La seconde conférence américaine sur les maladies rétrovirales s'est tenue fin janvier à Washington (les rétrovirus sont une famille particulière de virus, dont fait partie le VIH). Deux sujets ont tenu la vedette : les antirétroviraux (médicaments anti-VIH), d'une part, et les traitements du CMV (cytomégalovirus), d'autre part.
Médicaments anti-VIH
Deux thèmes ont donné lieu à de multiples présentations : le 3TC (voir l'éditorial de ce numéro ainsi que le dossier sur les antirétroviraux) et les inhibiteurs de la protéase virale. Ces derniers (aussi appelés antiprotéases) ont fait l'objet de plusieurs essais visant à mesurer leur toxicité et leurs effets à court terme. Ces essais ont révélé qu'une protéine présente dans le sang s'attache à certains inhibiteurs de la protéase, réduisant leur pénétration dans les cellules infectées et donc leur efficacité. Les molécules des laboratoires Searle (SC 52151) et Wellcome (141W94) semblent les plus touchées par ce problème. Les inhibiteurs ABT 538 (Abbott), MK-639 (Merck), AG 1343 (Agouron) et saquinavir (Roche) semblent moins affectés par ce phénomène, et gardent une efficacité certaine, au moins à court terme. Ces quatre molécules font aujourd'hui l'objet d'essais cliniques pour évaluer leur efficacité sur un à deux ans.
Concernant le saquinavir, une petite étude sur 40 personnes a étudié les effets de son administration à fortes doses. La dose de 7,2 grammes par jour (soit 6 fois la dose testée aujourd'hui !) s'est montrée la plus efficace pour réduire la charge virale (la quantité de VIH présente dans le sang) et augmenter les taux de T4 pendant 6 mois. Malgré ce dosage très élevé, seuls quelques cas de diarrhées et de chute transitoire des globules blancs ont été observés.
Charge virale
De nombreuses présentations ont exploré les relations entre la charge virale (quantité de VIH présente dans le sang) et la progression de l'infection par le VIH. Des échantillons provenant de quatre essais cliniques ont été analysés. Ils indiquent que la diminution de la charge virale moyenne d'un groupe comportant un grand nombre de patients prédit une progression plus lente de la maladie, au sein de ce groupe. Cette information devrait être bientôt validée par des essais conçus à cet effet. La charge virale servira alors à reconnaître, dans le cadre d'essais cliniques, les associations de molécules les plus prometteuses. Sans avoir à attendre que les participants développent des infections opportunistes.
Par contre, il est beaucoup trop tôt pour savoir si les variations de la charge virale d'UN patient peuvent être utilisées pour décider de changements dans le traitement de cette personne. Des essais complexes, dits «de stratégie», se mettent en place aux États-Unis et en France, pour évaluer la place de la charge virale dans le suivi individuel des personnes séropositives.
CMV (cytomégalovirus)
Plusieurs présentations ont confirmé ce qui avait été pressenti lors de la conférence ICAAC (voir Remaides n°15) : le traitement et la prévention des infections à CMV évoluent et deviennent plus souples. Cette infection touche souvent l'¶il (provoquant une rétinite), chez les personnes ayant moins de 50 T4/mm3. Elle ne bénéficiait pas jusqu'ici de traitement préventif (pour éviter l'infection) ; son traitement curatif (une fois l'infection déclarée) est rigide et lourd (Cymévan® ou Foscavir®, en perfusions intraveineuses quotidiennes). La conférence de Washington a confirmé l'efficacité de deux nouveaux modes d'administration du Cymévan® : les gélules et les implants intra-oculaires.
Cymévan® en gélules
Le Cymévan® oral (en gélules) a fait l'objet d'essais à la dose de 3 g/jour (soit 12 gélules, prises en 3 fois, avec les repas afin d'améliorer l'absorption du médicament par le tube digestif). Ce médicament présente un intérêt dans deux situations différentes :
- Pour éviter les rechutes, chez les personnes qui ont déjà eu une rétinite à CMV. L'efficacité des gélules est moindre que celle des perfusions, mais suffisante pour permettre de les utiliser chez les patients ne pouvant pas bénéficier de perfusions, ou désirant les interrompre pour une courte période (vacances, par exemple).
Le Cymévan® en gélules a obtenu son AMM (autorisation de mise sur le marché, délivrée par le ministère de la Santé) pour les personnes qui ne peuvent pas avoir de perfusions. Dans cette indication, ce médicament est disponible dans les pharmacies hospitalières (en 1996, il le sera en pharmacie de ville).
Par ailleurs, le traitement par voie orale peut probablement être amélioré par des injections hebdomadaires de Cymévan® directement dans l'¶il atteint (impressionnant, mais peu douloureux).
- Les gélules de Cymévan® semblent également efficaces pour retarder l'apparition d'infection à CMV chez les personnes ayant moins de 50 T4/mm3 (et n'ayant jamais eu de maladie due au CMV). Lors d'une étude de 18 mois portant sur 725 patients, l'administration de gélules de Cymévan® a diminué la fréquence des infections à CMV de moitié (17 % contre 31 % pour le groupe placebo). Cependant, on peut se demander si ce traitement ne favorise pas l'apparition de CMV résistant au Cymévan®, ce qui rendrait ensuite le traitement plus difficile en cas d'infection déclarée. Par ailleurs, le Cymévan® oral peut avoir des effets secondaires : baisse de certains globules blancs (neutropénie), des globules rouges (anémie), diarrhée, nausées.
Un programme « compassionnel » d'accès au Cymévan® en gélules, pour les personnes ayant moins de 50 T4/mm3, et n'ayant jamais eu de maladie due au CMV, s'ouvre au début de l'été 1995.
Implants de Cymévan®
Les minuscules implants intra-oculaires de Cymévan® sont placés directement à l'intérieur de l'¶il. Ils ne gênent pas la vision. Ils diffusent du Cymévan® pendant 8 mois en moyenne. Ils doivent donc être changés régulièrement. Deux études présentées à Washington ont démontré leur efficacité dans le traitement des rétinites à CMV. L'une d'entre elles a comparé sur 188 patients les effets de ces implants par rapport aux perfusions de Cymévan® classiques : l'¶il des personnes recevant des perfusions a rechuté en moyenne en 2 mois, alors que l'¶il des personnes recevant un implant a rechuté en moyenne en 6 mois. Cependant, ces implants ne protègent que l'¶il où ils sont implantés (alors que les perfusions ou les gélules traitent l'ensemble du corps). Leur mise en place doit être effectuée par un médecin ophtalmologue expérimenté, pour réduire le risque d'hémorragie de l'¶il. De plus, il semblerait que la présence d'implant augmente la fréquence des décollements de rétine.
Le groupe TRT-5 (Actions-Traitements, Act-up, AIDES, Arcat-sida, VLS) a demandé aux laboratoires Chiron (qui fabriquent ces implants) l'ouverture d'un programme « compassionnel ». Réponse cet étéä
Traitements du CMV : le futur
On pourrait se diriger vers le schéma suivant :
- Pour les personnes développant une rétinite à CMV, un traitement d'attaque par perfusion, suivi d'un traitement d'entretien à base de gélules et d'implants de Cymévan®. Des essais cliniques sont en cours pour comparer ces différentes modalités et identifier la meilleure façon de traiter le CMV tout en préservant la qualité de vie des patients.
- Pour les personnes ayant moins de 50 T4/mm3, n'ayant pas eu de maladies dues au CMV, mais estimées « à risque » pour cette infection, une prévention par gélules de Cymévan® est envisageable. Le concept de « risque » est encore mal défini et varie selon les pays. Les médecins américains pensent que l'augmentation des taux d'anticorps contre le CMV dans le sang, ou la présence de CMV dans les urines peut annoncer une infection à CMV. De plus, une étude a montré que les personnes ayant développé une mycobactériose atypique (MAC) ont plus de risques d'avoir une infection à CMV.
Cidofovir (HPMPC)
Une nouvelle molécule est à l'étude dans le traitement des infections à CMV et autres herpèsvirus : le cidofovir (ex-HPMPC). Une étude sur 48 personnes souffrant de rétinite à CMV a montré que cette molécule est très efficace mais assez toxique pour les reins et les globules blancs. Elle est administrée en longues perfusions (12 heures en comptant les perfusions annexesä) deux fois par semaine pendant le traitement d'attaque, et une fois par semaine en traitement d'entretien. D'autres études sont en cours : injections intra-oculaires de cidofovir (en cas de rétinite à CMV) ; pommade au cidofovir (pour les lésions d'herpès classique).
Moins de 10 T4
Plusieurs présentations se sont penchées sur les traitements des personnes très immunodéprimées (moins de 10 T4). À la question « doit-on continuer à prendre des antirétroviraux lorsqu'on a moins de 10 T4 ? », les réponses étaient plutôt en forme de questions. Il semble clair que les personnes n'ayant jamais reçu de traitement antirétroviral et ayant peu de T4 bénéficient d'un tel traitement. Mais la question reste entière pour les patients qui ont derrière eux des années de traitement par ces molécules. Les problèmes de résistance du VIH, des nombreux autres médicaments pris à ce stade, de la plus grande sensibilité des personnes immunodéprimées aux effets secondaires des médicaments et la notion de qualité de vie doivent être pris en compte par le médecin et le patient.
Stéphane KORSIA
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