Environ 1 200 à 1 400 femmes séropositives sont enceintes chaque année, en France. Quels sont les risques de transmission du virus à l'enfant, les effets des traitements antirétroviraux, l'inþuence de la grossesse sur l'évolution de l'infection maternelle ? Quelles que soient les réponses, poursuivre ou interrompre la grossesse est, pour les mères ou les parents, une décision difÞcile, qu'ils doivent pouvoir prendre en toute connaissance de cause mais aussi en toute liberté.
Quel risque de transmission de la mère au f¶tus ?
Le risque de transmission du VIH à l'enfant en cours de grossesse est actuellement estimé en France à environ 20 % en moyenne. Un enfant sur cinq se trouve donc contaminé, selon des mécanismes encore mal connus. La transmission, dont on ne peut établir le moment précis, est probablement beaucoup plus fréquente au second ou troisième trimestre. Elle peut cependant également survenir dans les premières semaines de la grossesse. Le VIH parvient sans doute à traverser le placenta. L'enfant pourrait également être contaminé à partir des sécrétions du col utérin ou de la muqueuse vaginale, ou par passage de lymphocytes maternels dans le sang du f¶tus au moment de l'accouchement. La nécessité d'une césarienne systématique, destinée à prévenir ces deux derniers modes de transmission, n'est cependant vraiment démontrée par aucune étude et reste discutée.
Après l'accouchement, la transmission par allaitement maternel est peu fréquente mais elle existe, aussi l'allaitement est-il formellement contre-indiqué dans les pays développés. Contrairement au tiers-monde où, même compte tenu de la possibilité de transmission par le lait maternel, le danger de malnutrition infantile doit aussi entrer en ligne de compte.
Le risque de transmission en cours de grossesse semble par contre inþuencé par le stade de l'infection par le VIH de la mère. Lorsque celle-ci se trouve à un stade avancé de la maladie et présente un faible taux de lymphocytes T4, le risque est alors plus élevé. Il en est de même pour les mères présentant une antigénémie importante (taux sanguin d'antigène viral P24) et une virémie élevée (nombre de particules virales présentes dans leurs cellules sanguines), ces deux marqueurs indiquant la présence chez la mère d'une quantité importante de virus. Même s'il est moins grand, le risque de transmission du VIH à l'enfant existe aussi pour les mères ayant un taux de T4 élevé et ne présentant aucun symptôme (stade « asymptomatique »). EnÞn en Afrique selon certaines études, la transmission mère-enfant serait moins importante pour le VIH-2 que pour le VIH-1.
L'infection à VIH de la mère est-elle aggravée par la grossesse ?
La réponse varie également selon le stade de l'infection par le VIH.
Chez les mères asymptomatiques, ayant un taux de T4 supérieur à 200/mm3, l'infection ne semble pas spécialement accélérée ou aggravée pendant la grossesse, ni au cours des premières années qui la suivent. Son inþuence à long terme, plusieurs années après l'accouchement, sur le cours de la maladie de la mère est encore difÞcile à prévoir.
Chez les mères présentant des signes cliniques (perte de poids, infections fréquentes, candidose vaginaleä) ou biologiques (taux de T4 inférieur à 200/mm3, virémie élevée), la grossesse peut avoir un effet aggravant sur l'infection par le VIH. Des infections opportunistes peuvent être observées au cours des derniers mois et dans la période qui suit l'accouchement.
Les grossesses à VIH sont-elles plus difÞciles ?
En Europe, en dehors d'infections urinaires et de mycoses vaginales plus fréquentes, la grossesse et l'accouchement des femmes contaminées par le VIH se déroulent en général tout à fait normalement et aboutissent à terme à la naissance d'un enfant de poids normal. En revanche, en Afrique, on compte plus d'avortements spontanés et de morts f¶tales « in utero » (avant la naissance). EnÞn, seule la poursuite d'une toxicomanie en cours de grossesse peut provoquer, comme chez toute femme enceinte, séropositive ou non, une hypotrophie f¶tale (enfant de poids insufÞsant) ou une naissance prématurée.
Quand peut-on savoir si l'enfant est contaminé ?
Si seuls environ 20 % des enfants sont contaminés en cours de grossesse, tous, contaminés ou non, naissent « séropositifs » pour le VIH : leur mère leur a transmis ses anticorps capables de traverser le placenta. Ces anticorps anti-VIH peuvent subsister chez l'enfant plus d'un an. Seule leur persistance au delà de 15 à 18 mois permet le diagnostic d'infection avec les tests classiques, conçus pour la détection de ce type d'anticorps. La technique de la P.C.R. (Polymerase chain reaction, visant à dépister la présence d'ADN viral), la culture virale, la recherche de l'antigène viral p24 permettent un diagnostic plus précoce, dans les premières semaines de vie. Effectués sur l'enfant dès les premiers jours et répétés régulièrement, ces examens permettent, dans la quasi-totalité des cas, de diagnostiquer l'infection dès le deuxième ou troisième mois.
En revanche, on ne dispose d'aucun examen qui permette de savoir pendant la grossesse si l'enfant est contaminé par le VIH ou non.
Évolution des enfants contaminés en cours de grossesse
L'infection à VIH du nouveau-né peut prendre deux formes bien distinctes :
Certains enfants (environ 20 %) développent rapidement après la naissance une infection sévère caractérisée dès les premiers mois par un déÞcit immunitaire important, des infections opportunistes avec atteinte fréquente du cerveau. La durée de vie des enfants atteints de cette forme dépasse très rarement 4 ou 5 ans.
Chez les autres enfants contaminés par le VIH, cette infection évolue plus lentement, comme chez l'adulte. La plupart de ces enfants peuvent avoir une scolarité normale. La grande majorité d'entre eux sont en vie à l'âge de 8 ans.
Cette forme lentement évolutive pourrait survenir en cas de contamination tardive en Þn de grossesse ou au moment de l'accouchement, la forme précoce pouvant quant à elle correspondre à une transmission maternelle en début de grossesse. La présence de signes d'infection à la naissance pourrait parfois également correspondre à une contamination en Þn de grossesse, mais par de très fortes quantités de virus.
Le traitement anti-rétroviral de la mère en cours de grossesse peut-il éviter l'infection de l'enfant ?
L'AZT peut traverser le placenta de la mère à l'enfant. Il était donc logique de tenter un traitement préventif de la transmission materno-f¶tale en cours de grossesse, malgré les risques éventuels pour le f¶tus, difÞciles à prévoir.
Une étude (ACTG 076) a été entreprise aux Etats-Unis et en France entre 1991 et 1993. Elle portait sur des femmes (enceintes) séropositives asymptomatiques, ayant plus de 200 T4/mm3 et n'ayant jamais pris d'AZT auparavant. Un groupe de femmes a pris de l'AZT à partir du second trimestre de grossesse (à la dose de 100 mg x 5/jour). Pendant l'accouchement, elles recevaient l'AZT en perfusion. Le nouveau-né, lui, recevait de l'AZT en sirop pendant ses 6 premières semaines de vie. Un autre groupe de femmes (et leurs nouveaux-nés) recevaient un placebo (un « faux » médicament, sans aucun effet antiviral).
Les résultats se sont montrés particulièrement encourageants. Le taux de transmission du virus se chiffrait à 25,5 %, à l'âge de 18 mois chez les enfants nés de mères ayant reçu le placebo. Mais il n'était que de 8,3 % chez les enfants des femmes mises sous AZT.
Bien supporté par les mères, le traitement n'a pas eu d'effets toxiques immédiats pour les enfants, à part une anémie (chute du taux d'hémoglobine contenue dans les globules rouges) au moment de la naissance, pour certains enfants. Aucune malformation liée au traitement par AZT en cours de grossesse n'a été enregistrée à ce jour. Ces enfants, qui continuent d'être suivis médicalement, n'ont actuellement apparemment pas d'autres problèmes imputables au traitement. Cependant, on n'en connaît pas l'effet à long terme (à 5 ans, 10 ans, 20 ansä).
Chez les enfants qui ont quand même été contaminés, il est encore trop tôt pour évaluer l'effet (positif ou négatif) du traitement par AZT pendant la grossesse. Par ailleurs, on sait, grâce à l'étude Concorde, que l'AZT ne présente pas d'intérêt pour une personne qui a 400 ou 500 T4/mm3. Le fait d'en prendre, pendant la grossesse aura-t-il une conséquence négative ultérieure sur la santé de la mère (sélection de souches de VIH résistantes à l'AZT) ? On ne peut pas non plus répondre à cette question.
EnÞn, on ne sait pas quelle est l'efÞcacité de l'AZT sur la transmission du VIH dans les autres cas (femme ayant moins de 200 T4/mm3 ou ayant déjà eu une infection opportuniste, ou ayant déjà pris de l'AZT).
Reste qu'en dehors de ces réserves, le traitement semble nettement améliorer les chances d'avoir un enfant indemne. Cet essai montre par ailleurs qu'un traitement par AZT administré dans le seul but de soigner la mère est possible en cours de grossesse. Quant aux autres anti-rétroviraux, aucun n'a fait l'objet d'une étude comparable.
Poursuivre ou interrompre une grossesse est donc une décision difÞcile à prendre. Il est utile d'en étudier posément tous les aspects avec, chaque fois que c'est possible, l'aide de la famille, des proches, des médecins et des milieux associatifs impliqués dans la lutte contre le sida. La position ofÞciellement admise dans les milieux spécialisés consiste à améliorer sans l'imposer le dépistage des femmes enceintes séropositives, à les informer clairement et complètement de tous les aspects médicaux de leur grossesse, à respecter intégralement leur choix et à leur assurer un suivi médical et un appui psychologique satisfaisants.
G. M.
En France, 1 200 à 1 400 femmes porteuses du VIH se trouvent enceintes chaque année, volontairement ou non.
La moitié de ces grossesses sont menées à terme. 600 enfants naissent donc chaque année de mères porteuses du virus (qui, dans 20 % des cas, ont découvert leur séroposivité à l'occasion de leur grossesse). À peu près 20 % (120) de ces enfants sont contaminés par le VIH. Ces chiffres augmenteront sans doute dans les années à venir.
G.M.
Parler de la séropositivité, du désir d'enfant, du fait d'avoir ou de ne pas avoir un enfant quand on est séropositif(ve), rencontrer des personnes dans la même situation peut aider à y voir plus clair, à se sentir moins seul(e).
Certains comités de l'association AIDES ont mis en place des réunions de rencontre autour de ce thème. À Paris existent un groupe femmes (pour femmes séropositives) et un groupe de soutien parents-enfants. Ce dernier organise notamment des goûters (deux dimanche après-midi par mois, en collaboration avec l'association Dessine-moi un mouton). Les enfants jouent, et les parents se retrouvent pour parler. Des volontaires de ce groupe proposent aussi de s'occuper des enfants, une demi-journée par semaine, à la maison ou pour les emmener en promenade.
Groupe femmes : appeler France (46 26 81 90) ; groupe parents-enfants : appeler Hélène (43 03 71 67 ) ou Daniel (42 60 39 56).
Voir par ailleurs l'article concernant l'association Sol En Si.
La plupart des médicaments pris par la mère au cours de la grossesse passent au f¶tus. Certains sont sans danger. D'autres sont déconseillés à certaines périodes, car ils peuvent présenter, à ce moment-là, un risque pour l'enfant. Par exemple : mieux vaut éviter le Malocide® pendant le premier trimestre ; à l'inverse, les sulfamides (Bactrim®, Adiazine®ä) sont déconseillés après le 7è mois. Dans tous les cas, il faut discuter de cette question avec son médecin : il est préférable de prendre un traitement préventif, même s'il présente un risque potentiel, que de ne pas en prendre et de développer une pneumocystose ou une toxoplasmose : il faudrait alors mettre en place un traitement curatif, avec des doses beaucoup plus fortes et donc des risques beaucoup plus grands. Sans compter l'effet de ces maladies sur la santé de la mère. Le livre Médicaments et sida 1 fait le point, de manière détaillée, sur cette question.
EnÞn, rappelons qu'il faut demander l'avis de son médecin pour toute prise de médicament pendant la grossesse (y compris l'aspirine) : pas d'automédication !
1 - Médicaments et sida. A. Certain et S. Guessant-Flambard. Éditions Arnette.
Tél. : (1) 43 26 09 60. Prix : 175 F (plus 15 F de port).
La première source d'information, c'est bien sûr le médecin, qui est là (ou doit être là !) pour répondre à toutes les questions. Il est préférable de se faire suivre par un obstétricien connaissant bien l'infection à VIH. Signalons par ailleurs le numéro spécial du Journal du sida sur « La femme et l'enfant face au VIH », paru en septembre 1994. Ce document très détaillé (épidémiologie, transmission, suivi médical, prise en charge, aspects psychologiquesä) est à demander à l'association Arcat-sida (13 Bd Rochechouart 75009 Paris. Tél. : (1) 49 70 85 90). Prix : 100 F, frais d'envoi compris.
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