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L’augmentation des prises de risque avec les partenaires occasionnels

L’augmentation des prises de risque avec les partenaires occasionnels

Alors qu’aucun relâchement des pratiques de prévention n’avait pu être observé lors de la comparaison des données des Enquêtes presse gay 1995 et 1997 (Adam et al., 1999 (c et d)), des évolutions significatives s’observent désormais. Lorsque l'on sélectionne les répondants de l’Enquête presse gay 2000 déclarant avoir eu au moins un partenaire occasionnel au cours des 12 mois précédant l’enquête (78% de l'échantillon) et qu’on les compare avec ceux de l’enquête 1997, l’accentuation des prises de risque apparaît quel que soit l’indicateur utilisé.

  • Une dégradation de la situation préventive perceptible à travers tous les indicateurs de prise de risque

Entre 1997 et 2000, le taux de répondants ayant eu des partenaires occasionnels et qui rapportent des pratiques de fellation " occasionnellement " ou " jamais " protégée passe de 83% à 88,5% [soit 89,5% en taux standardisé] (tableau n°4 A). Alors même que la fréquence de la pratique de la fellation non protégée s’est accentuée, une proportion non négligeable de répondants ne parviennent pas à respecter la règle consistant à éviter le sperme dans la bouche : en 2000, 15% des répondants ayant eu des partenaires de rencontre ont reçu leur sperme dans la bouche13 et 23% déclarent avoir éjaculé dans la bouche de leur(s) partenaire(s)14 .

Tableau 4 A, B, et C : Comportements préventifs avec les partenaires occasionnels
(sur 12 mois)

La fréquence de la protection lors de la pénétration anale est cernée dans le questionnaire par deux questions complémentaires. Une première, qualitative, demandait aux répondants de qualifier la fréquence de leur utilisation du préservatif en choisissant entre plusieurs items : " toujours ", " parfois ", " jamais " de préservatif. Une autre question, plus quantitative, se rapporte au nombre brut de pénétrations non protégées pratiquées dans l’année avec les partenaires occasionnels. Les évolutions observées entre 1997 et 2000 sont très nettes que l’on considère les réponses données à l’une ou à l’autre des deux questions précédentes.

A partir du tableau n°4 B, un premier chiffre permet de mesurer l'ampleur du relâchement de la prévention : le taux de répondants déclarant utiliser " occasionnellement " ou " jamais " le préservatif pour la pénétration anale avec leurs partenaires occasionnels est passé de 10% en 1997 à 17% en 2000 [17% également en taux standardisé].

L’autre indicateur disponible dans l’enquête est le nombre de pénétrations non protégées dans l’année. En 2000, 23% des répondants ayant eu des partenaires occasionnels dans l’année déclarent avoir eu au moins une pénétration non protégée avec eux. Ce taux varie suivant le profil des répondants. Il est plus important chez les moins de 25 ans (24,5%) que dans les autres classes d’âges (22-23%) ; plus fort à Paris (26%) qu’en province (21%) ; moins important chez les hommes ayant une relation stable en cours (20%) que chez les célibataires (25%). Le taux de rapports non protégés augmente également de façon régulière avec le nombre des partenaires sexuels dans l’année pour atteindre un maximum de 43,5% chez les répondants qui en ont eu plus de 50. Enfin, les hommes séropositifs ont un taux de rapports non protégés (38%) deux fois plus important que les hommes non testés ou testés séronégatifs (19 à 21%) ce qui pose des problèmes en termes de prévention.

Notons enfin qu’il existe des liens entre certaines situations de mal-être psychologique et les prises de risque. La moitié des répondants de l’enquête déclarent avoir déjà fait une dépression dans leur vie et un quart au cours des douze derniers mois. Les déclarations de rapports non protégés avec des partenaires occasionnels sont plus importantes parmi les gays ayant souffert d’une dépression. En effet, 27% des hommes ayant été déprimés dans l’année déclarent sur cette période des rapports non protégés avec des partenaires occasionnels, contre 22% chez les répondants qui n’ont pas connu de dépression dans l’année. Les mêmes pourcentages s’observent lorsqu’on considère le fait d’avoir ou non déjà fait une tentative de suicide15.

Entre 1997 et 2000, le taux de répondants ne déclarant aucune pénétration non protégée dans l’année est passé respectivement de 83% à 77%. Inversement, la part de ceux déclarant " au moins une pénétration non protégée dans l’année " est passé de 17% à 23% (tableau n°4 C), ce qui confirme le constat d’une dégradation de la situation préventive. Non seulement la prise de risque concerne aujourd’hui un nombre plus important de répondants mais la fréquence de l’exposition au risque de transmission du VIH semble globalement plus importante. La part des répondants déclarant " une ou deux pénétrations non protégées " n’a que très faiblement augmenté entre 1997 et 2000, à la différence des autres expositions, plus fréquentes, dont la part globale a pratiquement doublé. On reviendra plus longuement sur ce thème dans les pages qui suivent mais notons d’emblée que cette augmentation des prises de risques répétées (ou régulières) est préoccupante en raison de l’influence qu’elles peuvent exercer en termes de dynamique de transmission du VIH16.

Ainsi, l'Enquête presse gay vient corroborer les affirmations plus ou moins étayées sur le recul de la prévention qui s’étaient multipliées en 2000.

Pour étudier la dynamique du relâchement préventif, une double entrée sera proposée : dans un premier temps, nous étudierons les effets d’âge et de zone géographique, dans un second temps, l’ampleur du relâchement préventif selon le statut sérologique des répondants.

  • Effets d’âge et de zone géographique

Le premier constat montre que le relâchement de la prévention est visible dans toutes les classes d’âges (voir le tableau n°5). Entre 1997 et 2000, parmi l’ensemble des répondants concernés, le taux de déclaration de pénétrations non protégées avec des partenaires occasionnels passe de 17% à 25% chez les moins de 25 ans ; de 17% à 22% chez les 25-29 ans ; et enfin de 15-16% à 23% chez les plus de 30 ans. Il augmente ainsi de 5 à 8 points selon la classe d’âge.

Tableau 5 - Taux de répondants ayant eu des pénétrations anales non protégées
avec des partenaires occasionnels selon l'âge et le lieu de résidence

Pour mieux étudier la dynamique du relâchement de la prévention, nous avons également réalisé une distinction entre la situation en Ile-de-France et celle de l’ensemble des autres zones géographiques. Entre 1997 et 2000, le taux de répondants déclarant des pénétrations non protégées avec des partenaires occasionnels est passé de 17% à 25% en Ile-de-France (soit une hausse de 47%) et de 16% à 21% pour l’ensemble des autres zones (soit une hausse de 31%). Bien que visible dans toutes les zones, le relâchement s’avère donc plus important en Ile-de-France qu’ailleurs. Une analyse plus fine montre que, dans cette région, les prises de risques sont plus importantes parmi les Parisiens que les banlieusards.

En Ile-de-France où la situation préventive s’est le plus nettement dégradée, le constat suivant peut être fait (tableau n°5) : les Franciliens qui ont le plus fortement relâché leurs comportements préventifs entre 1997 et 2000 sont à la fois les jeunes de moins de 25 ans et les hommes de 30 à 44 ans. Chez les Parisiens et les banlieusards de moins de 25 ans ayant eu des partenaires occasionnels dans l’année, le taux de répondants ayant eu au moins une pénétration non protégée est passé de 18% en 1997 à 31% en 2000 (soit une hausse de 72%). Parmi les 30-34, ce taux est passé de 15% à 25% (soit une hausse de 67%) et chez les 35-44 ans, de 16 à 27% (soit une hausse de 69%).

  • Avec le groupe des 30-44 ans, la dégradation de la prévention repérée en Ile-de-France concerne d’abord des hommes qui ont eu leurs premiers rapports sexuels au cours des années 1970 ou 1980 et qui sont aujourd’hui en pleine maturité sexuelle. Il est possible que ce groupe soit composé d’hommes qui se sont plus récemment lassés du préservatif alors qu’ils l’utilisaient auparavant.

  • Pour le groupe des Franciliens (et notamment des Parisiens) de moins de 25 ans, la situation est en revanche très différente : le relâchement de la prévention pourrait s’appuyer sur la vulnérabilité propre à l’état de jeunesse (mal-être, expérience du rejet, moins grande capacité à négocier la prévention avec les partenaires, effet de libération lors d’une "montée" à Paris et face à l’ampleur du marché sexuel qui s’offre à eux) mais peut être aussi lié à un effet de génération qui se combine avec l'effet d'âge. En effet, lors des enquêtes antérieures, les liens entre les prises de risque et le fait d’être jeune étaient loin d’être évidents (Schiltz et Adam, 1995 (a) ; Adam et Schiltz, 1996 (b)). Il est dès lors possible que le phénomène observé ne tienne pas simplement à un effet d’âge mais soit redoublé par un effet générationnel. Une étude plus approfondie du phénomène mériterait d'être menée pour vérifier les hypothèses suivantes. La génération des moins de 25 ans pourrait s’être projetée de façon prématurée dans une ère " post-sida " qui tarde malheureusement à arriver. Les jeunes pourraient envisager le sida comme un problème concernant uniquement leurs aînés. Il est possible qu’il y ait eu une absence de conscience ou une perte de mémoire des années sida particulièrement forte au sein des jeunes générations.

Les données issues de l'enquête 2000 indiquent donc que, plus que jamais, les jeunes gays vivant dans les zones où les opportunités de rencontres sexuelles sont les plus importantes devraient constituer l’une des cibles prioritaires pour la prévention contre le sida.

  • Effets de statuts sérologiques

Le niveau de prises de risque avec les partenaires occasionnels et l’ampleur du relâchement entre 1997 et 2000 varient également selon le statut sérologique des répondants. Parmi les gays ayant eu des partenaires occasionnels dans l’année, la proportion de ceux qui ont eu " au moins une pénétration anale non protégée avec eux " est passée de 17% à 19% pour les hommes non testés, de 15,5% à 21% pour les testés séronégatifs et de 26% à 38% parmi les hommes séropositifs. Ces chiffres suggèrent que même si, en valeur absolue, les niveaux de prises de risque sont les plus importants parmi les hommes séropositifs, le relâchement de la prévention entre 1997 et 2000 s’observe quelle que soit la situation des répondants vis-à-vis du dépistage et quel que soit le statut sérologique VIH des testés.

Le tableau n°6 permet d’affiner cette description en distinguant, pour chaque statut sérologique, trois groupes de répondants définis en fonction de la fréquence des prises de risque : ceux d’abord qui ne déclarent " aucune pénétration non protégée dans les 12 mois ayant précédé l’enquête ", ceux qui en déclarent " une ou deux " (et dont on peut donc penser qu’ils ont eu des incidents de prévention) et, enfin, ceux qui en déclarent " plus de deux " (ce qui peut aller jusqu’à plusieurs fois par mois ou par semaine) et qui s’inscrivent dès lors dans un comportement de prises de risque répétées (voire régulières). Le tableau indique que l’augmentation de la part des prises de risque ponctuelles (" une ou deux " ) est bien moins importante que celle liée à ces expositions répétées, notamment chez les testés séronégatifs et chez les testés séropositifs. Entre 1997 et 2000, la part des expositions répétées (ou régulières) est passée de 5% à 9% chez les testés séronégatifs et de 15% à 25% chez les testés séropositifs. Certes, en valeur absolue, les taux d’expositions répétées sont plus importants chez les hommes séropositifs (un quart sont concernés en 2000) que chez les séronégatifs. Pour autant, en terme d’ampleur du relâchement préventif entre 1997 et 2000, c’est chez les gays séronégatifs que la situation s’est le plus fortement dégradée : entre ces deux dates, la part des prises de risques répétées a été multipliée par 1,83 chez les testés séronégatifs, contre 1,64 chez les testés séropositifs.

Tableau 6 - Fréquence des pénétrations anales sans préservatifs dans l'année
avec les partenaires occasionnels en fonction du statut sérologique des répondants

A partir des données présentées dans les pages précédentes, deux commentaires peuvent être faits qui concernent la fréquence et les déterminants des prises de risque.

Les données attestent de l’existence, dans certains sous-groupes de la population gay, d’un phénomène d’installation dans des prises de risque répétées (voire régulières). Si la part des prises de risque répétées est la plus importante parmi les hommes séropositifs, les séronégatifs n’y échappent pas pour autant. Depuis l'enquête 1997, ils semblent même avoir connu un "rattrapage" dans le risque particulièrement fort. Il s’agit là d’un phénomène important que la prévention doit prendre en compte étant donné le potentiel qu'il représente en termes de contamination par le VIH. A partir de ces données, on comprend donc que la prévention doit non seulement continuer, comme elle l'a fait jusqu'à présent, à sensibiliser la population gay qui pourrait s’exposer accidentellement au risque mais également inventer de nouveaux outils pour aborder de front le phénomène de prises de risque répétées (voire régulières) observable dans certains sous-groupes de la population gay (notamment chez les multi-partenaires, qu’ils soient séronégatifs ou séropositifs).

Le second commentaire concerne les déterminants de la prise de risque. Nous avons jusqu’ici passé en revue des facteurs ou des situations qui favorisaient le relâchement de la prévention. La dynamique globale du phénomène observé tient cependant au fait que ces divers éléments se cumulent bien souvent. On a vu, par exemple, que la situation s’était particulièrement dégradée chez les hommes qui, outre le fait d’être jeunes, résidaient à Paris ou en banlieue. Pour les Franciliens de 30-44 ans, les prises de risque (pour soi ou pour autrui) sont également plus marquées lorsque ces hommes, souvent séropositifs, ont de nombreux partenaires avec lesquels ils pratiquent fréquemment la pénétration. Des actions de prévention particulières doivent donc être développées en direction de ces groupes qui apparaissent comme étant les plus à risque pour la transmission du VIH et des MST.

  • Rapports non protégés et statuts sérologiques des partenaires occasionnels

Pour terminer cette section, nous passerons à un niveau d’analyse plus fin en menant une réflexion sur les statuts sérologiques des partenaires occasionnels avec lesquels les rapports non protégés ont lieu. Cette réflexion nous permettra d’apporter des éléments de réponses – directs ou indirects – aux débats actuels sur le risque.

L’analyse repose sur l’exploitation de trois sous-questions indépendantes posées aux répondants de l’enquête 2000 (voir le n°68 du questionnaire inséré en annexe) qui avaient déclaré des rapports anaux non protégés avec un ou des partenaires occasionnels au cours des douze mois ayant précédé l’enquête. La formulation exacte de ces questions était la suivante :

" Si vous avez pratiqué la pénétration sans préservatif avec des partenaires occasionnels, y avait-il parmi eux un ou des hommes…

  • dont vous saviez qu’ils étaient séropositifs (réponse : " oui " ou " non ") 
  • dont vous ne connaissiez pas le statut sérologique (réponse : " oui " ou " non ") 
  • dont vous étiez certain qu’ils étaient séronégatifs (réponse : " oui " ou " non ") "

L’analyse des réponses à ces questions indique que plus des trois quarts (77%) des répondants à la seconde sous-question17 et ayant eu des rapports non protégés ne disposaient pas d'information sur le statut sérologique de leurs partenaires occasionnels (ce taux est de 66% parmi les répondants non testés, de 77% parmi les séronégatifs et de 81% parmi les gays séropositifs). Ceci s’explique par le fait que les partenaires occasionnels sont souvent des partenaires anonymes avec lesquels les discussions sur le statut sérologique sont peu fréquentes. Les situations où le statut sérologique du ou des partenaires étaient connues existent cependant. Nous allons les étudier à présent.

On commencera par estimer la part des rapports non protégés entre partenaires de statuts sérologiques VIH différents :

  • Parmi les gays séropositifs ayant pris des risques avec un ou des partenaires occasionnels, 11% (soit 21 hommes sur 193) ne se sont pas protégés alors qu'ils savaient que leur partenaire était séronégatif.

  • Parmi les gays séronégatifs (lors de leur dernier test) ayant pris des risques avec un ou des partenaires occasionnels, 5% (soit 26 hommes sur 552) ne se sont pas protégés alors qu'ils savaient que leur partenaire était séropositif.

Par extrapolation, on peut donc considérer, à partir des chiffres précédents, que les démarches délibérées de recherche d'un rapport non protégé avec un partenaire occasionnel sérodifférent (celles là même qui sont au cœur des discours sur le " bareback ") doivent être assez rares parmi l’ensemble des répondants. Cela ne veut pas dire qu'elles n'existent pas ou qu'elles aient des conséquences négligeables.

Passons à présent au cas des répondants qui déclaraient avoir eu des rapports non protégés au cours de l’année avec des partenaires dont ils savaient qu’ils étaient d’un statut sérologique concordant :

  • Parmi les répondants séronégatifs (lors de leur dernier test) ayant déclaré des rapports non protégés avec un ou des partenaires occasionnels, 31% (172 sur 552) affirment qu’il y avait parmi ces partenaires occasionnels au moins un homme dont ils connaissaient la séronégativité. Cependant, seulement 12% (64 sur 552) de l’ensemble de ces répondants séronégatifs ayant eu des rapports non protégés avec des partenaires occasionnels n'en ont eu qu'avec d'autres hommes séronégatifs.

  • Parmi les répondants séropositifs ayant déclaré des rapports anaux non protégés avec des partenaires occasionnels, 38% (74 sur 193) disent qu’il y avait parmi ces partenaires occasionnels au moins un homme dont ils savaient qu’il était séropositif. Cependant, seuls 7% (14 sur 193) de l’ensemble des répondants séropositifs ayant eu des rapports non protégés avec des partenaires occasionnels n'en ont eu qu'avec d'autres hommes séropositifs.

Ces derniers chiffres permettent de recadrer certains discours qui, même s’ils ne concernent pas le cœur du débat sur le "bareback", participent aux discussions actuelles sur le risque. On entend parfois dire que l’absence de protection entre partenaires occasionnels pourrait se justifier par le fait qu'elle a souvent lieu entre personnes séropositives. Les données précédentes permettent de rectifier cet argument et montrent qu’il n’est pas fondé de penser que des comportements de non protection dans ce groupe puissent être sans conséquence en terme de transmission du VIH. En effet, la plupart des hommes séropositifs qui ont des rapports non protégés avec des partenaires occasionnels ne parviennent pas à cantonner ces pratiques aux réseaux de personnes déjà séropositives (et qui ne s’exposeraient dès lors qu’à un risque de contraction de MST ou de sur-contamination éventuelle par le VIH).

 

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