres pour faire avancer la réflexion de la société toute entière.


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