Accueil > Documents > France > Les communistes et le mouvement homosexuel

Les communistes et le mouvement homosexuel

date de redaction lundi 20 octobre 1997     auteur A. Ardoin, Yannis Delmas


Tiré de la revue Politique n°5 « Homos : en mouvement ».

Gilles Alfonsi est secrétaire général de l’Association des communistes combattants du sida (ACCS) et rédacteur en chef de la revue Combat face au Sida.

« L’Etat n’a pas à s’immiscer dans la vie privée des personnes. Son rôle est d’assurer l’égalité de tous et de toutes devant la loi, quel que soit le mode de vie de chaque individu. Il n’y a donc pas lieu de faire une distinction particulière pour les couples homosexuels. (...) L’union civile de fait doit ouvrir aux femmes et aux hommes les mêmes droits et les mêmes devoirs que s’ils étaient mariés, dès lors qu’ils ont formulé le désir qu’il en soit ainsi. » La proposition de loi relative aux droits des couples non mariés déposée à l’Assemblée Nationale par les députés communistes le 20 février 1997 marque un toumant dans sa prise en compte des homosexuels, et, plus largement, dans la.lutte contre les discriminations de nature sexuelle.

Il est loin le temps où un éditorialiste de l’Humanité stigmatisait le « désordre » de la mouvance du Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire (FHAR) comme « la pourriture du capitalisme à son déclin » [1]. Que s’est-il donc passé au parti communiste, en un quart de siècle, sur la question de l’homosexualité ?


Une lente évolution

De la réprobation explicite à la tolérance puis au respect des amoureux du même sexe, les étapes se sont succédées qui ont contribué à l’émergence d’une nouvelle appréhension des phénomènes de société, des rapports privés et des modes de vie. En 1972, Jacques Duclos stigmatise les militants homosexuels lors d’un rassemblement à la Mutualité : il les considère comme des malades mentaux. Lors de son 22ème congrès, en 1976, l’hostilité du parti communiste à l’homosexualité et au discours féministe est réaffirmée.

Les années 80 marquent un tournant. En juin 1981, l’un des quatre ministres communistes, Jack Ralite, annonce que la France ne se référera plus à la classification de l’Organisation Mondiale de la Santé selon laquelle l’homosexualité est une maladie mentale. Les députés communistes voteront en juillet 1982 l’abrogation de l’alinéa 2 de l’article 331 du code pénal, qui interdisait les relations homosexuelles en dessous de 18 ans alors que la majorité « hétérosexuelle » était à 15 ans.

En 1987, le député communiste de Seine Saint-Denis François Asensi intervient contre les censures initiées par Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur en lutte contre la « pornographie », notamment contre Gai-Pied. Cinq ans plus tard, les communistes participeront à mettre en échec une tentative de repénalisation de l’homosexualité. Cependant, durant les années 80 et jusqu’à tout récemment, les communistes se contenteront principalement d’un soutien aux propositions socialistes, tant en ce qui concerne l’homosexualité en général qu’en ce qui concerne la reconnaissance des couples non mariés.

Stigmatisation et indifférence

Longtemps, deux attitudes ont donc co-existé. L’une consistait en une stigmatisation de l’homosexualité, présentée comme un vice bourgeois, extérieur à la classe ouvrière. Cette stigmatisation se manifesta parfois par des exclusions déguisées et des prises de positions ambiguës. Des militants se souviennent de l’exclusion de Marc Croissant, banni de sa cellule et licencié de la mairie communiste d’Ivry pour avoir contesté un article de l’Humanité sur un fait divers impliquant un homosexuel mineur. L’homosexualité était alors perçue comme relevant du « bordel », d’une inadaptation.

L’autre attitude consistait à considérer que l’homosexualité relevant du domaine privé, une quelconque prise de position sur les droits des homosexuels serait attentatoire aux libertés individuelles. Ainsi, sous prétexte d’éviter une normalisation des comportements, cette optique négligeait de considérer les droits des personnes.

En réalité ce pseudo-refus de la normalisation dissimulait une bonne dose de conformisme. La plupart des communistes reproduisaient le modèle classique et conforme de la famille, y compris parmi ceux dont la préférence allait aux amants du même sexe. La volonté de ne pas donner prise à l’ennemi de classe et l’obligation de ne pas se distinguer des autres militants par des moeurs « anormales » participaient à ce que l’homosexualité soit tue. Peu nombreux et forts discrets - malgré eux - étaient ceux pour qui il fallait dénoncer la stigmatisation des homosexuels : il leur fallait montrer que si le rôle du parti communiste n’est pas de prendre en charge la souffrance des personnes, l’indifférence contribue à l’exclusion. Telle fut la tâche qu’entreprirent l’écrivain - et ami d’Aragon - Jean Ristat, le journaliste Michel Boué et, à partir de 1976, certains membres de la commission « homosexualité » du Centre d’études et de recherches marxistes (CERM), ancêtre de l’Institut de Recherche Marxiste et d’Espaces Marx.

Depuis 20 ans cependant, alors que la société elle-même bouge, le parti communiste a connu sur ce sujet un long cheminement. Et, s’il s’est ouvert, c’est bien davantage par la convergence des évolutions de ses membres que par des décisions de congrès : les communistes qui, depuis vingt ans, tentent d’amender les textes « soumis à la discussion » des congrès en savent quelque chose ! Le dernier congrès n’a d’ailleurs pas fait exception : bien que plusieurs amendements sur l’homophobie et la reconnaissance des couples homosexuels aient été adoptés par des conférences fédérales, le texte final n’en parle pas.

Un nouveau regard

Mais l’ampleur de l’épidémie du sida parmi les homosexuels a appelé un regard nouveau sur l’homosexualité. Le parti communiste n’a pas pris de front la bataille contre le sida et, comme toutes les forces politiques, il s’en est remis à des associations œcuméniques - comme Aides - ou fortement politisées, notamment Act Up Paris. L’évidente dimension politique de cette lutte n’a pas débouché sur une pratique militante. Mais, d’une part, les communistes se sont trouvés en situation d’aborder l’homosexualité autrement qu’à travers des représentations caricaturales ou stigmatisantes : avec le sida, les homosexuels sont passés du côté des victimes ; d’autre part, des communistes se sont impliqués dans la lutte contre le sida, dans un tissu associatif où les homosexuels sont très fortement investis.

C’est ainsi qu’on trouve, dans la plupart des associations, parfois au sein de leurs directions, des militants communistes, souvent homosexuels. Au rythme des articles de Rémi Darne dans l’Humanité - au début des années 90 -, les militants découvrent la réalité concrète d’une maladie et une lutte qui leur devient familière. Au risque, peut-être, de ne percevoir les homosexuels qu’à travers la pandémie.

Mais une brèche est ouverte, d’autant plus que la lutte contre le sida pose des questions familières aux communistes : sur le système de protection sociale, l’égalité dans l’accès aux soins, la solidarité internationale. Pour une partie des militants, l’homophobie devient une injustice. Et, depuis quelques années, l’Humanité annonce et couvre largement la Lesbian & Gay Pride : il est question sans détour des droits des homosexuels et de la reconnaissance des couples du même sexe. A la veille du 29ème congrès, Robert Hue explique dans Combat face au sida qu’il « faut une politique cohérente qui s’attaque résolument à la modification des mentalités, des attitudes discriminatoires ».

Aujourd’hui, la direction du parti communiste affirme sa volonté d’avancer : un groupe de travail sur les discriminations sexuelles vient d’être créé, après le 29ème congrès de décembre 1996, sous l’impulsion de Serge Guichart.

Quelle oppression

Il faut aussi s’arrêter sur la façon de faire de la politique en France en général et au parti communiste en particulier. Jusqu’aujourd’hui, la discussion politique s’est organisée autour d’une analyse prétendument objective des faits, dans laquelle l’affectif est écarté car jugé subjectif. L’analyse scientifique commande la mise entre parenthèses de tout ce qui relève de la vie privée, du sujet, et même du témoignage personnel. Il n’est bon à prendre que dans la mesure où il peut être instrumentalisé par le discours préexistant. L’organisation communiste - « l’avant-garde » - a forcé ces traits jusqu’à considérer que le libre épanouissement de chacun passait par le libre épanouissement de tous. Il n’y a pas loin de là à admettre un modèle unique pour le bonheur, et donc à faire de la normalisation des comportements et des modes de vie une condition du progrès. Voilà donc resituée la question du tabou de l’homosexualité dans le contexte d’une conception globale de l’homme et de la société.

Un enjeu central du débat sur les communistes et l’homosexualité est la définition du champ politique et la qualité de l’analyse des rapports sociaux. Le parti communiste a depuis sa naissance focalisé sa critique politique, économique et sociale et ses combats sur la dimension économique de l’oppression, jusqu’à omettre qu’elle relève aussi d’autres formes d’exclusion ou de marquage des personnes. L’économisme entraîne une vision restrictive des rapports entre les hommes. Le silence sur l’homosexualité - même au nom du respect de la liberté individuelle - contribue à taire l’injustice plutôt que la combattre.

Il conviendrait au contraire de développer une analyse des rapports sociaux croisant la dimension économique de l’oppression et les formes de discriminations relevant d’autres processus.

Pour une contribution communiste

En poursuivant dans cette voie, le parti communiste pourrait apporter utilement sa contribution au débat. Jusqu’à présent, tout entier occupé à organiser sa survie alors que s’effondrait à l’Est le « socialisme réel », il n’a pas toujours su voir que sa survie et son développement passaient justement par un investissement dans les questions de société qu’il avait jusqu’alors négligées. Pourtant un effort de conceptualisation et de recherche pourrait déboucher sur d’intéressantes contributions communistes, par exemple au débat sur le communautarisme. La dénonciation des tentatives de division du corps social en oeuvre dans le discours libéral, soucieux d’empêcher toutes les velléités de transformation ou de réforme globale, n’est cependant pas suffisante. Certes, il faut mettre en exergue combien la catégorisation des exigences - associatives, politiques, syndicales porte en germe le risque d’émiettement d’exigences qui pourraient être communes et d’amoindrissement de la réflexion elle-même. Car le communautarisme - homosexuel ou autre ! - a un défaut majeur : il est l’incorporation revendiquée de l’exclusion, et donc son acceptation. La dérive communautariste n’a donc pas grand chose à voir avec l’idée de communauté. Notons que la majeure partie des homosexuels restent sans doute en dehors de ces débats bien parisiens et confinés dans certains milieux.

Explicitons. Depuis la fin des années 70, les réseaux militants homosexuels se sont dépolitisés et normalisés. Peu à peu, à Paris et dans les grandes villes, un milieu homosexuel s’est développé. Des quartiers ont été investis par des commerces, des lieux de rencontre et des produits « réservés » aux homosexuels. Un discours identitaire s’est développé, justifiant la constitution d’une « communauté gay » par l’exclusion et le rejet communs. Deux conceptions de la communauté s’affrontent. L’une présente le communautarisme comme « solution » face au rejet, défendant l’idée d’une spécificité homosexuelle dans l’appréhension du monde, de la culture, de la vie. Elle cherche à fonder sa légitimité sur une histoire révisée de la répression des homosexuels, jusqu’à monter parfois un inquiétant discours sur la continuité entre la politique des nazis pendant la seconde guerre mondiale - nourrissant l’idée fausse d’une déportation des homosexuels français - et le « génocide » (!) du sida, sans que les promoteurs de cet amalgame semblent en mesurer les conséquences. L’autre conception se situe dans la revendication paradoxale d’une acceptation de l’homosexualité passant par la revendication d’une indifférence du corps social.

Il paraît nécessaire aujourd’hui de prolonger ce débat. Car ses initiateurs ont identifié l’homosexuel comme sujet et personnage social, tant il était important pour tous de trouver un discours qui affirme des droits - face à la cruauté de la société. Qui donc pourrait aider à sortir de ce débat quelque peu sclérosé ? Les initiateurs d’une approche plus complexe des rapports sociaux, incluant les différentes dimensions de la vie sociale. Les communistes peuvent en être, à condition de mettre sur le métier leur conception du champ politique, y compris l’illusion économiste qui consiste à penser qu’un programme économique a valeur de projet de société.

A condition aussi de ne pas négliger un apport essentiel sans lequel il paraît difficile de déployer véritablement une conception originale et moderne des rapports sociaux : celui de la psychanalyse. Car avant et au moment de transformer l’injustice vécue en lutte politique, avant et au moment de contester et de proposer, il faut entendre la souffrance du sujet, reconnaître son caractère irréductible à une formulation militante. Il ne suffit pas de dire la nécessité de l’idéologie : une idéologisation de l’injustice découpée de ce qui est vécue, de la manifestation individuelle de l’injustice porte en germe l’indifférence à l’égard de la personne, au moment où on prétend précisément agir pour son émancipation.

Au parti communiste, aux militants communistes de saisir que la lutte contre l’homophobie n’est pas une lutte égoïste mais un des combats émancipateurs de notre temps, dans lequel il a, ils ont toute leur place...

Gilles Alfonsi

Notes :

[1L’Humanité du 5 mai 1972


Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé | SPIP | Infos éditeur