CULTURE


 

Un confortable placard

Le cinéma servirait-il la cause militante ? Serait-il le libérateur des esprits, celui-là même qui combat les préjugés et façonne les mythes quotidiens. A l'heure où le "monde gay" est à l'érection de sa propre culture, voilà que nous est offerte une vaste contribution sous la forme d'une véritable synthèse non dépourvue d'analyse qui sait argumenter son hypothèse : le cinéma, en passant en revue clichés et stéréotypes gays, a façonné notre vision des homosexuels.

Passant par la vision comique (dans les années 20) puis un aspect caché d'une trop grande liberté sexuelle (pour l'époque), le début de notre siècle sort de son placard en utilisant les mythes populaires. Puis, relent d'un ensevelissement, le pédé est méchant, tue et se suicide avant de devenir visible (free, gay and happy) et en faisant l'erreur de tomber dans les pièges de cette trop grande visibilité (dans lesquels nous baignons encore !).
Il semble que le gay (et les autres) manquant de références visibles dans le quotidien se soit nourri de ces images de grande dimension qui sculptent encore notre imaginaire.
Celluloïd Closet sait se faire analyse de ce processus en montrant que nous ne sommes que reflet de cette fiction elle-même reflétée. Et cela est d'autant plus flagrant qu'aujourd'hui, alors que nous semblons avoir épuisé tous les clichés, le gay est en perte de vitesse du côté des stéréotypes.
Oui ! le cinéma, parce qu'il est en grande partie populaire, parce qu'il ne nécessite (pour la plupart des films) aucun médiateur culturel, est un de ces souffles qui militent à leur façon.
L'année qui vient saura nous faire entrevoir de ces "belles choses"... On regrettera pourtant dans ce documentaire le parti pris de tous les intervenants d'une visibilité extrême, cette pseudo communauté qui ressent une fierté suspecte à se voir représentée sur le grand écran (comme si chaque minorité n'était pas représentée). Et surtout on finira sur la mauvaise impression que laisse ce côté mièvre et américaniste d'une homosexualité heureuse (imbécile) et épanouie (violons, roses et sourires hypocrites à l'appui) qui tend à normaliser (aliéner) une sexualité faite pour être libre (idée à suivre...)

F. T.

Celluloïd Closet : réalisé par Rob Epstein et Jeffrey Friedman

Avec Tony Curtis, Shirley MacLaine, Whoopi Goldberg, Tom Hanks, Susan Sarandon et des extraits de 120 films, de 1895 à nos jours. Durée 1h41.
Sur les écrans depuis le 28 août 1996.

De l'analyse psychologique à la poésie,
les amours masculines se font langage

"Quand l'art pouvait enseigner le monde
Et quand la beauté seule était sacrée sur terre"

Sonnets Vénitiens

"Pourquoi cacher l'amour comme on cache des crimes"

Journal. 11 février 1816 (p. 194)

Enfin nous avons le privilège de lire ces journaux en français. Après Gide et Thomas Mann (qui s'en inspira pour Mort à Venise) nous allons nous délecter au fil des pages parfois mièvres, d'autres fois touchantes mais de façon générale très belles parce que sincères. Ce jeune esthète néo-classiciste de 17 ans qui se dit poète raté, pédéraste honteux, dépeint avec psychologie d'abord puis poésie ce que sont les amours adolescentes. Journal d'un esthète raffiné (il compose des vers et lit en plusieurs langues dont quelques unes sont le persan et l'hébreu), ou journal d'une honteuse, (pour notre plus grand bonheur n'en déplaise à certains).

Au delà d'une immaturité affective due au secret dans lequel il enferme ses amours, c'est un être très artiste et très intelligent qui s'exprime sur son époque (romantique) et sur ses contemporains (Schiller, Goethe, Schelling) avec un remarquable don d'analyse, une grande finesse politique. Les journaux de sa vie sont certes un peu longs, se répètent trop souvent et n'ont en fait aucun intérêt sinon en tant que divertissement anecdotique mais pour ceux, jeunes ou non, qui recherchent un miroir où s'épancher et où admirer sa peine, il est un bel exemple d'intimiste tourmenté et très fin.

Farid Tali

Journaux de Von Platen, Von Platen,

Editions La Différence. 250 frs.

Gageure n°65 - mai/septembre 96