DOSSIER SUICIDE

 

Pour un Centre Gai et Lesbien au Purgatoire

Bon sang, c'est terrible ! La moitié de mes amis ne sont plus autour de moi. Au fil des ans, ils ont tous disparu petit à petit. Pour certains, on s'en doutait un peu, on le craignait sans vouloir vraiment y croire, pour d'autres ce fut une grande surprise et un grand désarroi. D'ailleurs je m'étonne moi-même d'être encore en vie.
Pour ceux qui croient que je me lance dans un grand article sur le sida, raté c'est perdu ! Mais non bien sûr, tous mes jeunes amis se sont suicidés, parce qu'ils étaient homosexuels. Je sais, c'est un lieu commun, tout le monde le sait, le vit quotidiennement quand on est (naît) homosexuel, on a une chance sur deux de se suicider. Tout le monde le dit, à la télévision, dans les dîners, et toujours avec un ton grave et très sérieux : vous savez que la plus importante cause de suicide chez les jeunes, c'est l'homosexualité ! Et on cite des études très sérieuses, des statistiques, des rapports. Bref, on a ses sources.
Bon qu'on arrête nos conneries s'il vous plaît. Personnellement, je n'ai jamais vu la moindre ébauche, la moindre trace de ces fameuses études de commissions obscures. Je suis tout prêt à les lire si elles existent.
Mais permettez-moi de douter du sérieux de telles statistiques.
Les politiques gais auraient donc un centre gai et lesbien au purgatoire ! Voilà une bonne nouvelle ! J'imagine très bien le bon Saint Pierre en train d'expliquer : Aujourd'hui j'ai eu trois suicidés  eh bien il y avait encore deux gais, faites donc un effort quand même, soyez plus gentils avec eux.
Ou alors, c'est une analyse des gènes lors de l'autopsie qui permet de déterminer qu'il s'agissait bien d'homosexuels.
Plus sérieusement, comment peut-on affirmer que telle ou telle personne s'est suicidée parce qu'elle était homosexuelle ! C'est une analyse bien réductrice. J'entends déjà des cris, alors je m'explique : je sais très bien que la découverte de la sexualité peut être difficile ; focaliser toutes les difficultés psychologiques, sociales, familiales sur l'homosexualité est exagéré.
Il faut se méfier des conclusions hâtives car si tel était le cas, cela aurait plusieurs conséquences : cela signifierait que l'homosexualité est décidément un problème psychologique, voire une maladie. A en croire certains on a nettement plus de raisons de se suicider quand on est homosexuel que lorsque l'on est trisomique (et un trisomique homosexuel ça vit longtemps ?)
... Tenir ce discours, c'est revenir au concept de l'homosexualité, ce douloureux problème, autrement dit vous voyez, c'est un tel problème pour eux qu'ils se suicident.
Bien évidemment il y a derrière ce discours un message politique. Parce que ces idées, on ne les entend pas dans la bouche de n'importe qui, mais de ceux qui se servent de cette argument pour leurs revendications. L'idée est bien sûr que la méchante société est homophobe envers ses petits gais qui se suicident. Parce qu'évidemment à 13 - 15 ans on a une vision très claire et très affirmée de sa sexualité mais on se sent tellement brimé que l'on ne peut pas la vivre.
Ainsi, la communauté gaie se légitime. Elle se veut un peu comme une seconde famille, sauf qu'elle est vachement plus sympa. Et voilà qu'elle trouve par ce biais, cette tromperie, une utilité à son existence. La communauté doit être forte et reconnue, voire subventionnée directement par l'Etat (si, si, on l'entend) pour sauver ces adolescents perdus dans leur vie. J'oppose à ces idées le fait que le modèle communautaire tel qu'il est déployé en ce moment n'est pas forcément le salut providentiel pour les jeunes qui cherchent à vivre une sexualité plus épanouie.
Le suicide des jeunes existe évidemment mais je ne sais pas s'ils sont gais, bi, hétéros. Personne ne le sait. Ce qui est vrai c'est qu'ils rejettent le plus souvent un modèle, un carcan. La solution n'est sûrement pas de leur en proposer un autre, qui plus est en marge de la société. C'est justement le contraire qu'ils recherchent : s'intégrer dans la société malgré ses défauts. Le modèle communautaire renforce les discriminations qui existent déjà, accentue les différences, les oppositions. DrÙle de réconfort pour des jeunes qui souffrent le plus souvent d'isolement et de solitude.
Ce qui me choque plus encore, c'est la façon dont on peut récupérer le malheur et la mort des personnes. Une personne qui se donne la mort n'appartient à personne. On peut tout de même mourir libre.

Benoît Godefroid

Gageure n°65 - mai/sptembre 96