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Nous enquête sur Rainbow Attitude

date de redaction vendredi 14 avril 2006


Cette enquête, parue dans le numéro d’avril 2006 de Nous, a été réalisée par Patrick Rogel qui en a aimbalement autorisé la reproduction.


La faillite de Rainbow Attitude

Rainbow Attitude, c’est fini. Le « salon européen de la vie gay », symbole de la reconnaissance des homosexuels par l’argent, n’a plus un rond. Récemment déclaré en faillite, il devrait quelques centaines de milliers d’euros à ses créanciers. Comment en est-on arrivé là ? Les langues se délient...

Rainbow, un salon exposé

L’annonce tardive, le 14 mars, de la nomination d’un liquidateur judiciaire a soulagé la vingtaine de créanciers du salon de la vie gay, inquiets du paiement de leurs factures et salaires, surtout après le mutisme de 5 mois de Régine Corti, gérante de Rainbow Attitude. Ses plus récentes explications viennent en contredire d’autres et n’éclairent ni les raisons de l’échec du salon 2005 présenté à l’origine comme un succès, ni celles de la grogne de certains exposants, qui pétitionnent depuis 2 ans en faveur du remboursement d’une partie du coût des stands. Elles ne satisfont pas plus les médias qui n’avaient pas gobé le coup de pub orchestré à la faveur de l’avis négatif du BVP à propos des affiches « au baiser » du métro. Et surtout ne rassurent pas des créanciers devenus soupçonneux... mais loquaces.

Cambriolages à répétition

Moins d’une semaine après la clôture de la dernière édition, écrit Têtu, Régine Corti et ses collaborateurs « expliquent à leurs anciens prestataires avoir été cambriolés et que le coffre-fort contenant la recette de 500.000 euros a été dérobée ». Démentant ces infos, l’intéressée affirme que « seul du matériel informatique et des espèces » auraient été volés et non la somme faramineuse évoquée, qui serait « très au-dessus de la réalité ». C’est pourtant ce cambriolage (succédant à un précédent, au même endroit un an plus tôt) qui sert à l’époque de prétexte à Rainbow pour suspendre le paiement de ses fournisseurs. Malgré des indices d’effraction au 3e étage du 10, rue Saint-Marc (une porte découpée au chalumeau), Chrystèle Gimaret, gérante de l’entreprise de nettoyage Artupox, qui partage le même palier, doute encore de la réalité de ce cambriolage survenant alors que Rainbow lui doit 17.000 euros. Elle n’est pas la seule. Le bailleur, le cabinet Devaux Immobilier de Fontenay-le-Fleury (Yvelines) est tout aussi circonspect et attend encore 11.109 euros de loyers. Par ailleurs, dès octobre 2005, les 2 salariés assurant une permanence minimale dans les locaux commencent à voir défiler sous leurs yeux des factures de relance d’EDF et de téléphone. De là à penser, qu’« on est devant une grosse arnaque et une volonté certaine de ne pas payer », c’est un pas que franchit Chrystèle Gimaret en obtenant une injection du tribunal de commerce puis en déposant plainte pour escroquerie.

Ca l’affiche mal !

Du côté des imprimeurs de Rainbow Attitude, Clerc à Saint-Amand Montrond (Cher), nous affirme par la voix de son commercial Catherine Pointereau « ne pas être concerné » par la procédure en cours puisqu’il a bien été réglé pour la réalisation de l’annuaire ‘Genres’, l’autre échec de Rainbow (lire encadré). A l’inverse, Tiempo, imprimerie parisienne, n’a toujours pas été réglée pour l’impression des fameuses 38.000 affiches dites « au baiser ». L’affichage lui-même durant deux semaines sur les rampes d’escaliers du métro parisien, n’a pas non plus été payé à la régie publicitaire Métrobus qui, selon l’hebdo Valeurs Actuelles, a transmis l’ardoise de 60.000 euros au contentieux... Tout ça n’est rien en comparaison à la somme due pour la location du Hall 7 de Paris Expo. Contactée par nos soins, Catherine Pourre, qui chapeaute la direction des services juridiques d’Unibail Holding, gérant du Parc Expo, ne nous a pas à ce jour confirmé un chiffre que les milieux autorisés évaluent à cinq zéros.

Des salariés sur le carreau

Régine Corti verse une larme sur les « 8 salariés » qu’elle a dû licencier. Selon nos informations, 2 étaient en fin de contrat et 3 les propres associés de Rainbow. Sur les 3 restants, l’un d’eux, Christian Girard, titulaire d’un CDI de commercial sur ‘Genres’ puis responsable de l’espace tourisme sur le salon 2005, a démissionné. Il n’a à ce jour reçu que des fiches de paie et un certificat Assedic malgré une promesse écrite de Régine Corti de lui verser 3.500 euros fin janvier. « Depuis cette lettre, plus un mot, pas même pour expliquer le nouveau retard ou maintenant le dépôt de bilan, et les courriers recommandés revenaient à l’expéditeur. Quant à les joindre par téléphone », nous confie-t-il... « Je me sens déçu et trahi », déclare de son côté à Têtu Emmanuel Scoriel, régisseur et collaborateur de Rainbow depuis trois ans. L’entreprise lui doit cette année 3.000 euros. « On avait une relation presque amicale, et subitement, plus rien. Il y a au minimum un manque de respect. » Christian, a qui Rainbow Attitude a demandé de signer sans contrepartie un bon de solde de tout compte, a alerté l’Inspection du travail. Et a la dent dure : « Que l’on ne me demande pas de croire que cette période de silence était une preuve d’honnêteté ! ».

Attrape-moi si tu peux

Régine Corti peut bien déposer plainte pour dénonciation calomnieuse contre la gérante d’Artupox parlant d’« arnaque », force est de constater que, par leur silence, les associés de la SARL ont encouragé une légitime suspicion. Ni Philippe Benhamou (dit-on « chassé » de la société), ni Jean-Claude Sultan (résidant désormais aux Etats-Unis) ne sont, en effet, venus plaider leur cause devant le tribunal de commerce de Paris. Quant à Régine Corti, elle a attendu le jour du dépôt de bilan pour réapparaître au cours d’une houleuse assemblée générale du SNEG, marquée par l’éviction de Jean-François Chassagne, qui a toujours apporté son indéfectible soutien à Rainbow Attitude et à sa gérante, la proposant comme administratrice et « l’épaulant » alors que tout Paris la recherchait.

Explications, chiffres à l’appui

Changement de méthode et explications, chiffres à l’appui. Evoquant dans Illico « un contexte difficile de désinvestissement des entreprises en communication », Rainbow Attitude a quand même laissé sans réagir son chiffre d’affaires (1,61 millions d’euros en 2004) fondre de 42% en une année. Imprévision pour le moins quand on sait que la société, qui était parvenue à dégager 76.000 euros de capitaux propres sur 2004, n’a jamais jugé bon de provisionner le moindre centime en cas de coup dur. Lequel n’a pas tardé : « un déficit de 195.000 euros » en 2005 (que d’aucuns évaluent en réalité au double)... Il revient à l’administrateur judiciaire, Me Martine Carrasset-Marillier, de défaire l’embrouillamini. Tout juste nommée, elle nous déclare : « Il m’est impossible de vous confirmer les montants [...] dans la mesure où ceux-ci [les plaignants, ndlr] n’ont pas déclaré à ce jour leur créance entre mes mains ». On peut craindre qu’il leur sera difficile de récupérer leur argent, Rainbow Attitude n’étant jamais parvenue à séduire de nouveaux partenaires ou établissements financiers...

Patrick Rogel

© Nous, avril 2006. Tous droits réservés.

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Drôle de ‘Genres’

Comptant 200 pages, édité à 3 reprises et tiré à 50.000 exemplaires, ‘Genres’ était, avec le salon, l’autre activité de Rainbow Attitude. Véritable ramasse-pub, cet annuaire des 400 associations gays françaises n’a pourtant jamais rapporté d’argent. En 2003, la société embauche un commercial chargé de constituer une base de données des associations susceptibles de louer un jour un stand sur le salon et, surtout, de démarcher les commerces gays parisiens. Le Centre gai & lesbien (CGL) de Paris a beau prêter gracieusement l’un de ses bénévoles pour la mise à jour de l’édition 2004, ‘Genres’ connaît le même échec que les défuntes ‘Pages Arc-en-ciel’, essentiellement parce qu’il ne correspond à aucun besoin. Ce qui n’empêche pas le CGL « d’étudier la faisabilité de reprendre à son actif l’édition et la diffusion de cet annuaire, peut-être avec d’autres partenariats » qu’il « veillera à sécuriser ». Ni Régine Corti de déclarer : « Je pense que je vais au moins essayer de continuer l’annuaire, parce que c’est vraiment mon bébé ». Belle bataille en perspective autour de la dépouille !


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