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Un pédé comme beaucoup d'autres

Comment, alors qu'on sort d'un milieu petit-bourgeois, anti-pédé primaire, réussir à assumer son homosexualité dans une région réputée pour sa dureté? Tout commence en 1972, avec une petite annonce d'Actuel (pas le magazine de luxe, l'autre, le vrai), "le FHAR chez les bougnats", qui entraîne une rencontre avec des homos comme on n'en voit plus guère : des folle folles, des homos mal assumés. Rien. Puis, c'est la participation au G.L.H. : cette fois c'est grâce à Libération. Il faut que la foule sache qu'on existe et que nous sommes "normaux" ... mais, en 1976, il faut du courage! alors, on distribue des tracts dans les HLM la nuit. Des homos rappliquent, des femmes des groupes en pleine crise, des militants politiques, des mecs qui récusent la société, plein de gens quoi - cinquante en moyenne à chaque réunion.

"IL FAUT SE MONTRER"

On se découvre les uns les autres et puis c'est la grande décision : il faut se faire voir; on ira donc distribuer des tracts au restaurant universitaire. L'angoisse! ... si on trouve des fachos! ... si on trouve des copains! si, si, si ... On se lance, et il ne se passe rien. Les gens regardent le tract : tiens, c'est des pédés; on se retourne, ils sont comme les autres; on plie le tract et l'on s'en va, certains le mettent rageusement à la poubelle; très peu trainent par terre. Oui, mais les étudiants, c'est un milieu protégé, intelligent, compréhensif ... Alors, il faut aller vers les autres, les plus réprimés. L'occasion se présente : un homo se fait assassiner place des Bughes. Cà faisait un moment que çà durait, ces descentes de loubards, mais cette fois c'est trop; vite fait un tract, on va le distribuer place de Jaude devant les Galeries, un samedi. Il y a un peuple fou; des milliers de tracts disparaissent en deux petites heures. A part les flics qui en veulent un exemplaire pour vérifier si on a le droit de le diffuser, rien à signaler. Que faire de plus?

"JE SAVAIS QUE CA EXISTAIT? MAIS QU'ILS PARLENT"

Deux ans après viennent les radios locales. Eh bien, on va en faire une! Des copains d'une toute petite radio nous demandent de les aider. OK! on y fait tout, une émission pédé bien sûr, mais aussi les informations, des émissions culturelles, musicales. C'est une révolution dans le conformisme clermontois. Une dame téléphone un soir et nous dit : "Je savais que çà existait, mais qu'ils parlent!" Et oui, ils parlent, ils vivent, ils font l'amour (souvent) et ils payent des impôts! Des dizaines de filles et de mecs coincés téléphonent : "Faites quelque chose!" De doux dingues aussi : "Le studio sautera dans quinze minutes" ou "vous irez tous en enfer!". Chic! j'aime mieux les diables que les anges.

Faire quelque chose, il y a dix ans qu'on ne fait que çà; mais il faut encore avancer. On ouvrira donc un lieu associatif : "Méli-Mélo". Un an d'existence, deux cents utilisateurs plus ou moins réguliers, quatre-vingt adhérents, des projets fous. Mais qu'est-ce qui fait donc courir ce petit pédé? Il ne sait plus; toute cette énergie avec quelques copains et copines face à l'apathie du milieu. De l'émission de radio, à sa permanence au lieu associatif, du CUARH à la FLAG, de Lyon à Nantes, il court. La seule certitude, quand il se retourne, c'est que jamais, non jamis, il ne voudrait revivre ses vingt ans dans ce régime de flics et de bonnes soeurs qui sévissait encore dans notre pays il n'y a pas si longtemps.

Notes

CUARH
Comité d'urgence Anti-Répression Homosexuelle, créé à la première Université d'Eté Homosexuelle (UEH) de Marseille
FLAG
Fédération des Lieux Associatifs Gay, créée par ARIS à Lyon

FQRDFrance QRD
Histoire
Auvergne

Last modified: Tue Jan 27 21:08:48 MET 1998
Page rédigée par Lucien Laurent.