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Controverse sur la transmission du VIH en cas de charge virale indetectable

date de redaction mardi 11 mars 2008


Le docteur suisse Bernard Hirschel s’est exprimé sur le caractère non contaminant des personnes séropositives avec une charge virale VIH indétectable. Interpellé sur le terrain via ses délégués, le SNEG Prévention apporte sa vision sur la question.


communiqué SNEG Prévention - 4/3/2008

Le Dr suisse Bernard Hirschel s’est récemment exprimé sur le caractère non contaminant des personnes séropositives avec une charge virale VIH indétectable. Depuis cette affirmation anime actuellement le monde associatif et médical. Interpellé sur le terrain via ses délégués, le SNEG Prévention souhaite ici contribuer au débat.

La position de Bernard Hirschel est extrêmement dangereuse en termes d’impact sur les comportements de prévention, ce d’autant plus qu’il se base sur des études de couples hétérosexuels sérodifférents stables dont la sexualité ne correspond pas à la majorité des gays, qu’ils soient en couple ou pas.

Une généralisation dangereuse...

En passant de l’observation clinique de rares cas de contamination chez des couples sérodifférents hétérosexuels stables et fermés à un message de prévention généralisé, Bernard Hirschel prend une position qui remet en cause toute l’approche de la prévention en direction des personnes séropositives.

Un tel discours de santé publique ne peut s’appliquer qu’après avoir levé un certain nombre d’incertitudes et de questions basées sur des éléments cliniques avérés et adaptés à tous les types de sexualités, ce qui n’est pas le cas ici.

On ne peut ainsi prendre pour argent comptant certaines de ses affirmations comme « en dessous d’une certaine concentration de virus, aucune contamination ne se produit » ou encore « c’est une nouvelle option de prévention, qui est importante dans certaines circonstances, par exemple chez les couples stables qui se connaissent bien, chez les personnes qui veulent des enfants, là évidemment c’est difficile d’utiliser des préservatifs et le risque de contaminer quand on essaye de concevoir pèse lourdement sur la vie de couple, et là, par exemple c’est un message qu’il faut donner aux gens ».

...face à un risque zéro qui n’existe pas...

Le risque zéro n’existe pas et le virus ne peut être totalement éradiqué. D’ailleurs, Bernard Hirschel se contredit lui-même puisqu’il reconnaît qu’« il n’existe pas de certitude absolue, ni de risque zéro. Ce qu’on peut dire c’est que jusqu’ici, on n’a pas constaté de contamination à partir d’un porteur du VIH sous traitement efficace. On ne peut pas exclure que l’étude de cohortes plus importantes ferait apparaître une exception ici ou là. Mais nous avons affaire à une nouvelle réalité, qui change les choses dans la pratique ».

Ces exceptions « ici ou là » qu’évoque Bernard Hirschel, nous ne sommes pas prêts à les endosser en tant qu’acteur de prévention responsable.

De même, nous ne sommes pas prêts à prendre le risque de nous taire en l’absence de véritables études de cohortes protocolisées et du même coup faire prendre des risques majeurs à nos amis, à nos partenaires, à tous les hommes qui sont exposés par leur sexualité et dans leur vie au risque VIH.

Nous refusons de faire le pari d’une politique du nombre que nous considérons aussi dangereuse autant que contraire à l’éthique et qui, ne prenant pas en compte dans sa communication la réalité de nos pratiques, se fait au détriment d’un discours de prévention sur le risque individuel et unique pour chacun d’entre nous.

...face à la réalité biologique...

Sur un plan pratique, rappelons que le seuil de détection des tests actuels de mesure de charge virale sanguine est de 20, 40 ou 50 copies/ml de sang. Une charge virale est dite indétectable quand elle est en dessous du seuil de détection de la technique d’évaluation utilisée.

Attention, cela ne signifie pas qu’il n’y a plus de VIH dans le sang, mais que l’on ne peut pas le détecter. Ainsi, pour un test détectant jusqu’à 40 copies/ml, cela signifie que 39 virus VIH par ml de sang peuvent être présents alors que le test répond « indétectable ». Cela ne veut pas dire par ailleurs, que le virus ait disparu du sperme. Des réservoirs de virus persistent et les personnes restent contaminantes.

Certaines études ont également montré que la charge virale séminale (dans le sperme) se situe entre 10 et 50 fois supérieure à la charge virale sanguine, c’est le cas par exemple en présence d’infection sexuellement transmissible avec inflammation des parties génitales, anales ou buccales, et il est impossible de prédire de façon certaine la charge virale séminale à partir de la charge virale sanguine.

Ainsi, un éjaculat de sperme étant en général de 2 à 4 ml, cela voudrait dire pour un homme dont la charge virale sanguine VIH est "indétectable" (avec un test de sensibilité à 40 copies/ml), qu’un éjaculat contiendrait entre 0 et 7800 virus VIH (4 ml x 39 copies/ml x 50) !

La meilleure preuve scientifique qui étaye cette réalité se trouve dans les études mesurant la charge virale spermatique chez des hommes séropositifs qui s’inscrivent en Procréation Médicale Assistée en France, avec une charge virale plasmatique négative sous anti-rétroviraux, on retrouve une charge virale positive dans le sperme chez 7 à 17% de ces hommes.

... face à des cas de contaminations non publiés...

Certes, la littérature n’a pas à ce jour publié de cas documenté d’une contamination avérée par exemple, au sein d’un couple homosexuel sérodiscordant, dont le partenaire séropositif avait une charge virale sanguine indétectable. Mais bon nombre de cliniciens ont été amenés à connaître des cas précis, mais, pourtant, la publication de tels cas (qui ne semblait pas être une priorité dans le corps médical jusqu’à présent), nécessiterait d’éliminer tout autre source de contamination extérieure pour être incontestée sur le plan scientifique. Et rien ne permet d’assurer scientifiquement qu’un partenaire séronégatif dans un couple sérodiscordant ne se protégeant pas, n’a pas pu être contaminé par un partenaire sexuel extérieur. Ainsi, à l’appui de témoignage de médecins partenaires du SNEG, nous pouvons ici faire cas d’un couple séro-différent homosexuel suivi par le Dr Jean Derouineau, de l’Institut Alfred Fournier et attaché à l’HEGP, qui est devenu séro-concordant en 2007, à partir du partenaire traité à charge virale indétectable vers son partenaire fixe. Ces partenaires avaient tous deux décidé de ne pas utiliser de préservatif en informant leur médecin, et ce sur la base de connaissances et de leur évaluation personnelle du risque de la transmission du VIH en fonction de la charge virale... Le génotypage du VIH infectant le partenaire récemment contaminé montre un VIH identique à celui de son partenaire d’une part, et l’analyse de leur sexualité dans les mois précédents d’autre part confirme la transmission de ce virus au sein du couple. D’autres cliniciens français connaissent des situations comparables.

...et face à des données non transposable à notre communauté...

Même si un certain nombre de publications fixent à 1000 copies/ml de sperme le seuil en dessous duquel la contamination serait « impossible », la dose infectante minimale par voie muqueuse chez l’homme est inconnue, faute d’études de cohortes, qui par ailleurs poseraient des problèmes éthiques (comment en effet constituer des bras d’études avec des personnes qui prendraient sciemment des risques de contamination ?). En Afrique des études sur des couples hétérosexuels séro-différents , sur de courtes périodes (1 à 2 ans) ont montré la corrélation entre contamination et charge virale VIH sanguine. De même, d’autres études similaires ont été menées sur des couples séro-différents en Espagne et au Brésil mais là encore hétérosexuels. Or, la situation est peu comparable avec ce qui se passe de façon générale en termes de sexualité entre hommes et dans la communauté gay.

...n’oublions pas les facteurs de risques aggravants (virus VIH résistants et autres IST)...

La position de Bernard Hirschel précise que sa théorie s’applique à des personnes séropositives ne souffrant d’aucune autre Infection Sexuellement Transmissible (IST) et suivant un traitement antirétroviral permettant de rendre la charge virale indétectable.

Cette hypothèse s’applique difficilement au milieu homosexuel où les alertes sanitaires nous interpellent régulièrement. On ne peut donc faire fait fi de la question de la transmission des IST (herpès, chlamydiae, syphilis, LGV, gonocoque, papillomavirus, virus de l’hépatite B, virus de l’hépatite C...), qui peuvent d’une part contribuer à l’augmentation de la charge virale VIH séminale et d’autre part fragiliser les autres partenaires tant au niveau immunitaire qu’au niveau des muqueuses, et ce quelque soit leur statut sérologique. Un autre point important à ne pas oublier concerne la transmission du VHC par voie sexuelle, dont on a longtemps dit qu ‘elle était inexistante... Elle est désormais avérée chez les gays, notamment séropositifs au VIH. On sait aujourd’hui que la guérison par traitement d’un VHC d’un sous-type donné ne protège pas de la contamination par un VHC d’un autre sous-type, et qu’une guérison d’un sous-type ne permet pas de prédire une guérison avec un autre... Nous tenons aussi à soulever la question capitale de la surcontamination des personnes séropositives. Une charge virale indétectable ne signifie pas l’absence de virus "sauvage", dénué de résistance. Il peut aussi s’agir de virus multi résistants pour lesquels une combinaison de médicaments récents modère la multiplication en dessous du seuil de détection actuel.

Contracter un VIH résistant aux médicaments actuels, que l’on soit déjà séropositif ou encore séronégatif est un événement grave qui remet en cause la vie à court terme !

...et n’adaptons pas nos croyances à des vérités un peu trop vite établies, qui demandent des confirmations scientifiques prenant en compte toutes les sexualités.

Si nous convenons que la charge virale faible diminue le risque de transmission de VIH sensible aux antirétroviraux actuels, nous ne pouvons passer sous silence qu’il existe de nombreux VIH différents et multi résistants, hautement transmissibles. De ce fait, le risque pour la santé est donc actuellement croissant, et non décroissant, en cas de rapport sexuel non protégé, et cela même au sein de couples homos séro-différents stables.

Qui plus est, dans le cadre de rencontres multiples, il est inimaginable de connaître la charge virale d’un partenaire de passage ainsi que l‘observance à son traitement. Si le discours de prévention n’arrive plus à toucher certains gays, ce n’est pas une raison pour diffuser des informations non étayées qui ne font qu’amplifier les difficultés de la prévention en permettant à chacun de se forger sa propre croyance au gré de ses fantasmes, de ses désirs et de ses vulnérabilités du moment.

L’équipe prévention du SNEG


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