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Les gays libanais abandonnés

date de redaction mercredi 2 août 2006


En plein conflit au Proche-orient, Nous a recueilli les témoignages de nombreux gays et lesbiennes à Beyrouth, mais aussi à Montréal et Paris ou lors de leur transit.

Après un point sur les évacuations par les marines occidentales, les urgences humanitaires et l’interview d’officiers français, Nous détaille la vie gay au Liban, décrite par les gays libanais eux-mêmes .


Alors que les marines occidentales ont évacué plus de 40.000 ressortissants, Nous a recueilli les témoignages de plusieurs gays et lesbiennes à Beyrouth, mais aussi à Montréal et Paris. Malgré les offensives et l’inertie de la diplomatie, la vie gay continue tant bien que mal.

Evacuations à haut risque

Au jeudi 27 juillet, les autorités américaines, canadiennes, françaises et britanniques estimaient avoir quasiment bouclé les opérations de rapatriement de leurs ressortissants du Liban, alors qu’une armada d’une cinquantaine de navires de guerre ou marchands poursuivait encore, depuis l’ouverture de « corridors humanitaires » voulus par Paris, leurs rotations entre Beyrouth et Larnaca (Chypre) puis Mersin (Turquie). Au final, environ 12.000 américains, 8.700 canadiens, 6.100 français et 4.500 britanniques ont été évacués par mer. C’était l’objectif de la mission française Calliste, qui a mobilisé les frégates Jean de Vienne et Jean Bart, venant en protection du transport de chalands de débarquement Sirocco et du flambant-neuf porte-hélicoptères d’assaut Mistral, dont c’était la première OPEX et qui, tous deux, possèdent plusieurs blocs opératoires. Une évacuation qui n’a pas été sans incidents, un hélicoptère Cougar de l’unité d’alerte des chasseurs alpins ayant été pris pour cible par un bâtiment US. C’est justement ce genre de « cas non-conforme » que craint Pascal Ausseur, le commandant du Jean Bart : « En 1986, la frégate USS Stark, par manque de vigilance, n’a pas réagi à un tir de deux missiles irakiens qui ont fait une trentaine de morts. [Puis] le croiseur USS Vincennes qui, se croyant attaqué, a tiré sur un Airbus iranien au décollage de Bandar Abbas, [faisant] 380 morts civils », rappelle t-il. Pour parer aux pertes collatérales, les transmission internes des bâtiments de guerre (satellite, radio, téléphone, texte, image et vidéo) sont doublées de transferts de données tactiques externes entre bâtiments via des liaisons cryptées.

Les gays libanais isolés

On ne peut pas en dire autant des télécoms civils. Nous a réussi a joindre le 24 juillet à Beyrouth Chantal Bartamian, coordinatrice de l’antenne lyonnaise de l’association internationale des libanais gays Helem (« rêve » en arabe), qui nous avouait être encore « coincée » dans la capitale dévastée et « incapable d’avoir un contact permanent » depuis la destruction 2 jours plus tôt par les F-16 israéliens de relais de télévision et de téléphone mobile. Reporters sans frontières a protesté contre ces attaques visant « des installations de médias [qui] ne peuvent en aucun cas être considérées comme des cibles militaires » et qui ont fait par ailleurs un mort et plusieurs blessés. Certains Libanais n’ont, à l’heure actuelle, plus accès à la chaîne publique Télé Liban, ni aux privées LBCI et Future TV, ni aux radios. Carla Sfeir, une franco-libanaise, gérante d’une boutique d’optique gay-friendly à Montpellier, faisait partie des 1,6 millions de touristes attendus cet été au Pays du Cèdre et qui ne sont plus que mirage pour une économie durement éprouvée. Rencontrée la veille de son départ, elle n’est jamais atterri à l’aéroport international de Beyrouth, situé dans la banlieue sud contrôlée par le Hezbollah et bombardé dès l’aube du 13 juillet. Comme elle, d’autres ont vu leur vol détourné vers Chypre ou remis à plus tard. C’est le cas de Ghassan, responsable libanais de Helem à Paris, qui comptait se rendre à Beyrouth en août en compagnie d’une cinquantaine de gays et de lesbiennes...

Appels aux dons

Rémy, coordinateur de Helem Montréal nous confirme que, pour l’instant, l’association, à travers ses antennes, « travaille sur le plan humanitaire libanais plutôt que sur la cause LGBT. Nous voulons être présents sur la scène arabe comme un groupe qui fait plus qu’être gay ». Comme à Paris, les activités qui encadrent la Pride québécoise du 30 juillet servent à la récolte de fonds, déjà de l’ordre de 75% des dépenses : « Nous enverrons donc une large partie des profits de nos activités au Liban et nous porterons des messages de paix à travers tous nos discours », rajoute t-il. Helem, supportée essentiellement par ces dons et l’ambassade des Pays-Bas au Liban, à transformés ses locaux de ce beau quartier du vieux Beyrouth en accueil pour réfugiés. Cette urgence tranche avec le cadre du lieu, la Zico House, un centre culturel dédié aux expos d’artistes contemporains et financé par l’UNESCO. C’est de là que que Georges Azzi, président de l’association, estime que « la situation des réfugiés gays est la même que celle des réfugiés hétéros ». Ghassan de Paris s’inquiète : « Je crains que si l’économie va très mal, on va avoir tendance à rechercher des bouc-émissaires », les gays et les lesbiennes de préférence. Plus fataliste, Firas, un jeune gay évacué par le Mistral a « le sentiment de jouer le jeu d’Israël en partant, car la donne maintenant, c’est qu’une fois que les étrangers seront partis, c’est là qu’ils vont faire le vrai nettoyage et bombarder partout ».

Pays de paradoxes

Certes, avec Israël, le Liban a été le seul pays du Moyen-orient à avoir autorisé ce printemps la diffusion dans les salles du ‘Secret de Brokeback Mountain’. A Beyrouth, le film, certes amputé de 4mn, est resté un mois à l’affiche. La généralisation de la télé par satellite puis d’Internet permet aux gays beyrouthins de rester connectés et, comme se remémore Munir, un journaliste cité par le quotidien français Libération, « de voir des homos dans des feuilletons télé, des films, les entendre parler de leur sexualité dans des talk-shows ». Dans un pays assez tolérant en matière de sexe (en tous cas, comparé à ses voisins arabes), la vie gay libanaise subit une loi répressive et le machisme méditerranéen (surtout dans les villes moyennes comme Tripoli ou les villages), bien que des études aient montré que 35% de la population aurait eu au moins une expérience homosexuelle, un pourcentage énorme comparé à la moyenne mondiale de 5% ! A Beyrouth, la scène gay compte 4 boîtes gay-friendly : l’UV, le BO 18, l’Acid et le X-OM, ces deux dernières ayant subi des descentes de la « police des mœurs » à l’automne dernier. Il existe également 4 ou 5 bars ou cafés (le plus populaire étant le Walimat Wardeh, tandis que le Wolf, établissement bear, refuse fréquemment les folles), des saunas, des lieux de drague et, chaque été, des soirées privées sur une plage proche de Jbeil, à 30km au nord. Parallèlement, la Journée mondiale contre l’homophobie a pu se tenir en mai sous protection policière à l’intérieur du Monroe, un grand hôtel de la capitale. Mais les manifestations de rue ne sont pas encore à l’ordre du jour. Si des militants gays couverts de rainbow-flags avaient osé défiler il y a 3 ans contre la guerre en Irak aux côtés de partis de gauche et nationalistes (dont le Hezbollah), un conseiller municipal beyrouthin a demandé récemment, au gouvernement, comme à Jérusalem, de les interdire...

P. Rogel


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