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Conclusion / Discussion

Conclusion / Discussion

Les résultats de l’Enquête presse gay 2000 font clairement apparaître que le contexte préventif a profondément changé au cours des dernières années.

  • Changement de contexte et alignement sur la situation internationale

Bien que la plupart des répondants de l’enquête 2000 continuent à gérer efficacement la prévention, des évolutions très nettes - il s’agit des premières observées depuis 1985 - apparaissent dans les comportements préventifs.

Par rapport à la situation de 1997, l’utilisation du préservatif pour la pénétration s’est faite moins fréquente dans les couples, en particulier séroconcordants négatifs et, par ailleurs, sérodifférents. De surcroît, la baisse de la prévention est la plus nette avec les partenaires occasionnels. Bien que visible sur tout le territoire et dans de nombreux groupes, le relâchement de la prévention avec les partenaires occasionnels apparaît le plus important chez Franciliens (et encore plus chez les Parisiens), chez les jeunes, les multi-partenaires et, plus encore, parmi les gays séropositifs. La dynamique globale du phénomène de relâchement préventif observé tient cependant au fait que, dans certains sous-groupes de la population gay, ces divers facteurs ou situations fragilisantes par rapport à la transmission du VIH et des MST se cumulent bien souvent.

Le phénomène le plus marquant tient à des évolutions nettes dans la fréquence des prises de risque : entre 1997 et 2000, dans les couples sérodifférents comme avec les partenaires de rencontres, les déclarations de pénétration non protégées isolées ont peu évolué à la différence des déclarations d’expositions répétées (voire régulières) au risque. Dans certains sous-groupes de la population gay, la forme des prises de risque (pour soi ou pour l’autre) semble donc avoir évoluée. Pour désigner cette situation, la notion de " banalisation " des prises de risque pourrait être utilisée. Elle permettrait de prendre des distances 1) vis-à-vis des explications classiques en terme de " relapse " auxquelles on pouvait recourir dans le passé et 2) vis-à-vis des explications contenues dans les discours actuels sur le " bareback " qui ne coïncident que très partiellement avec la réalité des prises de risques observées. En effet, les hommes qui, dans l’enquête 2000, ont rapporté des prises de risque répétées (voire régulières) ne sont, pour la plupart, ni dans une démarche de recherche de prise de risque délibérée avec un partenaire de statut sérologique différent (le " bareback "), ni dans une situation de simple rechute vers le risque (le " relapse "). Comme on le verra ultérieurement, certains semblent s’être progressivement habitués à des expositions au risque répétées et être passés au fil du temps de prises de risques ponctuelles (ou accidentelles) à des expositions plus fréquentes. Cette banalisation des comportements de non protection avec des partenaires occasionnels pourrait entraîner des conséquences importantes en termes de dynamique de l’épidémie de VIH/Sida comme le suggère la recrudescence des MST également observée. En outre, la moindre protection avec les partenaires occasionnels risque d’entraîner des contaminations au sein des couples ouverts (séronégatifs au dernier test) qui ont abandonné la protection.

Les résultats de l’Enquête presse gay 2000 sont cohérents avec ceux de l’enquête RENAGO sur la recrudescence des gonococcies, particulièrement parmi les homo- et bisexuels masculins. Ils montrent, en outre, que la recrudescence ne se limite pas aux gonococcies mais constitue un phénomène plus global touchant l’ensemble des MST. Enfin, ils mettent en lumière l’importance des MST à Paris, chez les gays multi-partenaires et les hommes séropositifs.

Loin d’être dans une situation isolée, la France rejoint ainsi la situation observée dans de nombreux autres pays (Etats-Unis, Australie, Allemagne, Angleterre, etc.) dans lesquels la dégradation de la prévention et la recrudescence des MST parmi les gays se sont déclarées un peu plus tôt.

L’objectif de cette enquête n’était pas simplement de quantifier des prises de risque et d’estimer l’ampleur du relâchement qui a eu lieu au cours des dernières années. Même si l’analyse devra être approfondie au cours des prochains mois, les données collectées permettent déjà de mieux comprendre la façon dont s’opère le " glissement vers le risque " et, par ailleurs, de formuler des hypothèses fortes quant à l’origine du phénomène.

  • Formes et modalités du changement

L’analyse suggère tout d’abord que la dégradation de la situation préventive ne se caractérise pas par un basculement brutal d’une proportion importante d’individus dans des comportements de prises de risques répétées mais plutôt par un processus d’accoutumance progressive et de glissements successifs vers le risque. Ainsi, à différents degrés, le niveau de risque s'est accentué pour des gays dans des situations très diverses. Quelques exemples suffiront pour illustrer ce phénomène.

  • Certains gays qui, dans le passé, avaient abandonné la pénétration pour faire face au risque de transmission du VIH ont renoué avec cette pratique. Alors qu’ils avaient totalement éliminé le risque dans le passé, ces gays se trouvent aujourd’hui dans une situation où l’éventualité d’une prise de risque est possible si la protection n’est pas parfaitement maîtrisée.

  • La seconde situation correspond cette fois à un risque avéré. L’augmentation de la proportion globale d’individus ayant pris des risques dans l’année indique que certains individus se sont exposés au risque dans la période récente alors que cela ne leur était pas arrivé dans le passé. Il est probable que ces hommes se sont le plus souvent exposés à des prises de risques accidentelles qui, en termes de transmission du VIH et des MST, ont des conséquences moins importantes que les prises de risques régulières sur laquelle nous allons revenir à présent.

  • Le dernier type de situation où le risque s’est accentué est le suivant : comme nous l’avons déjà indiqué, certains hommes qui, dans le passé, prenaient des risques de façon ponctuelle déclarent aujourd’hui des comportements de prises de risque répétées (voire régulières) et ainsi banalisées. C’est dans ce groupe que la situation préventive semble s’être la plus fortement dégradée et que les risques de transmission du VIH et des MST (pour les individus ou pour leurs partenaires) sont les plus importants.

Même s’il simplifie la complexité des trajectoires ou parcours individuels, ce " modèle " permet de prendre en compte plusieurs phénomènes. Le fait, tout d’abord, que même si la plupart des répondants de l’enquête n’ont pas déclaré de prises de risques, peu d’homo- ou bisexuels masculins sont aujourd’hui complètement inexposés à une faille dans leurs comportements de protection. On comprend, par ailleurs, que le relâchement préventif éventuel n'est le plus souvent pas complet mais procède davantage par glissement en introduisant une baisse d'un cran par rapport au système antérieur de protection.

  • Hypothèses quant aux origines du relâchement préventif

Selon nous, la dégradation de la situation préventive pourrait résulter de la conjonction de plusieurs phénomènes qu'ils soient individuels, culturels ou plus contextuels26.

Comme dans les enquêtes antérieures, nous avons observé que certains facteurs individuels rendaient plus complexe une gestion efficace de la prévention. Il s'agit principalement du multi-partenariat, de la vulnérabilité propre à l'état de jeunesse et de la séropositivité :

  • Ne serait-ce que d'un simple point de vue statistique, le risque d'incidents de prévention augmente avec le nombre des partenaires sexuels au cours de l'année. Ainsi, pour les multi-partenaires les plus engagés dans une sexualité avec pénétration anale, l'efficacité à 100% du préservatif est une notion toute théorique très éloignée de la réalité.

  • Des situations psychologiques particulières (qui peuvent aller de l'insouciance au mal-être) rendent plus complexe chez les jeunes la gestion efficace de la prévention. S'y ajoute également l'inexpérience qui renvoie à des difficultés techniques à gérer correctement la prévention mais aussi à négocier les pratiques et la protection avec les partenaires.

  • Dans le domaine de la prévention, les gays séropositifs occupent également une situation spécifique. Après la découverte de leur séropositivité perdurent parfois les difficultés à gérer la prévention qui étaient déjà à l’origine de la contamination. En outre, viennent s'ajouter d'autres facteurs liés à l'expérience de la séropositivité. Dans le couple sérodifférent, la complexité des dynamiques relationnelles et le besoin d'intimité (symbolisé par l'acte de pénétration non protégé) contribuent à la prise de risque. Il n'est dès lors pas étonnant que, pour certains séropositifs et notamment pour ceux qui renouent avec la sexualité, les lieux de rencontres anonymes soient recherchés puisqu’ils permettent de se réengager dans la sexualité sans avoir à gérer ces problèmes relationnels.

Dans certains segments de la population gay, l'influence des facteurs individuels précédemment exposés pourrait être renforcée par l'existence de conceptions, sous-cultures ou idéologies particulières qui portent préjudice à la prévention :

  • Chez les jeunes, il s’agit du rêve du " post-sida ". L'importante recrudescence de la prise de risque chez les Franciliens de moins de 25 ans pourrait s'expliquer non seulement par la vulnérabilité propre à l'état de jeunesse mais par un phénomène générationnel. La jeune génération pourrait s’être projetée prématurément dans l’ère " post-sida ", envisager le sida comme un problème concernant uniquement ses aînés27.

  • Le phénomène " bareback " pourrait exercer sa part d’influence bien que celle-ci semble être le plus souvent indirecte. En extrapolant les données de l’enquête presse gay, il semble en effet que les démarches délibérées de recherche d'un rapport non protégé avec un partenaire occasionnel sérodifférent soient peu fréquentes parmi l’ensemble des répondants. Cela ne veut pas dire qu'elles n'existent pas ou qu'elles aient des conséquences négligeables. En outre, les discours sur le risque et le " bareback " pourraient avoir influencé la façon dont un public plus large conçoit ou se représente désormais le risque. Dans le contexte actuel, les gays qui ont connu des expositions au risque répétées ou régulières pourraient considérer que leur situation est loin d’être exceptionnelle. Ceci contribue à banaliser les comportements de non protection.
  • Chez certains gays séropositifs, une dernière conception pourrait intervenir. On entend parfois dire que l’absence de protection entre partenaires occasionnels pourrait se justifier par le fait qu'elle a souvent lieu entre personnes séropositives. L’Enquête presse gay apportent des données qui permettront aux campagnes de prévention de rectifier cette idée. Ces données montrent en effet qu’il n’est pas fondé de penser que des comportements fréquents de non protection dans ce groupe puissent être sans conséquence en terme de transmission du VIH. En effet, la plupart des hommes séropositifs qui ont des rapports non protégés avec des partenaires occasionnels ne parviennent pas à cantonner ces pratiques aux réseaux des personnes déjà séropositives (et qui ne s’exposeraient dès lors qu’à un risque de contraction de MST ou de sur-contamination éventuelle par le VIH). Vu la fréquence des déclarations de rapports non protégés chez les moins de 25 ans, il est même probable que c'est la génération des jeunes gays qui est la plus exposée au risque de transmission lié à la banalisation des prises de risques observées.

A ces éléments individuels ou culturels vient enfin s'ajouter l'effet d'une modification macro-sociologique du contexte. Trois phénomènes peuvent en effet être distingués qui semblent apporter leur contribution au relâchement de la prévention : le redéploiement du répertoire sexuel après une période de ré-engagement dans la sexualité, les nouveaux traitements et, enfin, l'état de santé psychologique de la population.

  • Même si le processus semble aujourd’hui stabilisé, les gays se sont progressivement réengagés dans le multi-partenariat au cours de la décennie 1990. Ils continuent, par ailleurs, à redéployer leur répertoire sexuel vers des pratiques dont le risque potentiel est plus élevé comme tel est le cas pour la pénétration. Ces évolutions attestent d’un véritable changement dans la culture sexuelle des gays avec lequel la prévention doit désormais composer.
  • Un autre facteur contextuel tient à l’introduction des nouveaux traitements contre le VIH/Sida. Même si la plupart des gays restent prudents, la part d'optimisme véhiculée par les nouveaux traitements apporte sa contribution à la recrudescence des prises de risque. Ils ont en effet modifié la perception de la vie avec le VIH et des risques de contamination, changé la vie et le rapport à la sexualité des gays séropositifs. Chez ces derniers, certaines prises de risque pourraient s’expliquer par le fait que le réengagement dans la sexualité s'opère parfois, alors même que les difficultés antérieures dans la gestion des risques n’ont pas toujours été au préalable résolues.
  • Enfin, qu’elle soit liée à l’isolement, à l’expérience du rejet ou bien encore à l’expérience du VIH, la situation de mal-être (voire de détresse) vécue par une proportion non négligeable de gays (un quart ont souffert d’une dépression dans l’année) doit être prise en compte. Non seulement ce terrain psychologique prédispose mal à une prise en charge attentive de sa santé et du risque de transmission du VIH, mais il pourrait également expliquer la banalisation des comportements de prises de risque répétées au sein de certains segments de la population gay.

Il existe donc une pluralité de facteurs à l'origine du relâchement actuel de la prévention avec lesquels la prévention doit tenter de composer.

 

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