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Il y a plusieurs manières de se faire traiter de « sale pédé ! »

date de redaction mercredi 23 novembre 2005


Denis Quinqueton, l’un des auteurs du Pacte Civil de Solidarité, vient de lire le dernier numéro de "Marianne", et plus précisément l’article intitulé "Vers la fin du pouvoir hétéro". Il découvre un texte d’une violence homophobe inouïe, à coup de vannes douteuses, de clichés éculés et de rapprochements hasardeux. Il en est resté bouche bée... et a donc écrit une lettre ouverte aux dirigeants de "Marianne".


Denis Quinqueton
12, rue XXXXXX
75019 Paris
Tél. 06 84 XX XX XX

Paris, le 22 novembre 2005

Lettre ouverte à
JeanFrançois Kahn,
président de la S.A. « Marianne »
et
Laurent Neumann,
directeur de la Rédaction de « Marianne »

L’homophobie, il y a des jours « avec » et des jours « sans ». Les jours « sans », on vit sa vie
avec les joies et les difficultés qui l’émaillent, le travail, le chômage ou la retraite, la
maladie ou la bonne santé, on voit ses amis nombreux ou pas, on prend du temps pour sa
famille ou on rumine sa solitude. La vie, quoi. Et puis il y a les jours « avec ». C’est
exactement pareil que les jours « sans » sauf que ces jourslà,
il se trouve quelqu’un ou
quelqueune
pour me jeter à la figure un « sale pédé ! ». Que je sois altruiste ou égoïste,
seul ou entouré, citoyen ou individualiste, riche ou pauvre, n’importe pas. On me rappelle à
intervalles plus ou moins réguliers qu’il n’y a pas à sortir de là : de mes premiers émois
sexuels et amoureux jusqu’à ma mort, j’étais, je demeure, je resterai un « sale pédé ! » et
rien d’autre.

Il y a plusieurs manières de se faire traiter de « sale pédé ! ». Dans un coin sombre en
arrivant chez soi, avec une arme blanche en sortant du métro un peu tard, au boulot à force
de rires sous cape, en famille avec une bonne blague bien de chez nous - les traditions,
c’est sacré, non ? ­
avec une bouteille d’alcool à brûler ou à coup de rangers dans un jardin
public, seul ou à plusieurs, avec un sourire entendu ou un poing américain. En deux mots
ou en sept pages... la rengaine est la même, accompagnée ou non de coups, de blessures ou
de mort : « sale pédé ! ». On appelle ça une injonction sociale. Elle a le mérite d’être claire,
à défaut d’être éclairée. Même au pays des Lumières, les pannes de courant, ça existe !

C’est le rappel que viennent de nous infliger les pages 58 à 64 du numéro 448 de
l’hebdomadaire « Marianne », intitulées « vers la fin du pouvoir hétéro ? ». L’article est
gaulois à souhait et se concentre sur la condition masculine. On est censé, par exemple,
pouffer à cette formule évoquant la baisse constante du nombre de spermatozoïdes : la
« cote chiffrée moyenne des bourses serait tombée de 100 millions à 50 millions ». Le tout
dans un parallèle, oh juste un parallèle, entre cette observation et la visibilisation des
homosexuels aujourd’hui. Quel bel esprit au service d’une si noble cause ! Rien n’y manque,
des allusions zoophiles ­
« Le macho, déstabilisé par les luttes féministes, apprend que
même les mouettes deviennent homos... » ­
aux jeux de mots douteux ­
« les élections
municipales de 2001 ont inverti la donne politique dans la capitale ». Non vraiment, rien. Pas même l’encadré indigent sur les actions de prévention des discriminations en milieu
scolaire (collèges et lycées) titré : « Et maintenant, le gay savoir dès la maternelle ». Pour
celles et ceux qui ne suivent pas, là c’est la reconstitution du vieux couple qui fonctionne
depuis si longtemps dans de si nombreuses têtes : homosexuel = pédophile. Ils ont même
trouvé l’expert, sorti d’on ne sait où, qui affirme que tout à leur détestation des femmes, les
homosexuels professionnels de la mode sont responsables de « l’invasion des mannequins
maigrichons ». Les « clubbers » en « jean moulant » ne sont pas oubliés non plus : pensez
donc, quand on est « pédé » on est fatalement en « jean moulant » et on passe sa vie en
boite, on n’a que ça à faire.

Sept pages, sept longues pages où quelques huit journalistes se relayent pour déverser la
bile de leurs fantasmes. Ils y enfilent les clichés comme les capotes dans les backrooms,
c’est à dire sans lumière. Pardon pour l’image, je me mets au niveau. Sans lumière et sans
information : le seul « reportage » que l’on pressent , aux nombreuses références qui y sont
faites, se situe dans le quartier du Marais, à Paris, à deux stations de métro de la rédaction
de « Marianne ». Encore qu’il puisse aussi s’agir du fruit de quelques promenades
encanaillantes faites un jour de RTT.

On l’aura compris, le problème posé par cet article, par ailleurs médiocre et tellement mal
renseigné, n’est pas d’interroger le fonctionnement de la société ou la place des personnes
homosexuelles, c’est la manière dont on fait mine de s’interroger. Quand Brasillach dans les
années 30 comparait les juifs à des animaux, le problème, en tant que tel, n’était pas
d’évoquer des français pratiquant telle ou telle religion : ça c’est la liberté d’expression. Le
problème était l’ignominie avec laquelle il en parlait. Le problème était ce que les mots qu’il
choisissait avec tant de soin allait générer, de manière tellement prévisible, dans les têtes
de ses contemporains. Le problème c’était le poison qu’il instillait dans la société française :
ça c’est la responsabilité d’expression. Un corollaire de la liberté d’expression qui, loin de
l’amoindrir, la renforce : parce que chaque être qui s’exprime devant dix personnes ou
devant cent mille ne peut méconnaître le contexte dans lequel il s’exprime. Cela fait partie
de notre condition d’Homme social.

Pour pulvériser une société, miter le tissus social au point qu’il se déchire et que la vie soit
violence, l’histoire nous enseigne plusieurs méthodes, hélas éprouvées. L’une d’elles est
assez simple. Il s’agit de désigner des personnes en donnant à penser qu’elles ne relèvent
pas d’une humanité pensante et fraternelle mais d’une population spécifique. On la
stigmatise aux yeux des autres jusqu’à la caricature et on lui colle sur le dos quelques unes
des crises qui font souffrir notre société. Et puis on recommence avec d’autres personnes. A
ce train là, c’est évident, le tissu social, c’est vite un champs de ruines, un truc mité avec du
désespoir dessous. Voilà c’est une méthode, il suffit de postuler que la civilisation, c’est trop
compliqué et ça ne sert à rien. Je me trompe ou c’est exactement ce que font ces huit
journalistes ­
consciemment, ou pire, inconsciemment ­
dans cet article de « Marianne » ?

Denis Quinqueton
Militant homosexuel et artisan du Pacs


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