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Nous, "Immatures", "Inachevé(e)s" et "Narcissiques"...

date de redaction mardi 6 décembre 2005


Tapages 67, les transpédégouines de Strasbourg écrivent à Tony Anatrella.


Lettre ouverte à Tony Anatrella

Tony,

Tu as encore craché ta bile biblesque, récemment, dans
L’Osservatore Romano *...
Notre réponse ne sera pas théologique. Nous n’avons ni
l’envie ni le temps de nous plonger dans la Bible pour
te répondre, pour vérifier ce que tu avances, pour y
légitimer le droit d’être trans’ et/ou pédégouines.
On n’a pas encore fini de lire les œuvres de Malcom X.
Alors tu penses comment la Bible est pour nous une
urgence...

Et puis à vrai dire on s’en fout que le Vatican ne
veuille pas de curé pédé.
On n’était pas candidatEs.
On caresse d’autres désirs, à la recherche d’autres
Passions que celle, mortifère, du Christ en croix et
d’un paradis sans cesse remis à demain, à plus tard, à
ailleurs.
Pas de terre promise, mais des terres permises ici et
tout de suite.

C’est autre chose qui nous incite à t’écrire. A te
lire, nous avons été saisiEs de crainte : tu parais si
bien nous connaître !
Car oui : "immatures", "inachevéEs" et "narcissiques",
nous le sommes !
Loin de nous l’idée de contester ton diagnostic.
Il est vrai qu’à force de les violer (comme certains
curés US) ou de les noyer (comme certains curés scouts
français), vous finissez par en connaître un rayon sur
les enfants et l’immaturité. Et qu’à nous scruter
obsessionnellement depuis des siècles, vous avez bien
dû finir par découvrir quelques-uns de nos secrets.
Mais tu as oublié (ou peut-être l’Osservatore Romano
t’a -t-il censuré ?) que nous sommes aussi revêches,
hystériques, obsédéEs, que nous nous esclaffons
bruyamment, les poignets cassés, les lèvres glossées,
et les cils papillonnants.

De nous retrouver aussi bien décritEs nous a apeuréEs.

Et si les mots étaient piégés ?
Et si tu n’y mettais pas le même sens que nous ?
Par exemple l’altérité : c’est amusant, cette manière
que vous avez de la loger uniquement dans les organes
génitaux, là où nous la découvrons dans un clin d’œil,
dans un regard par-dessus l’épaule dans la rue, dans
nos orgasmes, dans nos fous-rires et dans nos
luttes...

Bref, tu as raison : Si "immatures" signifie ne pas
acquiescer à ce monde et résister, alors oui, à
TaPaGeS, nous ne voulons surtout pas devenir adultes.
Nous n’envions pas ta maturité, autoritaire et
normative, jugeant, jaugeant la vie des autres.
Nous avons des enthousiasmes et des gravités
d’adolescentEs, des peines et des insouciances
d’enfants, des ricanements et des refus de sales
gosses.
Nous sommes immatures.
Comme nos sœurs de Stonewall, qui en 1969 pleuraient
Judy Garland, le talon aiguille à la main face aux
flics.
Comme ce peuple d’imbéciles qui vote Non à l’Europe
des curés et du capital, qui ne veut rien comprendre à
l’économie libérale.
Comme certainement ces deux gamins pendus en Iran cet
été parce qu’ils s’enfilaient.

Immatures parce que nous continuons à trouver belle
une prison qui brûle et justes les émeutes des
"racailles".

Immatures mais aussi narcissiques. A un point que tu
n’imagines certainement pas...

Ce matin par exemple, à 11 h, nous nous trouvions
belles réuniEs pour un dernier salut à Pierre Seel, tu
sais, ce garçon déporté parce que pédé. Nous étions
belles ce matin, belles et tristes parce que Seel
n’aura pas vu de son vivant une commémoration
unitaire. A Strasbourg, chaque année, la mairesse,
Fabienne Keller s’esquive après la cérémonie
officielle et c’est alors à nous, dans le bruit des
barrières qu’on défait, d’honorer pudiquement la
mémoire des triangles roses.

Oui, nous sommes narcissiques : nous scrutons
avidement les yeux de nos amantEs pour y déceler des
désespoirs et des rages similaires lorsqu’on brûle un
pédé, lorsqu’on assassine unE trans’, lorsqu’on nous
humilie.
Nous aimons reconnaître dans le regard des
transpédégouines la même insatisfaction devant ce qui
nous est laissé en pâture comme simulacre de vie.
Et nous avons les larmes aux yeux (notre côté
drama...) lorsqu’unE gaminE sort du placard et
s’aperçoit que dehors, dans le grand vent, la vie est
plus vivable.
Bref, on s’aime. Dans notre multitude.

Car franchement, Tony, nos amantEs sont plus riches,
plus diversEs que tu ne le penses.
Mais il est vrai qu’à ne pas fréquenter le corps des
autres, on ne peut s’imaginer combien nos sexes ne se
ressemblent pas, chaque fois touchants dans leur
singularité.
Nos sexes, nos corps, nos désirs et nos rêves.
Nous sommes grosSES, charnuEs, crevettes, timides ou
expansives, lunatiques ou constantEs, butch et/ou fem,
drôles ou sinistres, poiluEs ou glabres,
révolutionnaires ou réformistes, douces et brutalEs,
avec ou sans paréo Jean-Paul Gaultier...

Donc oui, dans le regard, éphémère ou durable, de nos
amantEs, nous nous trouvons parfois belles, fragiles
et lumineuses - et c’est si bon -, parfois nulLEs ou
inconsistantEs.

Car tu as raison, nous sommes inachevéEs. Pas finiEs.
On remet ça à plus tard.
Nous sommes des processus, pas des états ou des
essences. Nous sommes mobiles, mouvantEs.
Tellement inachevées, seulEs, qu’on a besoin des
autres pour se retrouver, pour lutter ensemble, pour
se tenir chaud dans un monde glacé.
Et ces autres, ce sont tous/-tes celles/ceux que vous
détestez, pourchassez de votre haine : celles/ceux que
la société fragilise - et qui pourtant finiront par
relever la tête, par converger.
Contre les lois iniques, contre le racisme d’État,
contre la précarité de nos vies, contre le sexisme...
Les achevéEs sentent le moisi. Nous sommes encore
vertEs.
Et rouges. Et noirEs.

Ce n’est pas que tu ne nous aimes pas qui nous
chagrine. Au contraire, l’inverse nous terrifierait :
Après des siècles de persécutions, on voit mal
pourquoi tout d’un coup vous vous réveilleriez gay-,
lesbian- et trans-friendly, tolérants, prêts à
accepter nos baisers, nos capotes et nos digues
dentaires, nos jouissances, nos fouets et nos fists,
nos tendresses et nos complicités, nos godes et nos
caresses.

Ce qui est plus grave, c’est que, pourquoi le nier, tu
es écouté : les médias raffolent, ces jours-ci, de
délires réactionnaires.
Ce qui est dramatique, c’est que vous faites la loi en
Pologne, que vous tentez de la défaire en Espagne, que
vous régissez des continents entiers, et que la
France, votre soi-disant fille aînée, à chopé des
escarres à force de s’agenouiller sur vos prie-dieu.

C’est parce que tu peux tenir ce genre de propos,
parce qu’un député, Christian Vanneste, peut parler de
nous comme d’une menace pour l’humanité, que des
gaminEs fuient de chez eux/elles, qu’ils/elles se
suicident, que dans le boulot, dans la rue nous sommes
humiliéEs, agresséEs, insultéEs. Parfois assassinéEs.
Vous êtes la caution et l’incitation à nos
oppressions, à nos exclusions, à nos agressions
(parfois meurtrières) présentes et futures.

On n’ira pas réclamer à l’État qu’il te fasse taire.
Aucune confiance de ce côté-là : il serait mal placé,
lui qui stigmatise les personnes trans’ et entérine
notre inégalité dans la loi même.
On a tendance à s’en remettre à nous-mêmes. Une
vieille habitude.
Si tu viens à Strasbourg, pour te plaire, nous serons,
ne t’inquiète pas, à la hauteur de ta description.

En attendant, nous inventons avec d’autres des
complots pour échapper à votre tyrannie - et nous
continuons à nous chercher dans les miroirs que nous
tendent nos partenaires, à mêler nos inachèvements et
à jouir de nos immaturités...

TaPaGeS, le 4 décembre 2005
Transpédégouines de Strasbourg

Plus d'informations :

http://www.tapages67.org/
contact : tapages67@yahoo.com


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