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Cour de justice des Communautés européennes

ARRÊT DE LA COUR

Affaire Lisa Jacqueline Grant c/ South-West Trains Ltd

17 février 1998 (1)

Source : Cour de justice des Communautés européennes
[Communiqué de presse]

«Égalité de traitement entre hommes et femmes — Refus d'une réduction sur le prix des transports à des concubins de même sexe»

Dans l'affaire C-249/96,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par l'Industrial Tribunal, Southampton (Royaume-Uni), et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Lisa Jacqueline Grant

et

South-West Trains Ltd,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 119 du traité CE, de la directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins (JO L 45, p. 19), et de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39, p. 40),

LA COUR,

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, C. Gulmann, H. Ragnemalm, M. Wathelet, présidents de chambre, G. F. Mancini, J. C. Moitinho de Almeida, P. J. G. Kapteyn, J. L. Murray, D. A. O. Edward, J.-P. Puissochet (rapporteur), G. Hirsch, P. Jann et L. Sevón, juges,

avocat général: M. M. B. Elmer,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,

considérant les observations écrites présentées:

— pour Mme Grant, par Mme Cherie Booth, QC, M. Peter Duffy et Mme Marie Demetriou, barristers,

— pour South-West Trains Ltd, par MM. Nicholas Underhill, QC, et Murray Shanks, barrister,

— pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. John E. Collins, du Treasury Solicitor's Department, en qualité d'agent, assisté de MM. Stephen Richards et David Anderson, barristers,

— pour le gouvernement français, par Mmes Catherine de Salins, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et Anne de Bourgoing, chargé de mission à la même direction, en qualité d'agents,

— pour la Commission des Communautés européennes, par M. Christopher Docksey, Mmes Marie Wolfcarius et Carmel O'Reilly, membres du service juridique, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de Mme Grant, représentée par Mme Cherie Booth, M. Peter Duffy et Mme Marie Demetriou, de South-West Trains Ltd, représentée par MM. Nicholas Underhill et Murray Shanks, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par MM. John E. Collins, David Anderson et Patrick Elias, QC, et de la Commission, représentée par Mmes Carmel O'Reilly et Marie Wolfcarius, à l'audience du 9 juillet 1997,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 30 septembre 1997,

rend le présent

Arrêt

1. Par jugement du 19 juillet 1996, parvenu à la Cour le 22 juillet suivant, l'Industrial Tribunal, Southampton, a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, six questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 119 du même traité, de la directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins (JO L 45, p. 19), et de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39, p. 40).

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Mme Grant à son employeur, South-West Trains Ltd (ci-après «SWT»), au sujet du refus d'attribution par ce dernier de réductions sur le prix des transports au partenaire de sexe féminin de Mme Grant.

3. Mme Grant est employée de SWT, compagnie de chemin de fer de la région de Southampton.

4. L'article 18 de son contrat de travail, intitulé «Avantages accordés dans les transports», stipule:

«Vous bénéficierez de la gratuité et des réductions sur le prix des transports applicables aux agents de votre catégorie. Votre conjoint et les personnes à votre charge bénéficieront également de réductions en matière de transport. Les réductions en matière de transport sont accordées à la discrétion de (l'employeur) et seront supprimées en cas d'abus».

5. A l'époque des faits litigieux, le règlement pris par l'employeur pour l'application de ces stipulations (Staff Travel Facilities Privilege Ticket Regulations) prévoyait, à son article 8 («conjoint»):

«Les réductions sur le prix des transports sont accordées à tout agent marié ... pour son conjoint légitime sauf si ce dernier est légalement séparé du travailleur salarié.

...

Les réductions sur le prix des transports sont accordées pour le 'common law opposite sex spouse‘ (expression habituellement utilisée pour désigner le concubin de sexe opposé) de l'agent ... sur présentation d'une déclaration solennelle qu'une relation significative a existé depuis deux ans ou plus...».

6. Ce règlement définissait, en outre, les conditions dans lesquelles les réductions sur le prix des transports pouvaient être accordées au travailleur en activité (articles 1er à 4), au travailleur ayant cessé, de manière provisoire ou définitive, son activité (articles 5 à 7), à l'époux survivant du travailleur (article 9), aux enfants du travailleur (articles 10 et 11), ainsi qu'aux personnes de sa famille qui étaient à sa charge (article 12).

7. Sur la base de ces dispositions, le 9 janvier 1995, Mme Grant a demandé à bénéficier de réductions sur le prix des transports pour le partenaire de sexe féminin avec lequel elle déclarait avoir «une relation significative» depuis plus de deux ans.

8. SWT a refusé d'octroyer l'avantage sollicité au motif que, s'agissant des personnes non mariées, les réductions sur le prix des transports ne pouvaient être accordées que pour un partenaire de sexe opposé.

9. Mme Grant a alors introduit un recours à l'encontre de SWT devant l'Industrial Tribunal, Southampton, en soutenant que le refus qui lui était opposé constituait une discrimination fondée sur le sexe, contraire à l'Equal Pay Act 1970 (loi relative à l'égalité de rémunération), à l'article 119 du traité et/ou à la directive 76/207. Elle a fait valoir, en particulier, que son prédécesseur dans le poste, un homme qui avait déclaré avoir une relation significative avec une femme depuis plus de deux ans, avait bénéficié des avantages qui lui étaient refusés.

10. L'Industrial Tribunal, Southampton, a estimé que la difficulté à laquelle il se trouvait confronté était de savoir si le refus d'accorder les avantages litigieux, fondé sur l'orientation sexuelle de l'employé, était une «discrimination fondée sur le sexe», au sens de l'article 119 du traité et des directives relatives à l'égalité de traitement entre hommes et femmes. Il a relevé que, si certaines juridictions du Royaume-Uni avaient rendu des décisions répondant de manière négative à cette question, en revanche, l'arrêt de la Cour du 30 avril 1996, P./S. (C-13/94, Rec. p. I-2143), accréditait «de manière convaincante, l'idée que la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle [était] illégale».

11. C'est pour ces motifs que le juge national a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) Est-il (sous réserve du point 6 ci-après) contraire au principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins, établi par l'article 119 du traité instituant la Communauté européenne et par l'article 1er de la directive 75/117 du Conseil, de refuser à un employé des réductions sur le prix des transports au bénéfice d'un partenaire du même sexe qui cohabite sans être marié alors que des réductions de cet ordre sont accordées au bénéfice des conjoints des employés de la même catégorie ou de leurs partenaires de sexe opposé qui cohabitent sans être mariés?

2) La 'discrimination fondée sur le sexe‘, visée à l'article 119, englobe-t-elle la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle de l'employé?

3) La 'discrimination fondée sur le sexe‘, visée à l'article 119, englobe-t-elle la discrimination fondée sur le sexe du partenaire de cet employé?

4) Si la première question appelle une réponse affirmative, l'employé qui se voit refuser des réductions de cet ordre est-il nanti d'un droit communautaire qu'il peut directement invoquer contre son employeur?

5) Un refus de cet ordre heurte-t-il les dispositions de la directive 76/207 du Conseil?

6) Un employeur est-il admis à justifier un refus de cet ordre en démontrant (a) que les réductions en question visent à avantager les partenaires mariés ou les partenaires qui sont dans une situation équivalente aux partenaires mariés et (b) que la société n'a traditionnellement pas assimilé au mariage les relations entre des partenaires du même sexe qui cohabitent et ne les y assimile en général pas, plutôt qu'en invoquant une raison économique ou d'organisation en rapport avec l'emploi en question?»

12. Compte tenu des liens étroits qui existent entre ces six questions, il y a lieu de les examiner ensemble.

13. Il convient de rappeler, à titre liminaire, que la Cour a déjà jugé que des réductions sur le prix des transports accordées par un employeur à ses anciens salariés, leur conjoint ou les personnes à leur charge, en raison de l'emploi de ces salariés, étaient des éléments de «rémunération» au sens de l'article 119 du traité (voir, en ce sens, arrêt du 9 février 1982, Garland, 12/81, Rec. p. 359, point 9).

14. En l'occurrence, il est constant qu'une réduction sur le prix des transports accordée par un employeur, sur la base du contrat de travail, en faveur du conjoint ou de la personne, de sexe opposé, avec laquelle le travailleur entretient une relation stable hors mariage, relève de l'article 119 du traité. Un tel avantage ne relève donc pas de la directive 76/207, mentionnée dans la cinquième question posée par la juridiction de renvoi (voir arrêt du 13 février 1996, Gillespie e.a., C-342/93, Rec. p. I-475, point 24).

15. Il ressort du libellé des autres questions, comme des motifs du jugement de renvoi, que le juge national cherche à savoir si le refus par un employeur d'octroyer une réduction sur le prix des transports en faveur de la personne, de même sexe, avec laquelle un travailleur entretient une relation stable constitue une discrimination prohibée par l'article 119 du traité et par la directive 75/117, lorsqu'une telle réduction est accordée en faveur du conjoint du travailleur ou de la personne, de sexe opposé, avec laquelle celui-ci entretient une relation stable hors mariage.

16. Mme Grant estime, tout d'abord, qu'un tel refus constitue une discrimination directement fondée sur le sexe. Elle fait valoir que son employeur aurait pris une décision différente si les avantages en cause dans le litige au principal avaient été réclamés par un homme vivant avec une femme et non par une femme vivant avec une femme.

17. A cet égard, Mme Grant soutient que le simple fait que le travailleur masculin qui a occupé son poste auparavant ait obtenu des réductions sur le prix des transports pour sa partenaire de sexe féminin, sans être marié avec celle-ci, suffit à identifier une discrimination directe fondée sur le sexe. Selon elle, si un travailleur de sexe féminin ne bénéficie pas des mêmes avantages qu'un travailleur de sexe masculin, toutes choses étant égales par ailleurs, il est victime d'une discrimination fondée sur le sexe (approche dite du «critère de l'élément distinctif unique» — «but for test»).

18. Mme Grant soutient, ensuite, qu'un tel refus constitue une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle, incluse dans la notion de «discrimination fondée sur le sexe» visée par l'article 119 du traité. Selon elle, les différences de traitement fondées sur l'orientation sexuelle trouvent leur origine dans les préjugés relatifs au comportement sexuel ou affectif des personnes d'un sexe donné et sont fondées, en réalité, sur le sexe de ces personnes. Elle ajoute qu'une telle interprétation découle de l'arrêt P./S., précité, et répond tant aux résolutions et recommandations adoptées par les institutions communautaires qu'à l'évolution des normes internationales en matière de droits de l'homme et des normes nationales en matière d'égalité de traitement.

19. Enfin, Mme Grant fait valoir que le refus qui lui a été opposé n'est pas objectivement justifié.

20. SWT ainsi que les gouvernements français et du Royaume-Uni estiment que le refus d'un avantage tel que celui en cause dans le litige au principal n'est pas contraire à l'article 119 du traité. Ils font valoir, tout d'abord, que l'arrêt P./S., précité, limité au cas des conversions sexuelles, se borne à assimiler les discriminations fondées sur le changement de sexe d'une personne aux discriminations fondées sur l'appartenance d'une personne à un sexe déterminé.

21. Ils soutiennent, ensuite, que la différence de traitement dont Mme Grant se plaint n'est pas fondée sur son orientation ou sa tendance sexuelle mais sur le fait qu'elle ne remplit pas les conditions fixées par le règlement de l'entreprise.

22. Enfin, selon eux, les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle ne sont pas des «discriminations fondées sur le sexe», au sens de l'article 119 du traité ou de la directive 75/117. Ils invoquent notamment, à cet égard, le libellé et les objectifs de cet article, l'absence de consensus entre les États membres sur l'assimilation des relations stables entre personnes de même sexe aux relations stables entre personnes de sexe opposé, l'absence de protection de ces relations au titre des articles 8 ou 12 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du 4 novembre 1950 (ci-après la «convention») ainsi que l'absence de discrimination en découlant, au sens de l'article 14 de la même convention.

23. La Commission considère également que le refus opposé à Mme Grant n'est contraire ni à l'article 119 du traité ni à la directive 75/117. De son point de vue, les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle des travailleurs peuvent être considérées comme des «discriminations fondées sur le sexe» visées par cet article. Elle fait valoir, toutefois, que la discrimination dont se plaint Mme Grant n'est pas fondée sur son orientation sexuelle mais sur le fait qu'elle ne vit pas «en couple» ou avec un «conjoint», au sens que le droit de la plupart des États membres, le droit communautaire et le droit issu de la convention donnent à ces notions. Elle estime que, dans ces conditions, la différence de traitement opérée par la réglementation en vigueur dans l'entreprise où travaille Mme Grant n'est pas contraire à l'article 119 du traité.

24. Au vu des éléments du dossier, il convient tout d'abord de répondre à la question de savoir si une condition fixée par un règlement d'entreprise, telle que celle en cause dans le litige au principal, constitue une discrimination fondée directement sur le sexe du travailleur. Dans la négative, il y aura lieu, ensuite, de rechercher si le droit communautaire exige que les relations stables entre deux personnes du même sexe soient assimilées par tout employeur aux relations entre personnes mariées ou aux relations stables hors mariage de deux personnes de sexe opposé. Enfin, il conviendra d'examiner la question de savoir si une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle constitue une discrimination fondée sur le sexe du travailleur.

25. En premier lieu, il convient de relever que la réglementation applicable dans l'entreprise où travaille Mme Grant prévoit l'octroi de réductions sur le prix des transports au travailleur, à son «conjoint», c'est-à-dire à la personne à laquelle il est marié et dont il n'est pas légalement séparé, ou à la personne de sexe opposé avec laquelle il entretient une relation «significative» depuis deux ans ou plus, à ses enfants, aux personnes de sa famille qui sont à sa charge ainsi qu'à son conjoint survivant.

26. Le refus opposé à Mme Grant est fondé sur le fait qu'elle ne remplit pas les conditions prévues par cette réglementation et, plus particulièrement, qu'elle ne vit pas avec un «conjoint» ou avec une personne de sexe opposé avec laquelle elle entretient une relation «significative» depuis deux ans ou plus.

27. Cette dernière condition, dont il résulte que le travailleur doit vivre de manière stable avec une personne du sexe opposé pour pouvoir bénéficier des réductions sur le prix des transports, est, de même d'ailleurs que les autres conditions alternatives prévues par le règlement de l'entreprise, appliquée indépendamment du sexe du travailleur concerné. Ainsi, les réductions sur le prix des transports sont refusées à un travailleur masculin s'il vit avec une personne du même sexe de la même manière qu'elles sont refusées à un travailleur féminin s'il vit avec une personne du même sexe.

28. Dès lors que la condition fixée par le règlement de l'entreprise s'applique de la même manière aux travailleurs de sexe féminin qu'à ceux de sexe masculin, elle ne saurait être considérée comme constituant une discrimination directement fondée sur le sexe.

29. En deuxième lieu, il convient d'examiner si, s'agissant de l'application d'une condition telle que celle en cause dans le litige au principal, les personnes qui entretiennent une relation stable avec un partenaire du même sexe sont dans la même situation que les personnes mariées ou celles qui ont une relation stable hors mariage avec un partenaire du sexe opposé.

30. Mme Grant fait notamment valoir que le droit des États membres ainsi que celui de la Communauté et d'autres organisations internationales assimilent de plus en plus souvent les deux situations.

31. A cet égard, s'il est vrai que, comme l'a relevé Mme Grant, le Parlement européen a déclaré qu'il déplorait toute discrimination motivée par la tendance sexuelle d'un individu, il n'en reste pas moins que la Communauté n'a pas adopté, jusqu'à présent, de normes procédant à une telle assimilation.

32. En ce qui concerne le droit des États membres, si, dans certains d'entre eux, la communauté de vie entre deux personnes du même sexe est assimilée au mariage, quoique incomplètement, dans la plupart des États membres, elle n'est assimilée aux relations hétérosexuelles stables hors mariage que pour un nombre limité de droits ou bien ne fait l'objet d'aucune reconnaissance particulière.

33. De son côté, la Commission européenne des droits de l'homme retient que, en dépit de l'évolution contemporaine des mentalités vis-à-vis de l'homosexualité, des relations homosexuelles durables ne relèvent pas du droit au respect de la vie familiale protégé par l'article 8 de la convention (voir, notamment, décisions du 3 mai 1983, X. et Y./Royaume-Uni, n° 9369/81, D R 32 p. 220; du 14 mai 1986, S./Royaume-Uni, n° 11716/85, D R 47 p. 274, paragraphe 2, et du 19 mai 1992, Kerkhoven et Hinke/Pays-Bas, n° 15666/89, non publiée, paragraphe 1) et que des dispositions nationales assurant, à des fins de protection de la famille, un traitement plus favorable aux personnes mariées et aux personnes de sexe opposé cohabitant comme mari et femme qu'aux personnes de même sexe ayant des relations durables ne sont pas contraires à l'article 14 de la convention qui prohibe notamment les discriminations fondées sur le sexe (voir décisions S./Royaume-Uni, précitée, paragraphe 7; du 9 octobre 1989, C. et L. M./Royaume-Uni, n° 14753/89, non publiée, paragraphe 2, et du 10 février 1990, B./Royaume-Uni, n° 16106/90, D R 64 p. 278, paragraphe 2).

34. Dans un contexte différent, la Cour européenne des droits de l'homme interprète d'ailleurs l'article 12 de la convention en ce sens qu'il ne vise que le mariage traditionnel entre deux personnes de sexe biologique différent (voir arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme du 17 octobre 1986, Rees, Série A n° 106, p. 19, paragraphe 49, et du 27 septembre 1990, Cossey, Série A n° 184, p. 17, paragraphe 43).

35. Il résulte de ce qui précède que, en l'état actuel du droit au sein de la Communauté, les relations stables entre deux personnes du même sexe ne sont pas assimilées aux relations entre personnes mariées ou aux relations stables hors mariage entre personnes de sexe opposé. Par conséquent, un employeur n'est pas tenu par le droit communautaire d'assimiler la situation d'une personne qui a une relation stable avec un partenaire de même sexe à celle d'une personne qui est mariée ou qui a une relation stable hors mariage avec un partenaire de sexe opposé.

36. Dans ces circonstances, il ne peut appartenir qu'au législateur d'adopter, le cas échéant, des mesures susceptibles d'affecter cette situation.

37. En dernier lieu, Mme Grant soutient qu'il résulte de l'arrêt P./S., précité, que les différences de traitement fondées sur l'orientation sexuelle sont au nombre des «discriminations fondées sur le sexe» prohibées par l'article 119 du traité.

38. Dans cette dernière affaire, la Cour était interrogée sur le point de savoir si une mesure de licenciement fondée sur le changement de sexe du travailleur concerné devait être regardée comme une «discrimination fondée sur le sexe» au sens de la directive 76/207.

39. Le juge de renvoi se demandait, en effet, si cette directive n'avait pas un champ d'application plus large que le Sex Discrimination Act 1975 (loi relative aux discriminations fondées sur le sexe) qu'il avait à appliquer et qui, selon lui, ne couvrait que les discriminations fondées sur l'appartenance du salarié concerné à l'un ou l'autre sexe.

40. Dans leurs observations devant la Cour, le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission avaient soutenu que la directive ne prohibait que les discriminations trouvant leur origine dans l'appartenance du salarié concerné à l'un ou à l'autre sexe mais non celles fondées sur la conversion sexuelle du salarié.

41. En réponse à cette argumentation, la Cour a relevé que les dispositions de la directive interdisant les discriminations entre les hommes et les femmes n'étaient que l'expression, dans le domaine limité qui est le leur, du principe d'égalité, qui est l'un des principes fondamentaux du droit communautaire. Elle a estimé que cette circonstance plaidait contre une interprétation restrictive du champ

d'application de ces dispositions et conduisait à appliquer ces dernières aux discriminations qui trouvent leur origine dans la conversion sexuelle du travailleur.

42. La Cour a considéré que de telles discriminations étaient, en réalité, fondées essentiellement, sinon exclusivement, sur le sexe de la personne concernée. Un tel raisonnement, qui conduit à considérer que ces discriminations doivent être interdites au même titre que les discriminations fondées sur l'appartenance d'une personne à un sexe déterminé, auxquelles elles sont très étroitement liées, est limité au cas de la conversion sexuelle d'un travailleur et ne s'applique donc pas aux différences de traitement fondées sur l'orientation sexuelle d'une personne.

43. Mme Grant estime cependant que, à l'instar de certaines dispositions de droit national ou de conventions internationales, les dispositions communautaires en matière d'égalité de traitement entre les hommes et les femmes doivent être interprétées en ce sens qu'elles couvrent les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle. A cet égard, la requérante au principal se réfère notamment au pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966 (recueil des traités des Nations unies, vol. 999, p. 171), dans lequel, de l'avis du Comité des droits de l'homme institué conformément à son article 28, la notion de «sexe» viserait aussi les préférences sexuelles (communication n° 488/1992, Toonen/Australie, constatations adoptées le 31 mars 1994, 50e session, point 8.7).

44. Sur ce point, il convient de rappeler que ledit pacte figure au nombre des instruments internationaux concernant la protection des droits de l'homme dont la Cour tient compte pour l'application des principes généraux du droit communautaire (voir, par exemple, arrêts du 18 octobre 1989, Orkem/Commission, 374/87, Rec. p. 3283, point 31, et du 18 octobre 1990, Dzodzi, C-297/88 et C-197/89, Rec. p. I-3763, point 68).

45. Toutefois, si le respect des droits fondamentaux qui font partie intégrante de ces principes généraux constitue une condition de la légalité des actes communautaires, ces droits ne peuvent en eux-mêmes avoir pour effet d'élargir le champ d'application des dispositions du traité au-delà des compétences de la Communauté (voir, notamment, en ce qui concerne la portée de l'article 235 du traité CE au regard du respect des droits de l'homme, avis 2/94, du 28 mars 1996, Rec p. I-1759, points 34 et 35).

46. En outre, dans la communication du Comité des droits de l'homme à laquelle se réfère Mme Grant, cet organe, qui n'est d'ailleurs pas une instance juridictionnelle et dont les constatations sont dépourvues de valeur juridique contraignante, s'est borné, selon ses propres termes et sans donner de motivation particulière, à «observer qu'à son avis la référence au 'sexe‘ au paragraphe 1 de l'article 2 et à l'article 26 doit être considérée comme recouvrant les préférences sexuelles».

47. Une telle observation, qui ne semble d'ailleurs pas refléter l'interprétation généralement admise à ce jour de la notion de discrimination fondée sur le sexe contenue dans différents instruments internationaux concernant la protection des droits fondamentaux, ne saurait donc, en tout état de cause, amener la Cour à élargir la portée de l'article 119 du traité. Dans ces conditions, la portée de cet article, comme celle de toute disposition de droit communautaire, ne peut être déterminée qu'en tenant compte de son libellé et de son objectif, ainsi que de sa place dans le système du traité et du contexte juridique dans lequel cette disposition s'insère. Or, il résulte des considérations qui précèdent qu'en son état actuel le droit communautaire ne couvre pas une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle, comme celle qui fait l'objet du litige au principal.

48. Il y a lieu, cependant, d'observer que le traité d'Amsterdam modifiant le traité sur l'Union européenne, les traités instituant les Communautés européennes et certains actes connexes, signé le 2 octobre 1997, a prévu d'ajouter au traité CE un article 6 A qui, après l'entrée en vigueur dudit traité, permettra au Conseil de prendre, dans certaines conditions (vote à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen), les mesures nécessaires à l'élimination de différentes formes de discriminations, et notamment de celles fondées sur l'orientation sexuelle.

49. Enfin, compte tenu de ce qui précède, il n'est pas nécessaire d'examiner l'argument de Mme Grant tiré de ce qu'un refus tel que celui qui lui a été opposé n'est pas objectivement justifié.

50. Par suite, il y a lieu de répondre au juge national que le refus par un employeur d'octroyer une réduction sur le prix des transports en faveur de la personne, de même sexe, avec laquelle un travailleur entretient une relation stable, lorsqu'une telle réduction est accordée en faveur du conjoint du travailleur ou de la personne, de sexe opposé, avec laquelle celui-ci entretient une relation stable hors mariage, ne constitue pas une discrimination prohibée par l'article 119 du traité ou par la directive 75/117.

Sur les dépens

51. Les frais exposés par le gouvernement du Royaume-Uni et français et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

statuant sur les questions à elle soumises par l'Industrial Tribunal, Southampton, par jugement du 17 juillet 1996, dit pour droit:

Le refus par un employeur d'octroyer une réduction sur le prix des transports en faveur de la personne, de même sexe, avec laquelle un travailleur entretient une relation stable, lorsqu'une telle réduction est accordée en faveur du conjoint du travailleur ou de la personne, de sexe opposé, avec laquelle celui-ci entretient une relation stable hors mariage, ne constitue pas une discrimination prohibée par l'article 119 du traité CE ou par la directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins.

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 17 février 1998.


1: Langue de procédure: l'anglais.

Cette version est susceptible de modification. La version définitive de ces textes est publiée dans le "Recueil de la jurisprudence de la Cour et du Tribunal de première instance" qui seule fait foi et prime en cas de divergence avec la version électronique.
Source : Cour de justice des Communautés européennes
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