jeudi 18 octobre 2012
Et si on reparlait un peu de prévention ?
communiqué de presse Act Up Paris - 12 octobre 2012
Face aux prises de position récentes du Comité associatif, et à l’adoption en son sein d’un nouveau mode de décision excluant les avis minoritaires, Act Up-Paris quitte le comité associatif, tout en maintenant sa vigilance et son exigence vis-à-vis de la recherche sur les PrEPs [1], dont l’essai IPERGAY est un maillon important.
Ces dernières semaines, les débats se sont accélérés autour de l’essai IPERGAY, notamment en vue de la consultation, par le Directeur de l’ANRS, Jean-François Delfraissy, des trois comités composant l’essai (comités scientifique, associatif et indépendant). Nous sommes encore dans l’attente des résultats de cette consultation, mais il était temps, pour nous, de revenir à une indépendance totale face à un essai qui exige une vigilance et des prises de positions claires de la part des associations. Les prises de position idéologiques récentes du comité associatif, concernant la mise à disposition des PrEPs dans un avenir proche (et sans même attendre les résultats d’un essai visant à en démontrer l’efficacité), sont incompatibles avec notre présence dans ce comité.
Au départ, il y a une belle idée, une recherche communautaire. Et une consultation communautaire, menée par des associations qui se déplaçaient en région, organisaient des débats, créaient un intérêt hors du seul champ de la lutte contre le sida. Aujourd’hui, le comité associatif, ce n’est plus qu’une dizaine d’associations, avec une implication très inégale, et une gestion difficile. Il faut dire que le niveau d’expertise exigé par ces débats en a rebuté plus d’unEs. S’il y avait un intérêt à regrouper associations de lutte contre le sida et associations issues de la communauté LGBT, le résultat est toutefois bien pâle. Le comité associatif vit aujourd’hui de l’implication de 2 ou 3 personnes (peuvent-elles vraiment parler au nom de la « communauté » ?) qui mènent les débats et essayent d’emporter l’adhésion.
Au départ, le comité associatif se nourrissait de la complémentarité et de l’opposition des points de vue (comment faire autrement, en réunissant dans un même lieu Act Up-Paris et Warning ?) et la règle était de respecter les propos de chacun, y compris si on les trouvait scandaleux, à la condition que seuls des points de vue consensuels et partagés sortent des travaux du comité. Ce principe a été remis en cause par Warning (et validé par le secrétaire du comité), qui veut précipiter la mise à disposition des PrEPs selon le dogme de « l’induction » (on teste, et on voit ce qu’il en ressort, on compte les contaminations...). Le dernier communiqué de presse du comité n’a pas été signé par Act Up-Paris, nous n’y souscrivons en rien, il est simplement le fruit d’un point de vue dit « majoritaire » (en fait un communiqué signé par 8 des 16 associations impliquées dans le projet), emporté suite à un intense travail de lobbying interne sur les associations les moins impliquées.
L’essai IPERGAY n’est pas une recherche « appliquée », il s’agit de démontrer l’efficacité d’une stratégie de prophylaxie pré-exposition intermittente (prise de comprimés d’antirétroviraux de manière intermittente, pendant les périodes d’activité sexuelle), sans que soit envisagée pour l’instant l’utilisation dans la vie réelle de cette stratégie. Et pour cause... : les données actuellement disponibles ne présagent pas d’un intérêt évident des PrEPs (une efficacité démontrée des PrEPs en continu autour de 44%, avec un intervalle de confiance situé entre 15 et 63%, ce qui est synonyme de données incertaines). De plus, les PrEPs posent des questions éthiques : Sommes-nous prêts à entrer dans une ère de médicalisation préventive de la sexualité, alors que d’autres outils sont disponibles et avec une efficacité reconnue ? Quid des résistances ? De la confiance à instaurer entre partenaires sexuels, après des années de campagnes visant à faciliter la négociation du préservatif ? Les PrEPs posent également des questions économiques : qui payera ? Les antirétroviraux préventifs seront-ils remboursés ? Rendra t-on disponible pour les personnes séronégatives au Nord des médicaments inaccessibles pour les personnes séropositives au Sud ?
En faisant le choix du lobby pour une mise sur le marché rapide des PrEPs, le comité associatif de l’essai IPERGAY ne rend pas service à la santé des gays, qui mérite qu’on soit plus vigilant quant aux stratégies de prévention que l’on met en oeuvre, il rend en revanche service aux laboratoires, et notamment à GILEAD, très pressé de vendre sa molécule, le TRUVADA, aux séronégatifs, sachant pertinemment qu’en cas de commercialisation des PrEPs, des concurrents sérieux feront valoir des formules plus efficaces.
Bref, les PrEPs posent des questions sociales et éthiques que l’essai IPERGAY n’épuise pas. Pour Act Up-Paris, cet essai est une pierre dans un édifice, celui des nouvelles stratégies de prévention, dont les fondations sont le préservatif, que certainEs essayent de faire oublier. Comme s’il n’avait pas permis que 4 pédés sur 5 ne soient pas contaminés. Il faut donc encourager la recherche, continuer à dire que seul le préservatif et des dépistages réguliers protègent efficacement du VIH et des autres IST, et éviter la facilité : se soumettre à l’air du temps, jouer avec les nouveautés de la prévention qui, pour être potentiellement des outils efficaces et judicieux, s’avèreront peut-être, au terme des recherches en cours et à venir, n’être que des gadgets inutiles et contre-productifs.
Dans les derniers mois, la parole a été très peu donnée aux premiers concernés : les gays séronégatifs. Au fond, quelques débats (notamment un débat à Act Up-Paris, l’AG des PrEPs, et un débat organisé au Tango à Paris) ont été plus utiles pour l’avancée des réflexions que les atermoiements du comité associatif. Où en sommes-nous de la prévention ? Que penser des nouveaux outils envisagés, tels que la PrEP ? Comment réfléchir à un système de santé communautaire efficace ? À une manière de venir à bout de « l’épidémie cachée » [2] ? Comment continuer à promouvoir le préservatif ? Pourquoi ne met-on pas en place une cohorte de gays séronégatifs, pour mieux comprendre les comportements préventifs d’une communauté finalement si difficile à appréhender ? Autant de questions qu’il faudra poser, ailleurs et autrement. Nous y travaillons.
Arthur Vuattoux