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Silence dans les rangs !

date de redaction vendredi 29 mars 2002


Un militaire de carrière, victime d’homophobie, au sein de la grande Muette et qui se bat depuis 6 ans, en vain.


29/3/2002 - Je vous transmet notre éditorial de la semaine sur Gayvox.com . En souhaitant que cette histoire ne reste pas qu’un simple fait divers...

Patrick Elziere

Fondateur de Gayvox.com http://www.gayvox.com

C’est une affaire assurément. C’est une affaire de moeurs. C’est une histoire d’homophobie, sans aucun doute. On ne badine pas avec la morale au Ministère des Armées. Que le canon soit un symbole sexuel, ma foi, c’est autre chose. Ce qui importe, c’est l’honneur. L’honneur d’une grande muette qui a conservé des relents d’arriérisme mental. J’ai un type en face de moi qui me raconte son histoire depuis trois heures.

Rencontre d’un autre type

J’ai 6 pages de notes sous les yeux. Il vient de me raconter 6 ans de sa vie. J’ai des noms, et pas des moindres. De ceux qui se gaussent de bien parler, de ceux qui paradent auprès des politiques, qui font la morale à la première occasion, qui croient parfois parler au nom d’un peuple qui ne les reconnaît plus tout à fait.
Quand je suis rentré chez moi, j’ai relu Bourdieu : "Celui qui a la parole, qui a le monopole de fait de la parole, impose complètement l’arbitraire de son interrogation, l’arbitraire de ses intérêts." C’était le 30 octobre 1977 au congrès de l’AFEF, à Limoges. (Le monde est petit et ceux qui s’y croisent ont les oreilles qui sifflent). Cette phrase encore : "Et le silence de certains n’est que de l’intérêt bien compris". Bourdieu était moins en sous-entendu que je ne le serais ici. Je m’explique. Nous ne pouvons donner des noms en l’état actuel de l’affaire. Cependant, nous écrivons ces lignes en connaissance de cause d’un dossier dont nous avons copie. En temps utile, nous serons beaucoup plus précis s’il devient justifié que nous nous révoltions d’une seule voix. Et nous espérons que ça bougera dans le landernau de la gaytitude.

Une première expérience

Ce type en face de moi, a vécu une fois, une seule fois dans sa vie, l’expérience de l’homosexualité. Il en parle sans s’étrangler et c’est tout à son honneur (là, pour moi, le mot a sa place. Ce n’est pas un abus de langage comme quand on parle d’honneur parce qu’on n’a plus rien à dire, plus d’argument qui vaille). Il m’a raconté son histoire avec un autre. C’était un moment d’échanges entre hommes, entre militaires. Un de ces moments qui font la puissance de vivre. Deux hommes en présence qui se confient l’un à l’autre, leurs histoires, leurs secrets, même leur intimité, bref, ce qui les a fait hommes. L’échange bascule dans la reconnaissance, la tendresse, dans une communion, l’envie d’une fusion. Ce sont des échanges sur les difficultés de vivre, les souvenirs d’enfance, des pères qui se ressemblaient dans leurs violences. Ils se disent ce que l’on pense qui ne se dit que dans les cabinets de psy. Ils vont très loin. Ils se tendent des miroirs. L’un et l’autre ne font qu’un dans un univers qui les a menés là, en terre étrangère.
Et puis, un moment d’oubli, un égarement de désir, une découverte, un plaisir pour l’un, un épisode pour l’autre. Ca ne se reproduira pas. Ce n’est pas son "truc" à l’autre. Il le dit à l’un qui ne le supportera pas. C’est logique, il est devenu amoureux. Il fera donc tout pour que l’autre lui revienne quitte à prendre des risques, foutre en l’air une amitié possible. L’idée est simple : "Puisque tu ne veux pas m’aimer, puisque je ne peux t’y forcer, je vais te faire souffrir." Tragédie ? Comédie ? Une affaire humaine tout simplement. Une affaire de cour avant que l’armée, le contexte de l’armée n’en fasse une affaire de cul avec l’assentiment de l’éconduit malheureux qui le restera malgré tout en ayant entraîné l’autre qui ne souhaitait pas cela. Vous suivez ?

A l’armée, on n’est pas des PD !

Et voilà la morale des troupes atteint par les ragots, les langues qui se lient et se délient, les propos injurieux qui fusent. De l’amour à la haine l’histoire bascule un jour dans l’officiel, le rationnel, le juridique. La grande muette a aussi ses grandes oreilles. Celles des colonels, commandants, généraux et autres sbires qui managent à leur sauce l’histoire qui leur rappelle qu’ils sont aussi, au fond, un peu femme à leur manière (psychanalytiquement, bien entendu). C’est tellement déplaisant qu’il faut bien en faire quelque chose de cette histoire qui ne se tait. Commencent alors les rédactions du "bulletin de punition" (ça ne s’invente pas, je l’ai sous les yeux), les constats, les ordonnances, les décisions avec leur cohorte de formulations plus ou moins subtiles qui évolueront : X .a reconnu. avoir eu des relations sexuelles avec un militaire du rang de son peloton.. A été mis en cause dans une affaire de mours qui s’est produite contre la volonté d’un de ses subordonnés.. Et que la victime a déposé plainte. faire l’objet d’une radiation des cadres pour "faute contre l’honneur" (pourquoi entre guillemets ?). La lecture du procès verbal de la séance du conseil d’enquête montre à l’évidence que la personne qui a troublé la tranquillité de l’armée n’est pas l’accusé. Mais c’est à bulletin secret (comme si c’était une élection ; où est la logique réflexive ? On croit rêver !) que sera rendue une sentence des plus inique : radié des cadres par mesure disciplinaire pour "faute contre l’honneur" (mais pourquoi Diable encore ces guillemets ?).

Etre soi ou n’être rien

L’homme que j’ai en face de moi n’est pas abattu. Dépité, certainement écouré mais pas abattu. Il est un peu perdu, pris dans une logique absurde qui ne peut se défaire de sa reconnaissance des valeurs qu’il juge républicaines, de son respect absolu de l’uniforme et d’une croyance quasi religieuse de ce que peut être l’honnêteté la plus dépouillée. Or, pour survivre à l’agression qui lui est faite, pour surmonter la bêtise d’un système absurde tenu par des gorilles bêtes à bouffer du foin, il doit se défroquer de son amour propre et accepter l’insupportable. Serait-ce vraiment s’ôter la possibilité de ne plus pouvoir se regarder dans la glace que de faire fi de son amour propre ? Serait-ce si difficile d’oublier un peu de son passé (sa carrière militaire) et de ses convictions pour mieux contempler le monde du haut d’une perspective d’avenir à construire ? Il faut croire que oui. Il faut surtout comprendre qu’un engagement dans l’armée, dans l’église, dans ces sectes encore majoritaires, il ne fait pas bon être le vilain petit canard. Quand vous épousez ces causes, vous signez l’arrêt de mort de vos libertés. Avec cet exemple, la preuve est faite que des systèmes qui ne fonctionnent que grâce aux moutons ne supportent pas la critique, la réflexion et surtout l’ouverture. Quand je pense que nos savants ont démontré qu’un système fermé ne peut que mourir !

Glissement lexical et avenir incertain.

Trois ans plus tard, l’affaire se transforme en : VIOLS (oui, avec un S) ET AGRESSIONS (encore avec un S) SEXUELLES (là, j’éviterai de me répéter) PAR PERSONNES (là, je ne comprends pas le S) AYANT AUTORITE. La machine s’est emballé. Plus rien ne semble pouvoir l’arrêter.
Notre homme sera jugé dans quelque mois. Que risque t-il ? Nous ne sommes pas juristes. Mais nous suivrons l’affaire. Nous espérons qu’il recevra beaucoup de messages de soutien en attendant (en attendant le jugement dernier, surtout le dernier ; car il s’agirait que cela cesse !). Nous utiliserons vos soutiens le moment venu si la pire des plus absurde des condamnations lui était infligé pour avoir eu une expérience homosexuelle digne des plus banales (banales, en d’autres temps, d’autres lieux). Ce qui veut dire que nous n’y sommes pas encore. La route est longue pour que les mentalités évoluent.
Vous avez dit PACS ? Adoption ? Égalité des droits ? Laissez-moi rire et revenir sur terre.

Merci de nous faire part de vos commentaires, questions et suggestions

Lionel Duroi pour Gayvox.com


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