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La modification du contexte de la sexualité gay

La modification du contexte de la sexualité gay

Avant d'étudier l’évolution des comportements de prévention avec les partenaires sexuels, il convient de cerner la façon dont le contexte de la sexualité gay s'est modifié au cours des dernières années.

  • Le maintien d’un fort engagement dans le multi-partenariat

Avant même que le préservatif et le recours au test de dépistage ne se diffusent au sein de la population homosexuelle masculine, les gays ont composé avec le risque de transmission du VIH lors des échanges sexuels en réduisant le nombre de leurs partenaires. Pollak et Schiltz (1991) ont montré que cette réduction de l'activité sexuelle s'est étendue jusqu’en 1990, date à laquelle 44% des répondants de l'Enquête presse gay de l’époque déclaraient avoir réduit le nombre de leurs partenaires sexuels. Sous l'effet d'une lassitude, de l'arrivée de nouvelles générations n'ayant pas connu les premières années de l'épidémie, mais peut-être aussi sous l’influence des campagnes de prévention souhaitant réconcilier les gays avec la sexualité, la tendance s'est modifiée au début des années 1990 pour prendre la forme d'un réengagement progressif dans la sexualité (Schiltz et Adam, 1995 (a) ; Adam, 1997 (a)).

Les données de l'enquête presse gay 2000 comportent plusieurs indicateurs permettant d'évaluer si la tendance précédemment décrite s’est poursuivie entre 1997 et 2000.

Contrairement à ce qui se passait dans les années 1980, la part des gays qui déclarent aujourd'hui réduire le nombre de leurs partenaires sexuels pour gérer l'épidémie est restreinte. Parmi les répondants de l’enquête 2000, 60% déclarent n’avoir jamais réduit le nombre de leurs partenaires sexuels par crainte du sida, 24% l’ont fait dans le passé seulement, 7% dans le passé et actuellement et enfin 10% le font actuellement sans l’avoir fait dans le passé. Si l’on additionne ces deux dernières catégories, il apparaît donc que seuls 17% des répondants de l’enquête 2000 "régulent" leur mode de vie sexuel pour gérer le risque.

Tel qu'il apparaît au travers des divers indicateurs disponibles dans le questionnaire, le niveau d'activité sexuelle est élevé. Un quart des répondants déclarent " ne pas pouvoir se passer de la drague ". La fréquentation des lieux de drague, qu’ils soient extérieurs ou commerciaux, est importante. Autre indicateur d’activité sexuelle : le nombre de partenaires sexuels masculins déclarés par les répondants au cours des 12 mois ayant précédé l’enquête. En 2000, le nombre moyen de partenaires est de 18 mais il masque une grande diversité de situations puisque certains répondants ont déclaré plusieurs centaines de partenaires dans l’année.

Bien qu’elle soit nécessaire et attendue, l’étude de l’évolution du nombre des partenaires sexuels des répondants au fil du temps n’est pas aussi simple qu’on pourrait le penser. Le nombre de partenaires sexuels déclaré par les répondants constitue souvent une approximation, notamment pour les hommes les plus actifs sexuellement. Ils sont alors donnés avec peu de précisions (ex : " plus de 50 partenaires "). Par ailleurs, l’indicateur n’est pas très réactif : les répondants pourraient avoir tendance à rapporter une moyenne de leur activité au cours des dernières années plutôt que le nombre effectif de leurs partenaires sexuels au cours des douze derniers mois. Malgré ces difficultés de mesure, nous pouvons faire un double constat. Depuis le début des années 1990, et jusqu’à la précédente enquête, la proportion de gays déclarant plus de dix partenaires sexuels dans l'année n'a cessé d'augmenter. Elle était de 31% en 1993 (Schiltz et Adam, 1995(a)), de 32,5% en 1995 (Schiltz, 1998), de 34% en 1997 (Adam et al., 1999 (c et d)). La prévention doit prendre en compte le fait que la situation actuelle est l’aboutissement de cette tendance au réengagement dans le multi-partenariat, même si, dans la période récente, le phénomène semble s’être stabilisé : le taux de répondants de l’enquête 2000 ayant eu plus de dix partenaires est en effet identique à celui de 1997 (34%).

Un autre phénomène qui apporte sa contribution à la tendance précédemment décrite concerne spécifiquement les hommes infectés par le VIH. A l'époque où les traitements anti-rétroviraux étaient moins efficaces, l'état de santé de nombreuses personnes séropositives les avait contraintes à réduire leur activité sexuelle. La situation est aujourd'hui très différente. La plupart des répondants séropositifs (87%) bénéficient d’un traitement antirétroviral et, parmi les traités, un peu moins des deux tiers (62%) ont une charge virale indétectable. La quasi-totalité (96%) des hommes séropositifs sous traitement considèrent son effet comme bénéfique. Parmi les répondants séropositifs traités, la moitié (50%) ont déclaré que ce dernier leur avait permis de reprendre certaines activités précédemment réduites ou interrompues. Parmi les activités reprises, figurent le sport (cité par 39% des répondants), la vie sociale (citée par 47% des répondants), le travail (cité par 50% des répondants) et enfin la vie sexuelle citée par les trois quarts (72%) des répondants.

Ainsi, non seulement de nombreux gays séropositifs n’ont jamais réduit ou interrompu leur activité sexuelle11 mais d’autres hommes séropositifs ont pu renouer avec la sexualité du fait du bénéfice des multi-thérapies plus efficaces que les traitements antérieurs. Si l'on ne peut évidemment que se réjouir d'une telle évolution en termes d'épanouissement des personnes, les conséquences d'une telle évolution ne doivent pas être négligées. Elles peuvent contribuer à accroître le risque de transmission si les gestes préventifs ne sont pas parfaitement maîtrisés, ce que suggèrent les données collectées.

Pour les gays séronégatifs comme pour les séropositifs, le contexte actuel est donc l’aboutissement d’un lent processus de réengagement dans la sexualité qui a conduit à la multiplication des lieux conviviaux.

  • Le redéploiement du répertoire sexuel avec les partenaires stables et occasionnels

A ce premier élément d'évolution du contexte s’ajoute le redéploiement du répertoire sexuel. Parallèlement à la réduction du nombre des partenaires sexuels, les premières modalités de gestion du risque de transmission du VIH s’étaient appuyées sur un abandon des pratiques présentant le plus de risques (et notamment de la pénétration anale). Là encore, dès le début des années 1990, la tendance s’est inversée.

Avant de mettre l'accent sur les évolutions observables entre les enquêtes 1997 et 2000, nous commencerons par décrire les répertoires sexuels avec le partenaire stable et avec les partenaires occasionnels à partir des déclarations des répondants de l'Enquête presse gay 2000.

Pour étudier les pratiques avec le partenaire stable, nous avons sélectionné la population des hommes ayant déclaré (au moins) un partenaire stable au cours des 12 mois ayant précédé l’enquête (soit 71% des 4753 répondants), que cette relation soit encore en cours au moment de l’enquête ou qu'elle soit terminée (respectivement 72% et 28% des cas).

Avec leur partenaire stable, la quasi-totalité des répondants de l’enquête 2000 pratiquent la masturbation réciproque et la fellation (voir tableau n°2). De toutes les pratiques sexuelles, la fellation est la plus systématique : un peu plus de la moitié des répondants (53%) déclarent la pratiquer lors de chaque rapport sexuel avec le partenaire stable.

Tableau 2 - Pratiques sexuelles avec le partenaire stable

Les autres pratiques sont moins fréquentes, comme dans le cas des rapports bouche-anus : non seulement 20% des répondants n’ont pas ces pratiques dans leur répertoire mais la proportion de ceux qui les ont systématiquement lors de chaque rapport avec leur partenaire stable est assez réduite (17%).

Le questionnaire permettait également d’appréhender la pénétration anale en distinguant les rôles actif et passif. Un quart des répondants (24%) disent ne jamais pénétrer leur partenaire stable et, à l’opposé, 17% disent le faire systématiquement lors des rapports sexuels avec lui. Les taux correspondant à la fréquence de la pénétration passive sont très similaires à ceux que nous venons de présenter pour la pénétration active.

Le croisement des réponses sur la pratique de la pénétration passive avec celles portant sur la pénétration active (indicateur non présenté sur le tableau n°2) indique que la majorité des gays (65%) jouent indifféremment les deux rôles actifs ou passifs avec leur partenaire stable, que 15% sont uniquement passifs, 15% uniquement actifs, et que 5% ne pratiquent pas la pénétration avec lui.

Par rapport aux pratiques déclarées avec le partenaire stable, celles avec les partenaires occasionnels ne présentent pas la même fréquence (voir le tableau n°3)12 . Certes, en 2000, la fellation reste pratiquée par la quasi-totalité des répondants ayant eu des partenaires occasionnels. Mais, cette pratique sexuelle ne prend un caractère systématique lors des rapports avec les partenaires occasionnels que pour 45% des répondants (contre 53% d’entre eux lors des rapports avec le partenaire stable).

Tableau 3 - Pratiques sexuelles avec les partenaires occasionnels (sur 12 mois)

Des observations similaires peuvent être faites pour les autres pratiques. Plus du quart (29%) des répondants ayant eu des partenaires occasionnels dans l’année n’ont jamais eu de rapports bouche-anus avec eux. Les autres répondants se répartissent entre 37,5% qui ont " rarement " de tels rapports, 25% qui le font " souvent " et le pourcentage réduit de ceux qui le font systématiquement (8,5%, soit deux fois moins qu’avec le partenaire stable).

La pratique de la pénétration anale est également bien moins fréquente avec les partenaires de rencontre surtout pour ce qui est du rôle passif : 32% des répondants ne se font jamais pénétrer par des partenaires occasionnels alors que 25% des répondants déclarent ne jamais les pénétrer. Que ce soit pour le rôle actif ou pour le rôle passif, le pourcentage des hommes qui pratiquent systématiquement la pénétration avec leurs partenaires de rencontre est réduit (autour de 10%).

Lorsqu’on synthétise les indicateurs correspondant respectivement aux rôles actif et passif, on observe que, parmi les répondants ayant eu des partenaires occasionnels dans les douze derniers mois, 55% déclarent être à la fois actifs et passifs avec eux, 20% passifs uniquement, 12% actifs uniquement et 14% ne pratiquent pas la pénétration. Les gays jouant indifféremment les deux rôles actifs ou passifs avec leurs partenaires de rencontre demeurent majoritaires, mais la pratique de la pénétration s’avère bien moins fréquente qu’elle ne l’est dans le cadre de la relation stable.

Les répertoires précédemment exposés qui sont caractérisés par des niveaux d’engagement importants dans des pratiques potentiellement à risque, sont le résultat d’évolutions assez récentes que nous allons à présent étudier (en comparant les lignes correspondant à 1997 et à 2000 dans les tableaux n°2 et n°3).

Entre 1997 et 2000, la proportion de répondants qui déclarent pratiquer systématiquement la fellation avec leur partenaire stable est passée de 49% à 53% [et même 54,5% en taux standardisé]. Avec les partenaires occasionnels, l’évolution est encore plus nette : le taux de répondants qui pratiquent systématiquement la fellation avec eux est passé de 37,5% en 1997 à 45% en 2000 [et même 47% en taux standardisé].

Les comportements face à la pénétration ont également évolué. Entre les deux dates, le taux de répondants déclarant pénétrer systématiquement leur partenaire stable est passé de 11% à 17% [17% également en taux standardisé] et le taux de répondants déclarant se faire systématiquement pénétrer a subi une évolution similaire de 12% à 17% [18% en taux standardisé].

C'est à nouveau dans le cadre de la sexualité avec des partenaires occasionnels que les évolutions sont les plus nettes. La proportion de gays qui déclaraient ne pas pratiquer la pénétration (ni active, ni passive) avec leurs partenaires occasionnels est passée de 19% en 1993 (Schiltz et Adam, 1995 (a)), à 17% en 1995 (Schiltz, 1998), 15% en 1997 (Adam et al., 1999 (c et d)) et 13% en 2000 ce qui constitue une profonde modification de la donne. Parallèlement, on note chez ceux qui ont des rapports anaux une accentuation significative de la fréquence de ces rapports. Le taux de répondants se faisant " systématiquement pénétrer " par leurs partenaires occasionnels est passé de 7% en 1997 à 10% en 2000. La hausse est encore plus importante pour le rôle actif : alors qu’en 1997 seulement 5% des répondants déclaraient " pénétrer systématiquement " leurs partenaires de rencontre, ce taux a doublé en 2000 (10%).

La prévention doit donc prendre en compte les modifications qui sont intervenues dans le contexte propre à la sexualité gay. Même si le processus semble aujourd’hui stabilisé, les gays se sont progressivement réengagés dans le multi-partenariat au cours des années 1990. Une seconde tendance se poursuit quant à elle entre 1997 et 2000 : elle consiste en un redéploiement très net du répertoire sexuel vers des pratiques potentiellement à risque (non seulement la fellation mais, plus encore, la pénétration). Or, comme nous allons le voir à présent, alors même que ces modifications auraient exigé une prise de précautions accrue, l’usage du préservatif s'est fait moins fréquent entre 1997 et 2000 que ce soit dans les couples ou, de façon encore plus marquée, avec les partenaires occasionnels

 

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