Il faut donner les moyens à celles et ceux qui ont un projet commun de vie de pouvoir le réaliser sans entrave

ou

Des dangers de la reconnaissance légale du couple homosexuel

Jan-Paul Pouliquen
Président du collectif
pour le contrat d'union civile

Alors que le 2 mai, un quotidien publiait la liste de 243 maires représentants sept millions d'habitants qui délivrent des certificats de vie commune, le 9, un hebdomadaire publiait la liste de 234 personnes appelant à la reconnaissance légale du couple homosexuel. Cet appel intervient à quelques semaines de la traditionnelle <<Lesbian & Gay Pride>> et suit la sortie d'un livre consacré aux homosexuels depuis 1968.

L'initiative a le mérite d'obliger à se prononcer pour ou contre un communautarisme mais aussi d'évoquer l'évolution des modes de vie. Elle s'appuie sur une recommandation du Parlement Européen. Sans s'attarder sur le fait que les recommandations de l'institution européenne n'ont essentiellement qu'une valeur symbolique (nombre de parlementaires votent, à Strasbourg, en faveur de ces textes, alors que leurs collègues du même parti politique votent l'inverse à Paris...), le texte sus-évoqué et présenté par Claudia Roth n'est pas sans poser quelques problèmes.

Du danger de l'institutionnalisation de la discrimination

Dans l'exposé de leurs motifs, les signataires de la pétition évoquent des <<législations non discriminatoires (...) dans plusieurs pays de l'Europe du Nord>>. C'est une erreur grave. En effet, les pays évoqués ont accepté de voter des textes législatifs en faveur des seuls homosexuels. Il s'agit donc de textes discriminatoires ! Ces pays disposent désormais d'un fichier d'homosexuels.

Ensuite, les personnalités évoquent l'existence de <<propositions de loi élaborées par diverses associations (...) qui visaient à <<accorder un statut légal aux couples vivant en concubinage, qu'ils soient hétérosexuels ou homosexuels>>. Seules, deux propositions ont été déposées à ce jour. La première envisageait la création d'un <<partenariat civil>> destinée à ces couples. La seconde, beaucoup plus connue, demandait la création d'un contrat d'union civile. Il ne s'agissait plus alors de <<reconnaître>> telle ou telle relation sexuelle entre des individus mais de donner les moyens, à deux personnes, sans tenir compte de leur sexe ou de leur sexualité, de pouvoir réaliser sans entrave un projet commun de vie.

Du refus de la normalisation

Il n'est pas souhaitable que perdure la reconnaissance du seul couple hétérosexuel comme je ne souhaite pas reconnaître le seul couple homosexuel. Nous considèrons qu'il convient d'un point de vue légal, de ne pas tenir compte des choix affectifs et sexuels des individus. Les faits prouvent que la reconnaissance du couple hétérosexuel est trop réductrice car elle ne valide qu'une forme particulière d'union, le mariage. Ainsi, 1,8 millions de couples ne sont pas mariés tandis qu'1,9 millions d'enfants vivent dans des familles monoparentales.

Le couple marié ne peut donc plus être considéré comme le seul mode de vie possible. Depuis bien longtemps, nombre de personnes mariées font <<chambres à part>>; d'autres ne vivent pas en commun en permanence. D'autres encore, ou les mêmes, n'entretiennent plus de relations sexuelles sans que leur union n'en soit altérée. Des passions se transforment en amours qui eux-mêmes peuvent évoluer vers l'amitié, l'affection ou simplement l'habitude. Le vécu du fait marital n'est pas directement lié au Code Civil. Cela n'a d'ailleurs jamais été le cas. En effet, alors que les extraits du Code Civil lus par le maire lors d'une célébration portent essentiellement sur le sort des enfants et sous-entend que l'union légale a été créée en fonction du rôle reproducteur d'un homme et d'une femme, le mariage n'est pas interdit à l'individu stérile.

Du refus de la marginalisation

Cette <<reconnaissance>> du couple hétérosexuel a permis une marginalisation de l'autre, le célibataire que l'on a souvent qualifié de <<vieux garçon>> ou de <<coureur de jupons>>, un rejet de la femme seule, mise au rang de <<salope>> ou de <<mal baisée>>, une exclusion de la mère célibataire baptisée <<fille mère>>, il y a encore si peu d'années. En retenant cette notion de <<paire légalement asexuée>> cela pourrait sinon éviter, du moins limiter ces conséquences. Certes, on peut se demander s'il ne serait pas judicieux d'abolir le mariage mais la raison nous contraint à tenir compte de la réalité sociale : ce n'est tout simplement pas pensable aujourd'hui, pas plus que ne l'est la création d'un statut qui ne se limiterait pas à deux seules personnes mais à un nombre indéterminé. Cela n'empêche pas de le regretter.

Il n'est pas honnête de prétendre qu'élever un enfant dans une famille monoparentale ne pose pas de problème particulier. Pour preuve les taux nettement supérieurs d'échecs scolaires et de délinquance chez ces enfants. Le conservatisme consiste à utiliser ces éléments d'information pour promouvoir le mariage. Plus que de réaction dans cette attitude, c'est d'illusion qu'il nous faut parler en la matière. Ce comportement fait penser à la mère qui <<informe>> son fils que celle dont il est éperdument amoureux est une catin. Quelle perte de temps ! En revanche, il est indispensable d'observer cette évolution des modes de vie pour faire front à ces nouvelles difficultés (salaire parental, augmentation du nombre de crèches mais aussi réflexion sur le tutorat - L'Église n'a t-elle pas institué le parrainage ?).

En <<reconnaissant>> le couple homosexuel, il y a beaucoup à craindre qu'on rejette l'homosexuel célibataire; que celui-ci soit rapidement considéré <<anormal>>, y compris par les homosexuel/les eux-mêmes. Créer <<l'homosexuellement correct>>, c'est prendre le risque de reproduire la notion de <<mal baisé(e)>>. Pour celles et ceux qui cherchent l'<<âme soeur>>, c'est renforcer leur solitude, pour les autres, c'est les condamner à la réprobation.

<<Reconnaître le couple homosexuel>>, c'est aussi affirmer un droit à la différence puisque c'est dire qu'il n'y a pas une sorte de couple, mais deux. Ainsi perdurera à l'infini la question de savoir s'il faut ou non les mêmes droits pour le couple homosexuel que pour le couple hétérosexuel.

Du choix de l'universalisme

C'est aussi exclure du champ des multiples solidarités les frères et soeurs ou les personnes âgées qui cohabitent. C'est refuser de croire que des liens peuvent exister entre des hébergeants et des hébergés. C'est aussi prétendre qu'aucun projet commun ne vaut en dehors d'une relation sexuelle. Cela frise l'indécence. Pourtant de merveilleuses amitiés ne valent-elles pas parfois de tristes amours ? N'arrive t-il donc jamais que la relation d'un petit-fils et de sa grand-mère ne soit pas plus épanouissante pour l'un comme pour l'autre que celle d'un couple qui se déchire ? N'est-il pas plus humain que deux veuves cohabitent dans la ville qu'elles n'ont jamais quittée que seules au milieu de centaines d'autres seules, à cent kilomètres de leur ancien lieu de résidence, dans ce qu'il y a lieu d'appeler mouroir ?

Des limites à l'égalité

Certains, assez peu nombreux, souhaiteraient, au nom de l'égalité, que le mariage soit autorisé aux personnes de même sexe. Étonnante revendication que celle-ci, au moment où les hétérosexuels se marient de moins en moins et divorcent de plus en plus. Cependant, on pourrait accepter la demande car, après tout, nul n'est obligé de se marier. Mais, une fois encore, celles et ceux qui ne le souhaitent pas n'auraient pas le choix. Ce serait le mariage ou rien. Par ailleurs, on ne peut pas parler d'égalité car, nous l'avons vu plus haut, le mariage est conçu, globalement, pour créer une famille et donc avoir des enfants. Or, jusqu'à preuve du contraire, ce n'est pas simple pour deux personnes de même sexe.

Des certificats de vie commune

Le collectif pour le contrat d'union civile a oeuvré en faveur de la délivrance de <<certificats de vie commune>>. Cette demande concerne les cohabitant/es et se situe donc dans la perspective de l'adoption d'un contrat d'union civile par le Parlement. La Fédération Aides, quant à elle, réclame des <<certificats de concubinage pour les homosexuels>>. Outre que cette demande est irréaliste car un élu ne peut guère s'assurer de l'homosexualité des requérants, elle est actuellement, de fait, dans une impasse. Il faut aller plus loin que de se contenter de donner une valeur juridique au concubinage ou vouloir étendre le champ d'application du mariage. Il est nécessaire de faire preuve d'imagination, d'observer attentivement l'évolution des modes de vie et d'instituer un cadre juridique nouveau qui englobe la diversité de ces modes de vie.

D'autre part, c'est nier l'homophobie comme l'auto-homophobie que de penser que dans un petit village deux homosexuels ou deux lesbiennes iront à la mairie pour qu'on leur délivre un tel document. Présenter une telle demande, c'est aussi donner prise à ceux qui, comme Act-Up Paris, condamne les hétérosexuels qui <<ne font rien>>. En effet, lorsqu'un individu lit le titre d'un article accrocheur sur le concubinage homosexuel, il a, de toute évidence, de bonnes raisons de ne pas se sentir très concerné. Lorsqu'un homosexuel lit un autre titre indiquant <<cancer du sein, encore trop de décès>>, il ne s'attarde généralement pas... Malheureusement, certes, mais c'est ainsi.

Du contrat d'union civile, du contrat d'union sociale et du but recherché.

L'une des grandes différences entre le C.U.C. et le C.U.S., réside en ce que le second projet qui n'a pas été déposé au Parlement, à la différence du premier, exclue les frères et soeurs. En réalité, il semble de plus en plus clair que la référence sexuelle n'a pas disparu de certaines têtes de ceux qui veulent l'établissement d'un nouveau type de contrat. Cette peur est donc confortée par la demande de Aides en ce qui concerne les certificats de concubinage. On peut alors légitimement se demander si ceux qui soutiennent le C.U.S. n'ont pas choisi la stratégie de l'hypocrisie pour faire adopter une loi qui ne vise, en réalité, que les homosexuels. Les hétérosexuels seraient simplement utilisés. Les initiateurs de la proposition de loi sur le contrat d'union civile n'ont pas la même vision : ils désirent sincèrement que l'on cesse de vouloir valider juridiquement des choix sexuels.


Lire aussi l'appel du Monde du 1/3/96.

Last modified: Thu May 30 13:26:14 MET DST 1996
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