La censure sur l'Internet,
le retour de l'ordre moral ?
-Actes du débat-

par Yannis Delmas

GLB - AUI


Dans le cadre de la semaine culturelle de la Lesbian & Gay Pride (du 17 au 22 juin 1996), les GLB (Gais et Lesbiennes Branchés) et l'AUI (Association des Utilisateurs d'Internet) organisaient en commun, le 19 juin, un débat sur le thème La censure sur l'Internet, le retour de l'ordre moral ? Ce débat devait initialement se tenir au Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM), lieu symbolique s'il en est. Après nous avoir donné un accord écrit sans réserve (10 avril), le CNAM nous a refusé son accès au dernier moment (7 juin). La mairie du 3e arrondissement de Paris, non loin, a pu nous trouver une salle en 48 heures. Nous tenons à en remercier Pierre Aidenbaum, maire du 3e arrondissement de Paris, conseiller de Paris, ainsi que Malvina Pin, maire-adjoint du 3e arrondissement de Paris, conseiller de Paris. Nous souhaitons, par ailleurs, exprimer notre gratitude à M. Pierre Montacié.


Nous vous proposons les documents suivants :



Introduction

par René Lalement

Les derniers mois ont vu apparaître des dispositifs de contrôle de l'Internet de nature législative, judiciaire, commerciale ou individuelle. Tantôt, la loi est invoquée (par exemple celles réprimant la pédophilie ou l'incitation à la haine raciale), tantôt c'est une certaine morale, celle des censeurs.

Ces derniers prétendent volontiers que l'Internet bénéficie d'un vide juridique pour réclamer une législation spécifique ; d'autres estiment que la législation actuelle est suffisante mais reconnaissent la difficulté de l'appliquer du fait d'une non-territorialite des réseaux. Et à qui l'appliquer  : auteurs, éditeurs, fournisseurs de connexion, hébergeurs de données, ou simples relayeurs ?

Les autres médias ne sont pas épargnés par ce retour de la censure, mais l'Internet, par sa nouveauté et sa nature, apparaît plus vulnérable. Plus qu'un moyen de communication, l'Internet se revèle être un nouvel espace social qu'investissent désormais toutes sortes d'agents, pour de multiples usages, privés ou publics. Souvent exclues d'autres espaces sociaux, les minorités utilisent dans l'Internet un moyen de visibilité et de solidarité.

Les chercheurs, premiers utilisateurs de l'Internet, pratiquaient une régulation fondée sur le respect mutuel des pairs. Quelles stratégies de contrôle de cet espace émergeront prochainement ? L'autonomie du cyber-citoyen sera-t-elle respectée, ou bien des autorités morales décideront-elles a sa place des informations qu'il peut recevoir ?



Compte-rendu

par Yannis Delmas

Ont participé à ce débat :

Prologue

Dans la mesure où nous disposions de peu de temps pour les prises de parole, nous avions demandé à nos intervenants de se concentrer sur leur domaine de prédilection. Ceci a résulté en un débat extrèmement riche, et d'une densité qui n'aurait probablement pas pû être atteinte dans un colloque. Ceci ne rend pas ma tâche de compte-rendu aisée et le lecteur voudra bien être indulgent. Par ailleurs, j'ai choisi, après consultation, et pour plus d'efficacité, de rédiger des actes synthétiques plutôt que linéaires.

Les propos et questions émanant de participants dans la salle n'ont pu être tous attribués. Les commentaires, ajouts ou retrait entre crochets droits, [ ], sont miens. Les propos sont résumés, donc reformulés, par moi-même, ils ne constituent une citation qu'encadrés de guillemets. Les abréviations, sigles ou mots techniques employés sont expliqués dans les notes et explications.

Actes

    1. L'Internet

      1.a. Introduction

Yves Devillers commence par rappeler que ce qui sera l'Internet est né dans le monde des universitaires et de la recherche privée, autour des UNIXiens et de leurs associations, notamment. Il faisait partie du groupe CNAM-INRIA qui réalisa en 1982 la première connexion IP [« Internet »] française. Il s'agissait alors de fournir au monde de la recherche (publique et privée) des moyens de communication. Depuis 1982, la fourniture de connectivité IP est assurée par la société EUNet (dont la branche française s'est appelée un moment FNet), service qui s'ouvre aux entités publiques et privées en 1989-90. EUNet sera rejoint fin 1993 par RENATER, puis Oléane,...

Yves Devillers rappelle qu'il est très important de bien distinguer l'Internet des autoroutes de l'information (information highways), qui tendent à lui être confondues. Ce dernier projet, principalement promu par le vice-président des Etats Unis, Al Gore, pour continuer d'assurer la suprématie technologique des américains voit d'abord l'information comme source de business. L'Internet, de philosophie beacoup plus pragmatique, attrayant dès le début pour ses services, était, au mieux, vu comme un lieu d'expérimentation, une maquette. C'est par un glissement subtil que les deux projets ont fusionné.

Jean-Yves Bernier présente très rapidement les trois principaux services que l'on peut trouver sur l'Internet, tout en rappelant qu'il est impossible de faire le point sur tous les services existant : leur nombre est grand et en constante évolution.
Le plus connu de ces services est le Web. En caricaturant, il s'agit d'une sorte de super-minitel. Il met en relation des serveurs et des « consomateurs » et les rôles et responsabilités y sont bien définis.
Vient ensuite la messagerie, le mail. Il s'agit de courrier personnel, dont le contenu est généralement considéré comme confidentiel (au même titre que le courrier papier, même s'il n'existe aucune garantie sur ce point).
Nous avons enfin Usenet, qui, comme la messagerie, existait sous une autre forme avant l'Internet. Lui, apporte quelque chose de réellement nouveau : il s'agit d'une « sorte de grand tableau d'affichage ». Les messages qui y sont mis sont diffusés dans le monde entier. Il est public et entre les mains de tous, c'est lui qui est au coeur des diverses affaires que nous avons connues. Les problèmes de responsabilité sont beaucoup plus complexes que pour le Web.

Jérôme Thorel mentionne à titre d'anecdote que F. Fillon, ministre des télécommunication, a défendu la veille son amendement [voir plus bas] en envoyant un message sur les news (groupe fr.soc.divers, information confirmée par son cabinet), il y regrette que celui-ci ait declenché tant de fureur.

      1.b. Vision et connaissance de l'Internet par le Citoyen et le Législateur

Franck Sérusclat rappelle qu'il s'est d'abord intéressé aux nouvelles techniques d'information et de communication (NTIC), en tant que Parlementaire, parce qu'il n'y connaissait rien et avait le sentiment d'être dépassé, sentiment accru par le fait d'être germaniste et de ne pas entendre l'anglais. Il voulait y voir clair. Parmi les nombreuses choses qu'il a apprises en élaborant son rapport, il y a d'abord qu'il ne faut pas dramatiser, ne pas avoir la mystique du 1 et du 0. Les NTIC font partie de la vie au quotidien dans une société comme la nôtre.
Ce que la numérisation induit, de manière générale, c'est l'instantanéité et la massification des données. L'analyse et la navigation y sont donc plus difficiles. Il se pose alors la question de savoir quels sont les apprentissages (d'abord scolaires) essentiels pour pouvoir utiliser ces outils. Par exemple, comment analyse-t-on (puis mémorise-t-on) une image ?

Franck Sérusclat a l'intention d'entrer en connaissance de l'Internet car il y a, dans ce domaine, une réflexion de fond à mener : L'Internet pose un certain nombre de problèmes à un Parlementaire. Croisement des législations entre pays d'émission et de réception, authentification des origines, confidentialité,... il y a là au moins une difficulté intellectuelle.

Yves Frémion rappelle qu'il est urgent d'avoir un grand débat, maintenant, entre tous les responsables et parties impliqués afin d'éclairer les élus qui en ont grand besoin. A ce titre, il explique que la réaction « on coupe tout » des fournisseurs n'est qu'une réponse forte à une attaque forte : chacun pose ses marques pour que le débat puisse avoir lieu. Il ne faudrait pas y voir d'attitude bloquée ou de fin de non-recevoir.

Yannis Delmas constate que là où certains ont l'impression que l'Internet est hors-le-droit, d'autres voient une multitude de lois s'appliquer, parfois de façon contradictoire. Il faut s'interroger sur l'existence de ces interprétations divergentes. Elles dénotent d'abord un manque d'intuition, de vision de ce qu'est ou peut être l'Internet. Une loi nécessite une interprétation : ce qu'est le courrier électronique est clair, ce qu'est un éditeur l'est déjà beaucoup moins, et ce que veut dire « publication » n'est plus clair du tout. Il y a un besoin très important d'éducation et pas seulement des plus jeunes.

Une nécessité similaire apparait au travers de plusieurs autres interventions (Yannis Delmas, Franck Sérusclat, Yves Frémion, Valérie Sédallian, Jean-Yves Bernier).

    2. L'Internet et la Loi

      2.a. Au croisement des lois nationales

Valérie Sédallian rappelle que le premier problème juridique concernant l'Internet vient de ce que certaines informations sont légales là mais illicites ici.

Yves Frémion insiste qu'il ne peut exister de solution nationale et que nous avons besoin d'une certaine harmonisation juridique, notamment en Europe. L'Europe, à l'échelle de laquelle on peut espérer arriver à un accord, peut donner l'amorce d'une harmonisation mondiale, qui, seule, a un sens, tout comme pour l'environement. Ceci c'est déjà vu sur d'autres questions où l'Europe de l'Est ainsi que des pays africains avaient repris les travaux de l'Union Européenne.
Patrick Raffin [dans la salle] objecte que l'harmonisation ne va pas toujours dans le sens de plus de droits. Imaginons ce qui se passerait si l'on devait avoir, aujourd'hui, une législation européenne concernant l'usage de drogue ou l'insémination artificielle pour les lesbiennes.
Pour Yves Frémion tout est dans l'équilibre qu'il faut trouver entre ce qui doit être harmonisé et ce qui n'a pas besoin de l'être. Il faut naviguer entre un ultra-laxisme et une ultra-réglementation qui sont, tous deux, dangereux. Par ailleurs, il y a, selon lui, un « relatif consensus pour rechercher un équilibre entre respect de la liberté d'expression et ne pas ouvrir un espace hors-la-loi. »

      2.b. La Loi et ses principes

Ceci pose le problème des principes sur lesquels les lois régissant le contenu de l'Internet peuvent reposer.

Valérie Sédallian rapelle que le droit pénal se fonde avant tout sur la présence ou non d'une volonté délibérée. Certaines des affaires portées devant la justice française récemment accusaient pénalement des FAI alors qu'ils n'avaient manifestement aucune intention de nuire. On ne peut raisonnablement demander aux FAI de lire tous les messages des news qui transitent par eux. Le problème est tout différent quand il s'agit de groupes de discussion connus ou au nom explicite.
Valérie Sédallian et Yves Devillers rappellent à ce sujet que le jugement récemment rendu sur l'affaire UEJF, s'il fait jurisprudence, n'a qu'une portée très limitée. L'UEJF a été déboutée de sa plainte, mais cela tient essentiellement au fait qu'il s'agissait d'une plainte en référé, procédure qui ne vise qu'à statuer sur des troubles irréparables qui demandent une action urgente, ce qui n'était manifestement pas le cas ici. Par ailleurs la question était mal posée, trop générale.

« En tant que militant anti-censure [Yves Frémion se dit] très réservé sur toutes les lois spécifiques », pour un problème donné, ou pour l'Internet. Il faut de bonnes lois générales. Il faut une bonne loi anti-raciste. Il manque une vraie loi anti-sexiste. Le droit d'auteur doit être mieux assis.

Yves Frémion et Jean-Yves Bernier insistent sur le fait que toute la différence légale se fait entre un acte d'acquisition volontaire, comme de lire une page Web, et une vision obligée, comme de voir une affiche dans la rue. On ne peut absolument pas légiférer de la même manière dans les deux cas.

Dans la mesure où les grands principes de la liberté d'expression sont convoqués, Yannis Delmas rappelle qu'il est important de faire une distinction nette entre ce qui est de l'expression et ce qui est de l'acte. En France, le révisionisme est un acte alors qu'il s'agit d'une expression d'opinion outre-atlantique. Un participant dans la salle rapelle qu'inversement un certain nombre de textes (non d'images) à caractère pédophile sont ici de l'expression, et même de l'oeuvre littéraire, alors qu'il s'agit d'actes (répréhensibles) Outre-Manche.

Les intervenants ont beaucoup insisté sur un principe de responsabilité (voir plus bas).

      2.b. La censure

Franck Sérusclat rappelle que 1877 voit l'interdiction du colportage et la censure sur les ouvrages. La loi sur la presse, qui donne des possibilités d'intervention dans des cas d'abus (diffamation,...), date de 1881. Les débats sur la censure, au Parlement, sont toujours difficiles. Il cite le cas du livre Suicide, mode d'emploi pour lequel il avait demandé qu'il n'y ait pas d'interdiction légale car celle-ci en aurait entraîné beaucoup d'autres qui ne se justifiaient pas.

Yves Frémion insiste sur le fait que si en tant qu'écrivain il doit souvent émettre des jugements esthétiques ou artistiques, cela ne lui est pas possible en tant que législateur, ce qui rend les limites juridiques très difficiles à poser. Ainsi Lolita de Nabokov a un caractère pédophile marqué, mais n'est essentiellement lu que pour sa beauté littéraire. (Sur une question de la salle Valérie Sédallian rapelle que seules les images pédophiles sont explicitement prohibées.)
Patrick Raffin [dans la salle] nous dit sa surprise quand, à l'occasion de ses travaux sur l'Internet, il s'est rendu compte de l'invraisemblable quantité de choses explicitement interdites par la loi française. Quand on joint cela au flou (par méconnaissance) qui entoure ces interdits, on en arrive à une autocensure bien plus importante encore que ce que ne prévoit la loi.

Yves Frémion mentionne que, de surcroit, chaque leader de parti politique (ou sa femme) a fait censurer quelque chose (article, ouvrage ou dessin). Par ailleurs, il rappelle que la loi de 1948 sur la protection de la jeunesse sert toujours à autre chose : pour cela elle n'est pas bonne. De toute façon, les livres pour enfants sont d'abord achetés par les parents et s'ils ne convenaient pas ils ne se vendraient pas. « La première censure est économique. »

Franck Sérusclat s'inquiète de ce que nous ayons de plus en plus d'injonction et d'inscriptions dans la loi civile de préceptes moraux. La mondialisation rend alors les choses très difficiles tant « la situation [est] hétéroclite ». Ne serait-ce qu'en Europe il n'y a pas d'harmonisation sur la procréation médicalement assistée. Avec les Etats-Unis la différence est encore plus forte.

Valérie Sédallian évoque le cas d'un site Web révisioniste mis en place par un néo-nazi Outre-Atlantique. Des Allemands s'en étaient inquiétés et une filiale de Deutsche Telecom a fini par interdire l'accès à ce site, bloquant du même coup l'accès à un certain nombre de serveurs parfaitement licites présents sur le même site. Très rapidement un grand nombre de copies ont été réalisées y-compris sur des sites aussi prestigieux que le MIT, qui ne pouvait pas être interdit d'accès. Certaines de ces copies ont été réalisées par des militants libertaires ou des activistes juifs qui ne tenaient pas à ce que ce serveur soit privé de la liberté d'exprimer ses opinions.

Au delà des problèmes intrinsèques de la censure, Yves Frémion rappelle que « la réponse castratrice, la première, est un paravent qui sert à ne pas faire le vrai travail qui doit être fait. » Si la société résiste moins aux théories néo-nazies ou révisionistes, ce n'est pas du côté de l'Internet qu'il faut chercher la cause. « C'est un problème de société, pas de technologie. » Il y a un travail de fond à effectuer qui l'est de moins en moins, travail d'éducation, de culture, de réappropriation de l'histoire. Pour les jeunes générations il n'y a plus de contact direct avec cette part de notre histoire, qui apparaît au même titre que la Révolution française ou le Moyen-Age. L'éducation, sur ce point, ne peut plus se concevoir de la même façon.

    3. L'Internet et la citoyenneté

      3.a. Responsabilité et liberté

Il y a une certaine cohérence, pour Yves Frémion, entre les récentes attaques en justice de FAI et le fait qu'un kiosquier qui vend du pédophile sans le savoir peut être inquiété. C'est idiot dans les deux cas. A l'inverse, il ne faudrait pas vouloir déresponsabiliser les FAI.

Pour Valérie Sédallian le procédé est simple : les récentes affaires concernaient les news, sur lesquelles il est parfois difficile de retrouver l'émetteur d'un message, lequel est très souvent hors de France. Ne pouvant se retourner contre l'émetteur d'un message, on se retourne sur les fournisseurs d'accès, qui sont sous la main. Dans les deux cas pourtant ils n'étaient que relai, fournisseurs d'accès potentiel.

Quelqu'un dans la salle demande si l'on n'a pas trop tendance à confondre l'Internet avec les médias traditionnels qui ont très peu d'émetteurs. Ici, a priori, tout le monde peut s'exprimer.
Selon Yves Devillers, on dispose pour les médias traditionnels d'une notion de responsabilité bien définie (par exemple si un journal relate anonymement des propos, c'est le directeur de publication qui en est responsable) alors qu'elle est beaucoup plus difficile à définir pour l'Internet, ne serait-ce qu'à cause des possibilités d'émissions de messages anonymes (remailers).

Un Britanique dans la salle s'insurge contre ces attaques du « principe sacré de la liberté d'expression » qui prime tous les autres, ce à quoi Yves Frémion répond que « Il n'y a pas de liberté sans responsabilité. La limite de ma liberté, c'est ma responsabilité. La condition de ma responsabilité, c'est ma liberté. » Yves Devillers abonde dans ce sens « Il est essentiel, pour que j'aie le droit de m'exprimer, que [je puisse] être poursuivi. » Il reconnaît qu'il y a des cas exceptionnels (informateurs), mais alors la responsabilité est endossée par quelqu'un d'autre.

Yves Devillers précise que les remailers ne le gêneraient pas tant si leurs gestionnaires assumaient la responsabilité des propos anonymes qu'ils retransmettent, ou encore dans la mesure où ils seraient capable de transmettre une identité à la justice, si nécessaire. Mais « quand l'outil Internet a été [...] capturé par cette tentative d'autoroutes de l'information, il l'a été avec ses avantages, ses services, une pratique, mais aussi avec tous ses inconvénients. » Certains problèmes ont été ignorés parce qu'on pouvait les traiter autrement : traditionnellement, ces déficiences de l'Internet étaient compensées, noyées. (Par exemple une chain-lettre est extrêmement mal perçue.) Il y avait une règle, la nétiquette (Yannis Delmas). « On le livre [ensuite], le propos est excessif, à des hordes de huns sans foi ni loi. » L'outil est inapproprié à un usage grand public. Les remailers ne sont qu'un épiphénomène, l'emploi actuel des news finira par entrer en conflit avec les principes de certains états (liberté d'expression, responsabilité,...).
Il se souvient qu'ils envoyaient les mots de passes des utilisateurs par lettre recommandée avec accusé de réception, pour être sûr de s'adresser à la bonne personne. Maintenant plus personne ne fait ça. Quelqu'un dans la salle dit même qu'il est possible d'ouvrir un compte avec du cash, voire du cybercash plus tard. Pour Yves Devillers, cela devra peut-être être réputé inadmissible.

Yves Frémion rappelle également qu'en plus de la loi, la pratique est importante : « dans n'importe quel pays démocratique PPDA aurait sauté immédiatement. »

Yves Devillers répond à une question de la salle qu'il est possible d'authentifier des messages et que l'authentification peut présenter un intérêt économique mais qu'il faut bien se garder de vouloir trop en faire ni tout certifier. Le chiffrement n'est que rarement nécessaire et cela risquerait un jour de nous retomber dessus. Il a été important à une certaine époque en Europe que certains papiers, en clair, puissent tomber « négligemment » de certains camions. Il ne faut pas bloquer cela.

      3.b. Citoyenneté et civisme

Pour Yves Devillers, une des forces de l'Internet a été de savoir éviter « de se faire des noeux au cerveau ». Quand un problème est insoluble, on ne le traite pas. Au début, le problème du financement était insoluble, alors on a demandé à la NSF de financer. A l'époque Internet n'aurait pas pu tenir s'il avait été ouvert au monde commercial.
De la même façon, comme on ne savait pas comment gérer la sécurité, on a décidé de ne pas la gérer et on l'a « remplacée par un comportement sociable ». Il s'est développé un « code de bonne conduite cautionné par la réputation scientifique des gens qui s'en servaient. » A l'époque, quand on se sentait attaqué par un message, les premières réponses que l'on rédigeait partaient à la poubelle, et on ne rédigeait sa vraie réponse que plus tard.

Pour Yannis Delmas la manière de poser les questions concernant l'Internet (sur le filtrage ou la censure, par exemple) pose un réel problème de conception de la citoyenneté et de la démocratie (qui est un idéal dans les pays moteurs de l'Internet). Dans nombre de cas, les méthodes employées ne semble pas s'adresser à des utilisateurs responsables. Et qu'est une république sinon une communauté de citoyens responsables ? « Une république comme la nôtre [...], si elle se veut démocratique, doit être, aussi, une démocratie participative. » L'Internet aurait là quelque chose à enseigner : s'y sont développés une très forte tradition de civisme et de démocratie participative, dans un sens un peu différent de celui qu'on entend en ce moment. Cela mérite d'être entretenu, promu, mais aussi utilisé en dehors du champs de l'Internet.

      3.c. Internet dans la société

Pour Yves Frémion le problème de l'Internet se posent aux pouvoirs publics et aux états dans toute sa complexité. Pour la partie qui concerne l'enseignement de l'analyse d'image qu'il connait bien, il se souvient de s'être heurté à un mur à l'époque des socialistes. Pour Franck Sérusclat, le mur est toujours là. Yves Frémion d'ajouter que maintenant nous en sommes au pied.

Pour Franck Sérusclat l'Internet, par ses possibilités d'interrogation des élus qui ne pourront plus être « téléphone-absents », offre de bonne possibilités de démocratie interne. Mais il faut savoir qu'en faire tant le projet de démocratie directe électronique des républicains américains semble un scénario catastrophique. Mais les changements révolutionnaires qui ont pu être prédits par le passé ne sont pas toujours avérés : le minitel rose, par exemple, n'a pas été une « conversion totale de la société » (il a même pu aider un certain nombre de personnes).
Pour lui, c'est peut-être la grande dimension de l'Internet qui fait peur, mais c'est probablement pour la civilisation « une chance aussi grande que la possibilité de lire et écrire. »

Un des aspects qui font que Yves Frémion s'intéresse tant à l'Internet est que, étrangement, les tenants de l'ordre moral agissent autant contre l'Internet que sur l'Internet.

Pour Yannis Delmas il est important de ne pas perdre de vue que la réalité de la toile, du web, dépasse la simple information. L'expérience du serveur homosexuel La France Gaie et Lesbienne le montre : « un certain nombre de gais et de lesbiennes viennent chez nous pour se sentir entourés d'homos, et j'emploie le terme  »chez«  à dessein. » L'information (en général) présente cet aspect social de proximité. Selon lui, ce qui est déjà vrai pour la littérature, l'est d'autant plus pour un medium qui peut-être ressenti comme un lieu : la métaphore « géographique » du Web, sans tomber dans la cybermanie, est très présente.

    4. Le filtrage et le choix des informations sur l'Internet

      4.a. L'amendement Fillon

La liberté d'expression est garantie par les articles 2bis et 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. Il s'agit d'une liberté de penser et d'exprimer ses idées tant que l'on ne nuit pas à d'autres. Pour Franck Sérusclat le problème de la censure se pose simplement : qui décide? Des photographes qui avaient pris des photos de l'attentat de Saint-Michel passent en ce moment en jugement : certains ont estimé qu'ils étaient blessés par ces images.
Dans l'amendement Fillon il est question que ce soit le Comité Supérieur de la Télématique (CST) qui décide. Qui s'en chargera? Et comment? Les FAI seraient exonérés s'ils respectent certaines règles. On aimerait savoir lesquelles. « Est-ce qu'il s'agit d'ouvrir les colis de la poste? Peut-on inquiéter le kiosquier? » C'est une « proposition beaucoup trop hâtive » qui ne peut rester en l'état.
Vincent Moisselin [assistant parlementaire de Franck Sérusclat, dans la salle] précise qu'un recours sera présenté devant le Conseil Constitutionnel [ce recours a été déposé le 24 juin 1996 par un groupe de sénateurs socialistes].
Pour le Sénateur, cette proposition a au moins le grand mérite d'obliger à réfléchir. Il déclare plus tard qu'il faut forcer les Parlementaires à s'intéresser à ces problèmes, à réfléchir. Au delà des élus, il faut parler aux partis politiques, de Gauche comme de Droite qui « restent enfermés dans la société d'aujourd'hui [et n'ont] aucun projet de la société de demain. »

L'AUI demande simplement le retrait de l'amendement Fillon.

Pour Jean-Yves Bernier, il existe effectivement des outils de filtrage qui sont censés être applicables. Mais il reste circonspect. Il faut bien être conscient, avant toute chose, que les informations ne défilent pas d'elles-même à l'écran comme pour la télévision : il faut un choix, une action volontaire. « C'est le premier filtre. [...] Pour l'effectuer il n'y a pas besoin de logiciel. [...] Il est extrêmement improbable que vous tombiez sur des informations qui offensent votre éthique. »
Yves Devillers, à qui l'on pose la question sur la technique, répond « oui,... on peut... il faut encore le logiciel ». Il se montre peu convaincu.

Jean-Yves Bernier rappelle l'existence de systèmes dits de contrôle parental, mais immédiatement se pose le problème des catégories et de leur définition. Cela suppose par ailleurs un marquage, qui pose des problèmes importants.

Yves Devillers, à qui on demande son avis technique, répond que « c'est complètement farce. [...] Au moins quand vous lisez Télérama, vous savez que l'avis que vous lisez est l'avis de l'Office Catholique du Film » et vous prenez votre décision sachant ça. Mais le marquage, qui va le faire? la source ou la destination? D'un côté que valent des avis aussi divergent que ceux de la Virginie et du Danemark des années 60, par exemple? De l'autre, imagine-t-on des milliers de gens à lire les news? C'est encore une forme de censure. « Ça [ne] tient pas la route. »

Jérôme Thorel rappelle que « le filtrage devient un gros business. » Des société vendent tant des logiciels que des listes rouges du mois. Les parent déchargent ainsi leur responsabilité sur des sociétés privées et ont, de fait, de moins en moins de choix. Le risque est aussi là. « [Il n'est] pas vrai du tout que ce soit la solution de l'usager final. » C'est dans la loi, mais après,... qu'en fait-on? « C'est un gadget, pas une solution. »

Valérie Sédallian rappelle que parmi des milliers de messages en circulation, seuls certains sont illicites en France, tout en étant licites ailleurs, généralement dans leur lieu d'émission (par exemple pour le négationisme). C'est aussi l'avis du Sénateur Sérusclat qui pense que mise en relation d'une quantité de personnes, d'une grande majorité sans problème, la minorité ne demande peut-être pas qu'on mette les projecteurs dessus.


Notes et éclaircissements

Notes

Eclaircissements

affaire UEJF
En mars1996, l'Union des Etudiants Juifs de France (UEJF) assignait en référé plusieurs FAI au titre de « complicité de diffusion de thèses négationistes » dans la mesure où, par les news, ils laissaient libre l'accès à de telles thèses. C'était le cas de la quasi-totalité des FAI privé, publics, voire institutionnels.
affaire des deux fournisseurs accusés de publication pédophile
même la presse bien informée  a parlé de réseaux de pédophiles
amendement Fillon
Le 5 juin 1996 la Commission des Affaires économiques du Sénat adoptait le contrôle du contenu de l'Internet par le Comité Supérieur de la Télématique (CST), organisme placé sous la tutelle du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA). Ce texte assure une exonération pénale pour les prestataires de services qui auront respecté les recommandations du CST.
L'AUI a demandé le retrait de cet amendement, qualifié de précipité, inutile, injustifié, techniquement inapplicable, et dangereux pour la démocratie et la liberté d'expression : voir son dossier très complet à ce sujet.
Un recours devant le Conseil Constitutionnel contre la loi sur la réglementation des télécommunications a été déposé par le groupe socialiste du Sénat le 24 juin 1996.
courrier électronique, e-mail, « le mail »
un des services de l'Internet, qui permet l'envoi de messages d'un usager de l'Internet à un autre ; assimilable à la correspondance privée
FAI, fournisseur d'accès à l'Internet
société, organisme ou individu disposant d'une connexion à l'Internet et offrant, à titre commercial ou non, un service de connexion à l'Internet à des tiers (clients, employés, membres, amis, etc)
groupes de discussion, forums, newsgroups, « les news », Usenet
Usenet est un des plus vieux services de l'Internet. Ses groupes sont généralement ouverts à tous les utilisateurs du réseau. Chacun peut, a priori, y participer. Dans certains cas les messages sont filtrés par un « modérateur ». Les messages sont échangés et stockés par un grand nombre de serveurs sur la planète. La plupart des solutions techniques de l'Internet y ont été développées.
NSF, National Science Foundation
Organisme étatsunien de financement de la recherche scientifique.
remailer (réexpéditeur)
Service de l'Internet permettant de réexpédier du courrier. Permet techniquement d'émettre des courriers anonymes. L'opérateur du remailer connaît cependant, en général, l'identité de ses utilisateurs. Chez certains FAI fournissant un service de courrier, l'identité de l'expéditeur n'apparaît pas par défaut.
ruban bleu,
Le ruban bleu symbolise un attachement aux valeurs de la liberté d'expression sur l'Internet. Il se porte parfois au revers de la veste mais aussi sur les pages de garde des serveurs Web.
PPDA, Patrick Poivre d'Arvor
Présentateur vedette de la chaîne française de télévision TF1. A truqué une entrevue télévisée avec Fidel Castro.
Web, toile, WWW, World Wide Web
Réseau de documents hypertextes intégrant divers services proprement dits (édition de textes, serveurs de fichier, Gopher, consultation de bases de données, vente par « correspondance »,...). Les documents, présents sur des serveurs identifiés, sont explicitement demandés par l'utilisateur.


25 juin 1996, Compte-rendu par Yannis Delmas, © 1996 Gais et Lesbiennes Branchés & Yannis Delmas
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