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L'Optimisme face aux " nouveaux traitements " et son impact sur les comportements

L'Optimisme face aux " nouveaux traitements " et son impact sur les comportements préventifs

Depuis l'introduction de traitements anti-rétroviraux plus efficaces à partir de 1996 et la mise à disposition plus récente de la prophylaxie post-exposition, le thème de l'impact des nouveaux traitements sur la prévention a fait couler beaucoup d'encre. Amorcée dès l'enquête 1997 (Adam et al., 1999 (c et d)), cette problématique constitue un axe d'étude prioritaire pour l'enquête presse gay 2000 (dix neufs questions lui étaient consacrées). Avant de tester l'hypothèse d'un lien éventuel entre l'introduction des nouveaux traitements et les prises de risques, nous étudierons le niveau de connaissances des lecteurs de la presse gay face à ces avancées thérapeutiques puis les modifications éventuelles qu'elles ont pu introduire dans leurs attitudes face à la prévention.

  • Connaissances des nouveaux traitements anti-rétroviraux et de la prophylaxie post exposition

La quasi-totalité des répondants de l'enquête 2000 (93%) pensent que les nouveaux traitements (et notamment les multi-thérapies) permettent de vivre plus longtemps avec le VIH. Les trois quarts (73%) considèrent qu'ils permettent " de réduire la présence du virus (la charge virale) chez les séropositifs ". Enfin, seuls 0,7% des répondants pensent que les nouveaux traitements permettent de guérir du sida. La quasi-disparition parmi les lecteurs de cette fausse croyance (dont on avait montré lors de la précédente enquête qu'elle contribuait à l'époque à un relâchement de la prévention) pourrait résulter des campagnes d'informations menées par les pouvoirs publics et des efforts pédagogiques faits par la presse homosexuelle sur ce thème. Rien ne permet cependant de dire si cette fausse croyance se maintient ou non parmi les non lecteurs ou les non répondants à l'enquête.

Une série de questions abordait le thème de la prophylaxie post-exposition (PEP). La plupart des répondants (68%) ont entendu parler " d'un traitement d'urgence qui, pris juste après un rapport à risque, peut empêcher de devenir séropositif ". Le taux de connaissance de la PEP varie très fortement selon le profil des répondants. Il est plus faible chez les moins de 25 ans (60%) que chez les 35-44 ans (73%). Les répondants ayant un niveau de diplôme inférieur au Bac sont moins informés que ceux ayant un niveau de 3ème cycle universitaire (56% contre 77%). Le fait d'être au courant de l'existence de la PEP est moins fréquent en province (64%) qu'à Paris (78%). Le profil socio-sexuel intervient également. Les bisexuels sont moins informés que les homosexuels (56% contre 69%). De même, alors que le taux de connaissance se situe autour de 60% chez les hommes qui n'ont eu que quelques partenaires sexuels dans l'année, il atteint 83% chez ceux qui en ont eu plus de cinquante. Ces différentes indications suggèrent que le fait d'avoir entendu parler de la PEP tient non seulement au niveau d'éducation mais au fait d'être potentiellement concerné par ce recours du fait de son mode de vie. Enfin, la dernière variable qui intervient est le statut sérologique : le taux de connaissance est de 46 % chez les hommes non testés, de 69% chez les testés négatifs, et atteint un maximun de 88% chez les testés séropositifs qui, outre le fait d'être plus souvent que les autres multipartenaires, sont bien entendu très informés sur toutes les avancées médicales dans le domaine du VIH/Sida, comme c'est le cas également des couples sérodifférents (85% des hommes qui se trouvent dans cette situation ont entendu parler de la PEP).

Plusieurs questions complémentaires permettaient d'étudier le recours éventuel ou effectif à la PEP. Parmi les répondants non infectés par le VIH et ayant entendu parler de la PEP, 65% déclarent qu'ils iraient consulter un médecin pour recevoir un traitement d'urgence en cas de prise de risque, 9% déclarent qu'ils n'iraient pas consulter et 26% disent ne pas savoir quelle serait leur attitude. Pour certains répondants ce scénario de recours ne correspond pas à une réalité abstraite. En effet, 218 répondants ont déclaré avoir déjà consulté un médecin pour recevoir un traitement d'urgence après une prise de risque. Dans 16% des cas, le risque avait été pris avec un partenaire stable, dans 83% avec un partenaire occasionnel et quelques répondants (<1%) ont précisé de façon manuscrite que la consultation avait eu lieu après une exposition liée à leur activité professionnelle (par exemple, lors d'une piqûre faite par le personnel médical, etc.). Au total, parmi les 218 répondants qui ont consulté, la moitié environ (112 personnes) se sont vus prescrire une PEP.

  • Avoir le sentiment de se protéger moins qu'avant

En 2000 comme en 1997, deux questions très directes permettaient de connaître les opinions des répondants face à l'éventualité d'un relâchement collectif ou individuel de la prévention induit par l'existence des nouveaux traitements19 (voir le tableau n°12).

Tableau 12 - Opinions sur les nouveaux traitements contre le VIH/sida

La proportion des hommes " tout à fait d'accord " ou " plutôt d'accord " pour dire " qu'en raison de l'existence des nouveaux traitements, les homosexuels, se protègent moins qu'avant " est passée de 45% en 1997 à 70% en 2000 [soit 69,5% en taux standardisé].

Dès 1997, nous avions constaté que la proportion d'individus se déclarant personnellement concernés par ce phénomène était plus faible. On retrouve ce phénomène en 2000 mais avec une hausse significative du relâchement individuel. En effet, alors que 8% des répondants de l'enquête 1997 étaient " tout à fait d'accord " ou " plutôt d'accord " pour dire " qu'en raison de l'existence des nouveaux traitements, ils se protégeaient moins qu'avant ", ce taux passe à 12% en 2000 [soit 11% en taux standardisé]20.

En analyse univariée, le fait de déclarer avoir tendance à se protéger moins qu'avant en raison des nouveaux traitements est lié à l'âge, au nombre de partenaires, et au statut sérologique. Cette déclaration passe de 7% chez les moins de 25 ans à 16% chez les "45 ans et plus". Elle augmente également avec le nombre des partenaires sexuels dans l'année : de moins de 10% chez les hommes qui ont eu jusqu'à 10 partenaires à 25% chez ceux qui en ont eu plus de 50. Enfin, alors que le taux de répondants qui déclarent avoir tendance à moins se protéger en raison de l'existence des nouveaux traitements se situe autour de 10% chez les non testés et les testés séronégatifs, il avoisine 25% chez les séropositifs. Chez ces derniers, ce taux est passé de 17% à 25% entre 1997 et 2000.

L'analyse montre que cette déclaration (" avoir tendance à se protéger moins qu'avant en raison des nouveaux traitements ") est majoritairement liée à des prises de risque réelles21. Il nous restait à vérifier que le sentiment de relâchement préventif exprimé par les répondants était bien induit par les nouveaux traitements et, plus précisément, par les changements qu'ils avaient pu introduire dans la perception du risque de transmission du VIH.

  • Mesure de l'optimisme face aux nouveaux traitements et de son impact sur les comportements préventifs

Pour cerner les changements de perceptions pouvant exercer une incidence sur la façon de gérer le risque, nous avons repris une série de questions (voir le tableau n°13) proposées par l'équipe australienne de van de Ven et al. (van de Ven et al., 2000)22. Ces questions ont été choisies, parmi beaucoup d'autres, pour refléter au mieux les différentes dimensions de l'optimisme observées sur des données expérimentales beaucoup plus détaillées.

Tableau 13 - Echelle d'optimisme face au nouveaux traitements

La part des répondants qui pensent qu'"avec les nouveaux traitements, le VIH/Sida est une menace moins sérieuse qu'il ne l'était" est de 16%. Pour autant, ceci ne signifie pas que les gays considèrent qu'en terme de prévention ils peuvent baisser la garde. En effet, la plupart des répondants (92%) s'accordent pour dire que "tant que l'on ne peut pas guérir complètement du sida, le safer sex reste la meilleure pratique". Les répondants qui pensent qu'"avec les nouveaux traitements, on va pouvoir avoir des rapports sexuels sans crainte", sont quasi inexistants (<2%). Un élément de nuance doit cependant être apporté dans ce bilan positif qui montre que, pour certains, le risque perçu n'est cependant plus le même. Près d'un homme sur dix (11%) n'est pas d'accord avec l'idée selon laquelle "quelle que soit la charge virale, il est toujours risqué de pratiquer la pénétration anale sans préservatif".

Les questions très pointues sur l'impact perçu de la charge virale sur le risque de transmission ou sur la dynamique globale de l'épidémie sont peu discriminantes. Seuls 3% des répondants pensent qu'"une personne à charge virale indétectable ne peut pas transmettre le virus". La part des hommes qui considèrent que "les séropositifs à charge virale indétectable n'ont pas tellement à s'inquiéter de contaminer les autres" est encore plus réduite (<2%). De même, 3% de répondants pensent que " si tous les séropositifs prenaient les nouveaux traitements, l'épidémie serait terminée ". La part des hommes qui pensent qu'" avec les nouveaux traitements, il y a moins de personnes qui s'infectent " est plus élevée (8%). Au total, pour la plupart des questions précédentes, la part des réponses qui vont dans le sens d'une diminution de la transmission induite par l'existence des nouvelles thérapies est très réduite.

Les réponses données à la question sur l'impact perçu de la prophylaxie post-exposition attestent également d'une grande prudence : seuls 7% des répondants pensent en effet que la possibilité de recevoir un traitement d'urgence après une prise de risque rend le " safer sex " moins important.

Globalement, c'est donc la prudence qui s'impose parmi la plupart des gays. Il n'en reste pas moins qu'une minorité a des opinions préoccupantes. C'est le cas de ces hommes qui disent qu'ils sont plutôt pas d'accord ou pas du tout d'accord pour dire que, "quelle que soit la charge virale, il est toujours risqué de pratiquer la pénétration anale sans préservatif". Ce type de représentations et d'attitudes préventives doivent être surveillées car, même si elles concernent des effectifs réduits, elles apportent leur contribution à la prise de risque comme nous allons le voir à présent.

En reprenant la méthodologie proposée par l'équipe australienne (van de Ven et al., 2000) nous avons calculé des scores " d'optimisme ou de scepticisme face aux nouveaux traitements "23 en faisant la somme des réponses données par les individus à chacune des 9 questions de l'échelle. Pour chaque question, les répondants pouvaient répondre "tout à fait d'accord", plutôt d'accord", "plutôt pas d'accord" et "pas du tout d'accord". Les scores 1, 2, 3 et 4 ont été attribués aux réponses données à chacune de ces questions, le score le plus élevé étant associé à l'item de réponse le plus optimiste face à la possibilité de réduction du risque de transmission induite par l'existence des nouveaux traitements. A chaque répondant, a été associé un score d'optimisme correspondant à la somme des scores obtenus pour chaque question. Le score minimal est de 9 (neuf fois le score 1) et le score maximal de 36 (neuf fois 4) témoignant quant à lui d'un grand optimisme face aux changements induits par les nouveaux traitements.

L'optimisme des gays face à la prévention apparaît comme relativement bas puisque le score moyen sur l'ensemble de la population ayant répondu aux questions de l'échelle est de 11,9. La distribution des scores est très concentrée autour de la moyenne. En effet, la moitié des répondants ont un score compris entre 10 et 1324.

Bien que les écarts puissent paraître a priori réduits, nous avons constaté des différences de score significatives selon plusieurs variables25. Le score d'optimisme est plus élevé chez les " moins de 25 ans " et chez les " 45 ans et plus " que chez les autres répondants. L'optimisme décroît lorsque le niveau d'études augmente (passant de 12,8 chez ceux qui n'ont pas le Bac à 11,7 pour ceux qui ont un diplôme de troisième cycle) ce qui pourrait suggérer que l'optimisme pourrait être alimenté par une moindre information. Les hommes vivant en province sont plus optimistes que ceux vivant à Paris. Enfin, les non testés sont plus optimistes (12,6) que les séropositifs (12,3), ces derniers étant par ailleurs plus optimistes que les séronégatifs (11,8).

Le principal résultat est cependant le suivant : il existe des associations statistiques significatives entre les scores d'optimisme et trois variables indicatrices de prises de risques :

Les hommes qui disent " avoir pris plus de risques pendant les douze derniers mois par rapport à la transmission du VIH que pendant l'année précédente " ont un score moyen d'optimisme supérieur à celui des autres répondants (12,5 contre 11,8, p=0,0001).

De même, les répondants qui sont d'accord pour dire qu' " avec les nouveaux traitements, eux-mêmes se protègent moins qu'avant " ont un score moyen d'optimisme supérieur à ceux qui ne sont pas d'accord avec cette opinion (11,7 contre 14,0, p=0,0001)

Enfin, les hommes qui ont pratiqué la pénétration anale non protégée avec des partenaires occasionnels ont un score moyen d'optimisme supérieur à ceux qui ne déclarent pas de telles prises de risque (12,9 contre 11,8, p= 0,0001). En outre, nous avons pu constater que cette association se retrouvait à la fois chez les hommes non testés (14,1 contre 12,2), chez les testés séronégatifs (12,5 contre 11,7) et, enfin, chez les séropositifs (13,3 contre 11,9). L'optimisme exerce donc son influence sur les comportements quel que soit le statut sérologique des répondants.

Cet ensemble de résultats, qui concordent avec ceux menés à l'étranger (Bolding et al., 2000 ; International Collaboration on HIV Optimism, 2001), suggèrent que même si la prudence caractérise la plupart des gays, " l'optimisme face aux traitements " existe et apporte sa contribution aux prises de risque observées au sein de la population gay. La prévention doit donc continuer à tempérer l'optimisme parmi les gays tout en prenant par ailleurs en compte le résultat suivant : les nouveaux traitements ne constituent sans doute pas le facteur explicatif unique du relâchement de la prévention. L'optimisme face aux avancées médicales et à leurs conséquences en termes de risque perçu de transmission du VIH n'est qu'un facteur favorisant le relâchement de la prévention parmi d'autres.

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