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PACS
Les nouveaux habits de l'homophobie

 

La journée s'annonçait très longue, avec plus de 850 amendements au programme ; elle s'est achevée à 15h30 par la déroute de la majorité et le rejet inattendu du PaCS. Cet événement a cependant occulté les discussions qui sont d'une importance capitale dans la compréhension de l'évolution du discours politique sur l'homosexualité et la société.

J.-P. Michel Cela fait plusieurs années que l'homosexualité n'avait pas été au centre d'un débat parlementaire. D'emblée elle l'a été, Jean-Pierre Michel commençant par déplorer « la croisade de ceux qui refusent l'évolution des moeurs avec, hélas, la bénédiction des plus hautes autorités religieuses, qui ont une vision rétrograde de l'homosexualité conçue comme pathologie » puis rappelant que le texte présenté est issu « d'une revendication exprimée par les associations homosexuelles et les associations de lutte contre le sida dans les années 1990 ». À son tour, Patrick Bloche commençait ainsi : « De la tolérance à la reconnaissance (...) Longtemps proscrits, ceux qui ne peuvent pas se marier vont enfin disposer d'un statut ce que la jurisprudence elle-même ne leur avait pas accordé! ». Catherine Tasca précisait qu'il s'agissait bien de « mettre un terme à une discrimination », et de « reconnaître un droit de cité aux homosexuels ». Plus tard, Elisabeth Guigou affirmait que « la tolérance, ce n'est pas assez, car elle est trop fragile et trop souvent octroyée comme une aumone. La tolérance, c'est bien ... », Patrick Bloche complétant, « ... mais la reconnaissance c'est mieux ».

J.-F. Mattei Elle répondait ainsi à Jean-François Mattei, qui a défendu l'exception d'irrecevabilité par un discours du plus grand intérêt, car il s'y découvre l'état d'esprit de la droite, en 1998. La première partie de ce long discours, « vers la conquête d'une plus grande liberté », était surprenante d'humanisme. Comme les deux rapporteurs, il commença par évoquer les homosexuels, mais contrairement à eux, désigna leur « communauté, particulièrement exposée [au sida], longtemps ignorée et même considérée comme délinquante. [...] Il serait inacceptable de l'exclure ou de la condamner. La conquête de la liberté impose le respect de l'autre dans ses choix et ses différences. Mieux, elle exige de venir en aide à celui dont la liberté est menacée. ». Jean-François Mattei alla jusqu'à concéder qu'il y avait injustice : « Il est vrai en revanche que le concubin homosexuel ou hétérosexuel considéré comme un tiers dans la succession se voit appliquer un régime fiscal défavorable, qui est une certaine forme d'injustice. »

Hélas, cette étonnante tolérance tourna court quand on entendit qu'elle était limitée à la sphère privée de l'individu homosexuel, et que celui-ci ne devait accéder à aucun titre à un lien social reconnu : « le traitement équitable et respectueux des homosexuels, digne d'une société moderne comme la France, relève du droit à la protection de la vie privée, non du principe d'égalité ». Pourquoi ? Parce que ces couples ne se reproduisent pas. Jean-François Mattei n'imagine pas d'autre forme d'utilité sociale que la (re-)production : « il n'est donc pas équitable que des couples n'ayant par définition aucune vocation à avoir des enfants soient traités par la société sur le même plan que les autres ». Et de se dédouaner aussitôt de toute accusation de discrimination : « on ne peut raisonnablement considérer la différence de traitement entre couples hétérosexuels et homosexuels comme une discrimination ».

E. Guigou Au contraire, il semble que la gauche ait découvert la valeur intrinsèque du couple dans la société. Ainsi Elisabeth Guigou justifiait l'invention du PaCS « parce qu'il est de l'intérêt de tous de reconnaître tout ce qui, dans une société de plus en plus atomisée, de plus en plus livrée à des égoïsmes individuels et où la solitude ne cesse de gagner du terrain, peut retisser du lien social ». C'est sur cette utilité sociale, à laquelle couples hétérosexuels et homosexuels contribuent également, que repose la valorisation sociale et la légitimation du couple, comme l'expliqua Elisabeth Guigou : « Il valorise la vie commune reposant sur la solidarité. ». Ainsi, comme le dénonce d'ailleurs Jean-François Mattei, « se profile la légitimation sociale de l'homosexualité ». Et pourquoi pas ? En tout cas, c'est bien l'homophobie qui se profile sous le masque de la tolérance. Le recours à l'« anthroplogie sociale historique », ou à n'importe quel savoir, ne tiendra jamais lieu d'éthique.

Il s'agit bien de la confrontation de deux philosophies, ce que Jean-François Mattei avoua naïvement, et aussi maladroitement. Il y aurait selon lui deux politiques familiales, la sienne orientée vers la « survie [biologique] de la société » , et celle de la gauche, qui « s'apparente à une politique de solidarité et de redistribution ». En ignorant complètement la nécessité d'une cohésion sociale, ou bien en faisant reposer cette cohésion sur la seule famille, Jean-François Mattei écarte délibérément du « tissu social » tous ceux qui ne contribuent pas à la reproduction de la société.

Mais alors comment comprendre qu'étant si épris de biologie, il reproche au PaCS de n'être « pas un pacte de solidarité, mais de sexualité » ? Fin observateur, il relève que la notion de couple, les restrictions empêchant la polygamie et l'inceste n'ont d'explication que si le PaCS est sexualisé. C'est ce qu'avait confirmé Elisabeth Guigou (il concerne des « personnes présumées avoir une communauté de toit et de lit »), tranchant ainsi un débat sur l'intégration des fratries dans le PaCS.

P. Bloche En fait, ce qui le gène peut-être le plus, c'est qu'il y ait de la sexualité en dehors du mariage, et que c'est finalement cette sexualité présumée qui fonde la société à valoriser le couple. À cet égard, le coup le plus fort fut porté par Patrick Bloche, même s'il ne fut pas relevé par la droite : « Le déclin du mariage est une réalité statistique. Cette formule ne doit pas rester l'unique norme. Le mariage est un choix de vie parmi d'autres. ». Que la gauche plurielle, sans vraiment le claironner, propose une pluralité des normes, voilà sans doute qui dépasse ce que les chrétiens-conservateurs peuvent supporter. Et pourtant, c'est sur cette pluralité des normes, ou plutôt des modèles, que repose le plein épanouissement de l'individu, qui y trouve alors la force de lutter contre la pression sociale. Ceci concerne plus particulièrement les jeunes découvrant leur orientation homosexuelle, mais aussi tous dont les conditions de vie, les convictions morales ou simplement la précarité ne permettent pas d'envisager le mariage comme un idéal. Dans ce débat, si la gauche a pris conscience de la première utilité sociale du couple en tant qu'instrument de cohésion de la société, nul n'a dit mot de cette seconde utilité sociale du couple, du couple légitimé par un contrat : donner d'autres repères, notamment aux jeunes.

Les opposants prendront donc l'exact contre-pied de ce qui justifie réellement le PaCS. Pas de « consécration », mais une « constatation ». Pas de cohésion, mais une division sociale : au lieu d'un statut universel, un « statut des concubins hétérosexuels » et « en délivrant une attestation de vie commune aux couples d'homosexuels ». Pas de reconnaissance, mais une charitable tolérance, avec l'octroi parcimonieux de mesures fiscales et sociales.

On peut mesurer le chemin parcouru depuis les années 60, ou même depuis les débats sur l'âge de consentement, il y a 16 ans. L'homophobie est désormais plus aimable, elle parle désormais de respect, de liberté, voire de droits, pourvu qu'ils ne soient que patrimoniaux, mais reste autant méprisante. Si certains députés de la gauche plurielle ont manifesté par leur présence leur engagement pour le PaCS, que dire de ceux qui ont volontairement déserté l'Assemblée, et qui ont préféré se taire et se terrer lâchement dans leur fiefs ?

René Lalement

Lire la lettre ouverte d'un internaute de Marseille.

 

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12/10/98 © Gais et Lesbiennes Branchés