La colère pourpre...

En effet, dans un article paru le 20 octobre dans les Dernières Nouvelles D'Alsace, Mgr L.-A. Elchinger, évêque de Strasbourg, s'est fendu d'une critique sur "les initiatives d'une quinzaine de municipalités d'Alsace" et les " 'certificats de vie commune' désormais accordés aux couples non-mariés", ou plutôt, d'une sorte de mise en garde reposant sur son autorité morale au sujet de "l'érosion progressive du couple familial".
Et là, cités pèle-mêle, "les effets nocifs du laxisme moral" à côté de la violence urbaine et de la prostitution des jeunes. Maux qui adviendraient avec la "mise en question de certaines exigences de la loi naturelle" ou de "ce qui relevait jusqu'ici du droit naturel de la loi divine". A tout le moins, ce genre de propos résonne comme les "arguments" d'un commando anti-avortement. Peut-être s'agit-il là des fameux "repères éthiques qui ont été forgés par des siècles de sagesse" dont parle Elchinger ?
Dans un exercice de style où les sous-entendus tiennent lieu de raisonnement et où il ne dit en fait rien, M.-A. Elchinger distille les préjugés les plus éculés et se fait la Cassandre du désastre à venir : "les mesures prises pour favoriser la situation de ces divers 'cohabitants'(facilités de logement et de transport) veulent préparer l'opinion publique à une évolution des mentalités, qui risque d'ébranler non seulement les traditions familiales, mais aussi les ressorts profonds de la société démocratique". Comment a-t-il pu oublier les effets sur la dérive des continents ?
Derrière un semblant d'argumentation émerge plutôt un long plaidoyer pour que l'on ne mélange pas le bon grain de l'ivraie, traduisez la bonne famille chrétienne et "la satisfaction des pulsions instinctives" qui, en évacuant

"la dimension morale de la société" tendrait à "faire régresser l'homme vers l'animalité". Bref, on assisterait à l'avénement du "relativisme moral", à la "confusion des valeurs" à la négation de la morale qui est là pour "nous rappeller des exigences qui nous dominent et nous dépassent".
Outre qu'on peut légitimement se demander de quel côté est l'animalité, et outre qu'Elchinger invente là la démocratie de droit divin, sorte de contresens logique et historique qui ne le dérange apparement pas, il institue la famille telle qu'il la définit comme fondement immuable de la société. Mais des notions telles que la cohérence, la logique ou un sens pratique minimum sont à tel point absentes de son propos qu'on a envie de le prendre au mot : "La reconnaissance officielle de l'homosexualité se méprend sur l'importance foncière de la différenciation entre l'home et la femme. On risque ainsi d'encourager les jeunes à se désintéresser de la transmission de la vie et de la pérennité des générations." Je suis donc convaincu qu'il faut d'urgence mettre fin au célibat des prêtres et permettre aux couples d'individus de même sexe d'adopter des enfants. Ca pourrait résoudre en partie les problèmes de tous ces bons chrétiens qui refuseraient la contraception mais ne pourraient pratiquer l'abstinence.
Mais Elchinger est inquietÊ: "Il est malfaisant de déshabituer les jeunes à prendre des engagements sérieux et durables". Là, je peux d'ores et déjà le rassurer, mon engagement contre ses propos est tout ce qu'il y a de sérieux et durable et je pense que celui d'EGALES l'est tout autant. Mais, revenons à notre histoire...
Donc, le président d'Egales et des militant d'Act-Up Alsace sont intervenus promptement à la cathédrale de Strasbourg, et ont été reçus assez fraichement par nos démocrates en herbe. Ceci après s'être vu opposer un refus d'Elchinger à une invitation à discuter gentiment, refus exprimé par une lettre bien peu délicate. Il faut dire qu'Elchinger a quelques antécédants en la matière, ayant déclaré il y a une quinzaine d'années à un journaliste de Gaipied que l'homosexualité était à son avis "une infirmité morale".
A noter aussi que la condamnation qui frappe le président d'Egales se fonde sur une vieille loi allemande en vigueur dans le code local d'Alsace-Moselle mais inusitée depuis 1954, alors qu'une simple contravention aurait été de rigueur ailleurs en France.

Depuis, l'association Egales a affirmé son "profond regrêt de la tournure de l'incident" et précisé qu'elle se désolidarisait "de toute autre action non judiciaire", ne souhaitant d'autre suite que "l'ouverture d'un vrai dialogue dans la sérénité"(A Table, journal d'E.Ga.Les, n°13). Quoi qu'il en soit, le Gage se déclare entièrement solidaire de l'association strasbourgeoise et de son président, Hervé Koenig. Ils ont pour mérite de ne pas avoir laissé dire tout et surtout n'importe quoi sans réagir, et d'avoir provoqué un petit débat, ce qu'on apprécie toujours beaucoup chez les gageux. De plus, l'exhumation, à leurs dépends, d'une disposition légale rétrograde, nous apparaît simplement scandaleuse.

Philippe Broucque
et David Lecompte
(lecompte@email.enst.fr).