mercredi 18 septembre 2013
NON à la résistible ascension de la judiciarisation et au paradoxal retour caché de la médicalisation dans la loi.
Communiqué de presse de la FÉDÉRATION LGBT - Angers, lundi 16 septembre 2013
A l’occasion du projet de loi pour l’Égalité entre les femmes et les hommes, débattu en première lecture au Sénat les 16 et 17 septembre, des sénatrices et sénateurs EELV, PCF, PS et UMP ont déposé des amendements concernant l’identité de genre et le changement d’état civil des personnes transgenres.
Cette initiative est urgente puisqu’elle s’appuie, entre autres, sur les revendications que la FÉDÉRATION LGBT porte, visant à faciliter la vie des personnes transgenres au quotidien et faire respecter leur droit à une vie privée protégée, qui aujourd’hui leur est refusée par l’Etat lui-même.
La FÉDÉRATION LGBT n’a eu de cesse jusqu’ici de rappeler la nécessité que la France honore son propre vote en faveur de la résolution 1728 du Conseil de l’Europe en 2010. Résolution appliquée par l’Argentine, pays non européen, par le vote d’une loi 30 novembre 2011 qui reconnaît pleinement l’identité de genre et ne soumet plus le changement d’état civil des personnes transgenres à une quelconque condition médicale.
Dans son avis du 27 juin dernier, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) a préconisé la substitution du critère de l’identité de genre à celui de l’identité sexuelle dans notre droit positif et la simplification de la procédure de changement de la mention du sexe à l’état civil. Tout en soutenant une démédicalisation complète, c’est à dire la fin des stérilisations forcées, la CNCDH maintient une judiciarisation partielle avec l’homologation devant un juge.
En réponse à cet avis, des dizaines d’associations, dont la FÉDÉRATION LGBT et l’ANT, ont signé un communiqué commun le 3 août dernier, rappelant que « la décision de changement d’état civil des personnes trans ne doit pas être compromise par une quelconque autorité médicale, psychiatrique ou judiciaire susceptible de contester la légitimité de [la] demande [des personnes transgenres]. »
Aussi, la FÉDÉRATION LGBT, salue l’amendement n° 130 des sénatrices EELV [1] substituant le critère de l’identité de genre à celui de l’identité sexuelle dans les textes prohibant la discrimination, dans les codes pénal, du travail, du sport et dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. De même, nous saluons l’amendement n° 136 du groupe communiste [2] visant à ajouter les critères de genre et d’orientation sexuelle à la qualité de réfugié de toute personne persécutée. Toutefois, nous recommandons la mention de l’identité de genre pour être cohérents.
En revanche, nous ne pouvons accepter en l’état les autres amendements déposés concernant le changement de la mention du sexe sur l’état civil et encore moins en féliciter leurs auteur.e.s. Les amendements médicalisants et précarisants du PCF et de l’UMP sont largement en deçà de l’avis de la CNCDH, et ceux de EELV et du PS introduisent une judiciarisation partielle, mais avec une telle imprécision que la médicalisation reviendra à grands pas dans le quotidien des procédures.
L’amendement n° 80 de Chantal Jouanno, sénatrice UMP, est pathologisant, mentionnant encore « le trouble de l’identité de genre », « la dysphorie de genre », « le transsexualisme ». Conséquence, l’amendement subordonne l’accès de la procédure à la fourniture « d’un ou de plusieurs rapports médicaux qui attesteront de la réalité du trouble d’identité de genre (sic) » et au contrôle du juge aux affaires familiales.
L’amendement n° 154 du groupe communiste introduit une double procédure, en référé et au fond, contre l’avis de la CNCDH qui l’avait écarté. En référé, « la requête est motivée par une attestation d’un médecin » et la fourniture de témoignages attestant de la situation de vie du ou de la requérante depuis 5 ans (3 ans pour une autre procédure). Point dangereusement précarisant pour les personnes transgenres obligées de vivre pendant ce délai un perpétuel outing social.
Le Collectif Fièr-e-s et Révolutionnaires, qui avait invité La FÉDÉRATION LGBT a une table ronde dimanche 15 septembre dans le cadre de la Fête de l’Humanité, a annoncé le retrait de cet amendement pour réécriture. Nous en prenons acte et attendons la nouvelle version.
L’amendement n° 92 du groupe socialiste [3] vise à appliquer l’avis de la CNCDH par le retrait de toutes conditions médicales, avec dépôt de la demande en mairie, puis l’homologation d’un juge qui pourrait seulement fonder son refus sur « la fraude manifeste ou de l’incapacité de la personne de manifester sa volonté. » Toutefois, le manque de précision de l’expression « pour les personnes engagées dans un processus de transition » obligera les tribunaux à interprétation. Laquelle inévitablement passera de nouveau par la médicalisation. De plus, cet amendement, qui a entendu la demande de nos associations, pour le dépôt de la demande en mairie, ne précise nullement le délai imparti à l’officier d’état civil pour transmission au juge pour homologation.
L’amendement n° 169 du groupe écologiste participe du même constat du retour déguisé de la médicalisation car si l’homologation par un juge est prévue, « l’intérêt légitime » qu’il devra constater réintroduira toute la médicalisation, avec son cortège humiliant d’obligation de traitements, de diagnostic différentiel, d’obligation de dysphorie de genre et donc d’irréversibilité et de stérilisation forcée.
Il n’y aurait rien de pire que de vouloir éradiquer toute médicalisation dans le changement de la mention du sexe de l’état civil des personnes transgenres et paradoxalement la réintroduire en la gravant dans la loi. Tout l’enjeu est bien de dépasser les blocages de la majorité actuelle pour une démédicalisation et déjudiciarisation complètes, sans concession.
La FÉDÉRATION LGBT, prête à reconnaître la bonne intention initiale de leurs auteur.e.s, appelle solennellement tous les groupes concernés à réécrire leurs amendements avec des efforts conséquents de précisions. S’ils ne doivent pas être en deçà de l’avis de la CNCDH, ces amendements doivent aussi être plus ambitieux. Attendre du Conseil d’Etat qu’il fixe après vote les modalités administratives de l’homologation c’est prendre le risque de graves déconvenues potentielles. C’est au législateur d’écrire la loi et d’en dessiner les contours courageux et précis au bénéfice des personnes transgenres. Pour cela nous nous tenons à leur disposition.
Les sénatrices du groupe socialiste défendent leur amendement, notamment l’homologation par un juge dont nous ne voulons pas, par le fait que « la mention du sexe demeure, dans notre droit un élément essentiel de l’identification des personnes, et que l’état civil revêt une forte importance symbolique dans la tradition républicaine française. » Cette expression est forcément le reflet de la pensée de la majorité actuelle, aidée en cela par ses conseillers.
Nous leur répondons que justement le poids du symbolique doit évoluer par un changement de mentalités au regard de l’urgence de la situation des personnes et que cela n’est pas impossible dans notre droit positif. L’utilisation juridique de catégories identificatoires peut tout à fait permettre le retrait du sexe. L’identification des personnes étant ouvert à bien d’autres critères.
La FÉDÉRATION LGBT attend que le gouvernement prenne toutes ses responsabilités en la matière et qu’il envoie un signal clair comme quoi il accepte des sénatrices et sénateurs de tous bords des amendements qui dépassent ses blocages actuels. Sinon à quand un projet de loin spécifique ? Certainement aux calendes grecques, comme l’exemple des reculades, des renoncements électoralistes du gouvernement et de l’exécutif, sur la filiation et la PMA, pendant les débats que le mariage pour tous et depuis sa promulgation.
Sinon, nous faudra-t-il en tirer toutes les conséquences vis-à-vis du gouvernement ? En effet, le calendrier électoral 2014 est particulièrement riche : élections municipales les 23 et 30 mars, européennes le 25 mai et sénatoriales en septembre...
Stéphane Corbin,
porte-parole de la Fédération LGBT