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Culture

TEXTES


LGP Bordeaux

Ensemble contre toutes les discriminations

Juliette

« Les Hommes naissent libres et égaux en droits et en dignité »

Nathalie
Mut@tion

Esther

Qu'est-ce que c'est le QUEER ?

Sandra
Pourquoi je marche.

Esther
Fière de quoi ?

Nicolas

De l’homophobie

Fabrice
Scène de la vie au travail

Fabrice
Ils ont trouvé un vaccin contre le sida

Textes de la Marche !
ENSEMBLE CONTRE TOUTES LES DISCRIMINATIONS

Certes, nous avons le PACS. Certes, nous avons maintenant à Bordeaux la maison de l'homosocialité. C'est une avancée. Mais nous avons eu aussi le mouvement anti-PACS, avec le slogan "les pédés au bûcher". Comme toutes les minorités, nous devons lutter pour l'acception de la différence. Comme toutes les minorités, nous devrons montrer, cette année encore, que nous sommes nombreux. Ce combat passe, à nos yeux, par l'union de tous ceux et de toutes celles qui s'estiment victimes d'une discrimination.
L'article 225-1 du code pénal précise : "constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs moeurs, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée". La notion de "moeurs" ne suffit pas à lutter contre les discriminations homosexuelles. Nous réclamons d'ajouter explicitement la notion "de leur orientation sexuelle" dans l'article 225-1.
Cette année, autour de la Marche, les manifestations se multiplient afin de mieux revendiquer notre visibilité : la quinzaine du cinéma gay et lesbien au cinéma UTOPIA, l'exposition "tout'artzimutation" à La Baleine Bleue, des rencontres littéraires, des débats, et bien sûr la fête le 03 juin au soir, au Nautilus, où vous pourrez danser toute la nuit, mais aussi rencontrer au FORUM DES ASSOCIATIONS ceux qui luttent avec nous contre toutes les discriminations.
L'équipe de la LGP Bordeaux


« Les Hommes naissent libres et égaux en droits et en dignité »

Je me souviens exactement du jour où on m’a fait apprendre cette phrase par cœur. C’était lors des préparatifs du bicentenaire de la Révolution française, c’est dire si ça date ! Lors des festivités, je devais chanter la Marseillaise dans la chorale de mon école avec bon nombre de mes copains et copines. On nous a donc largement documenté sur le sujet, et la chose que j’ai le mieux retenue est cette fameuse phrase de la Déclaration Des Droits de l’Homme version n° x.
Je ne crois pas en avoir perçu complètement la signification sur le coup, mais depuis, j’y ai repensé et je dois dire que tous les mots prennent leur sens. Malheureusement, plus de deux siècles après, il y a encore de nombreux cas où cette déclaration universelle est bafouée.
Moi, le 3 juin j’ai envie de faire ma petite révolution avec plein d’autres gens (et j’en retrouverai peut-être de la chorale) pour crier haut et fort qu’il y en a assez des discriminations, que je veux que ça bouge ! Je veux être respectée en tant que lesbienne et avoir les mêmes droits qu’un couple hétéro. De toute façon, c’est bien simple, j’en ai tellement de choses a crier que j’aurai la bouche ouverte toute la journée. Tiens, le PACS par exemple, c’est bien mais ce n’est pas suffisant, on ne va pas s’arrêter là quand même !
« Les Hommes naissent libres »…ben moi, il y a des fois où j’ai plutôt l’impression d’être punie, alors samedi 3 on va tous aller marcher pour être bien sûr de la garder notre « dignité » !Juliette

Mut@tion
Je me surprends souvent à penser que quelque chose est en train de se produire. Quelque chose comme une mutation. Les hommes se féminisent. Les femmes se masculinisent. Les couples évoluent. Les familles se transforment…
Une mutation qui redéfinit la différence des sexes.
Une mutation qui fragilise l’hétérosexualité normative.
Mais cette mutation semble avoir du mal à se frayer un chemin dans la pensée dominante et bien pensante. Peut-être parce qu’elle est inquiétante.
Peut-être parce que la binarité du sexe a toujours été jugée comme fondatrice du sujet humain. Peut-être parce que l’hétérosexualité normative a toujours structuré la vie sociale et organisé la reproduction de la vie.
Peut-être parce que le sens commun a toujours été de définir le sexe comme une catégorie permettant de classer les êtres.
Cet ancrage normatif pèse dans nos têtes, dans nos cœurs et sur nos sexes. Il est de plus en plus difficile de continuer à répéter inlassablement les normes. Je suis un homme, alors j’affiche ma masculinité. Je suis une femme, alors j’affiche ma féminité. Comme un rôle à tenir. Une évidence. Une conformité. Une conformité qui me fait l’effet de simulacres qui respirent l’incohérence.
Arrêtons de subir et de s’engluer dans un savoir culturel, biologique, psychanalytique…qui s’articule autour de la famille et de l’hétérosexualité.
Cette matrice n’est pas immuable. La matrice, c’est nos vies et nos envies.
Aujourd’hui, le masculin et le féminin s’imbriquent.
Aujourd’hui, le clivage homos/hétéros s’épuise.
Aujourd’hui, nous devons repenser notre sexe et nos identités.
Nous sommes dans une ère qui se réinvente.
Désormais, on parle de sexe et de genre*.
Désormais, existe une incongruence entre le sexe biologique et l’identité revendiquée.
Désormais, l’identité sexuelle et la sexualité peuvent, potentiellement, aller dans toutes les directions.
Autant de réflexions qui méritent d’être entendues et discutées. Car ne serions nous pas en train de vivre le devenir queer** de notre société ?
*Le sexe désigne la réalité biologique (sexe anatomique, sexe génétique), le genre, le sentiment d’appartenance à l’un ou l’autre sexe (féminité/masculinité mais aussi unisexe, transgenre). A cela s’ajoute, le choix de l’objet érotique (orientation sexuelle, hétéro, homo) et les schèmes de comportements assignés socialement à l’homme ou à la femme (rôles sexuels).
**Le mouvement queer propose une réflexion sur les normes sociales et culturelles, sur les notions de genres, et la sexualité.Nathalie

Qu'est-ce que c'est le QUEER ?
Le mouvement queer a émergé aux Etats-Unis face à un malaise dû à l'institutionnalisation du mouvement gai. Le courant gai principal se référait au "mainstream", les gais blancs de classe moyenne solvables et favorables à l'assimilation. Ce courant marginalisait alors les gais et lesbiennes d'autres ethnies ainsi que les "folles", les "butchs", les "SM-istes", les prostitué(e)s et les transsexuels. En réponse à cela, les "Queer politics" se sont efforcés de recentrer ces positions marginales. Leurs moyens de lutte étaient des looks et comportements excentriques ou des performances et des actions en public comme par exemple les "Kiss-in" (baisers dans la rue).
L'expression "queer" a été choisie parce qu'en anglais, elle désigne les personnes qui ne correspondent pas à la conception morale américaine du monde de la famille blanche, chrétienne et hétérosexuelle. "Queer" est une injure qu'on pourrait traduire par "bizarre", "dérangé", "pédé". Le fait de se donner cette auto-définition implique une attitude militante provocatrice.
"Queer" regroupe donc aussi divers combats contre l'ordre social des sexes et des sexualités, de l'homme, de la femme, des personnes hétérosexuelles, homosexuelles, transsexuelles, travesties, des folles…
Le but du mouvement ne réside pas dans l'assimilation par la société majoritaire mais plutôt dans une attaque contre le centre de celle-ci. En tant que système de pouvoir, l'hétérosexualité est alors prise entre deux feux par la critique queer puisque non seulement ce système standardise les corps et leurs rapports mais il prétend en plus que cet ordre imposé est naturel car existant depuis toujours.
La théorie queer s'appuie sur les travaux de Judith Butler* qui posent une différence absolue entre genre et sexe: le genre est dés lors une notion non-restrictive, à défaire et construire à chaque instant selon le contexte et selon son choix, avec laquelle on peut jouer à l'infini. Cela ne serait possible que parce que l'individu n'existe plus qu'à travers discours et performances (actions ponctuelles, affirmative, signifiantes). Ce jeu avec les genres entend précisément libérer les individus des catégories de genre limitatives dans le cadre de l'hétérosexualité.
La notion de "genre" (gender), dans son usage le plus récent, désigne les rapports sociaux entre les sexes et se pose en catégorie d'analyse. S'interroger sur le genre devient donc une démarche qui a pris de l'ampleur au point de dominer les études féministes jusqu'à les remplacer dans leur dénomination. Des "gender studies" ont fait leur apparition en proposant une analyse des formes sociales, politiques, psychologiques…du masculin et du féminin.
Qu'en est-il du mouvement queer en Europe ?
Act up, notamment, représente un phénomène importé assez semblable, ainsi que les Sœurs de la perpétuelle indulgence - que l'on retrouve dans le milieu gay, en fringues peu viriles, où elles font des collectes d'argent et de la prévention.
La parodie et le travestissement sont des méthodes courantes pour ébranler la puissance des idées normatives…
Depuis 96, l'association le ZOO**, après la visibilité prône la lisibilité, et agit pour la reconnaissance de la culture queer , celle des bis, des trans, des pédés et des gouines, celles de toutes les minorités sexuelles. Elle s'est donné comme missions de faire le point sur les références queers françaises (Foucault, Wittig, Deleuze & co) , et de redéfinir en permanence ce que queer peut vouloir dire…
Bref, le queer ne représente surtout pas une nouvelle doctrine, il s'agit plutôt de repenser l'identité et la sexualité en d'autres termes . Queer on ne l'est que si on le fait !
*"Gender trouble: feminism and the subversion of identity", 1990
**cf: "Q comme Queer" , Les cahiers Gai Kitsch Camp,1998  
Esther

Pourquoi je marche.
Je marche pour moi. Je marche contre le principe hétéronormatif. Ceux qui veulent manifester une identité différente de celle qu'on veut leur assigner. Pour dire que j'aime les femmes, qu'il est possible que j'aime les hommes aussi. Pour dire que l'amour est au-dessus des genres. Pour dire que l'amour est au-dessus des âges. Pour dire que vivre "qui on est" est un combat de tous les instants Pour dire que "se dire" est une lutte et que ce n'est jamais acquis.
Mai 90, j'ai bientôt 16 ans. Deux filles s'embrassent à pleine bouche, c'est la fête à Lormont Génicart. Une éternité. C'est beau! Elles ne sauront pas l'effet que ça a produit sur une petite foraine de la place. Je n'ai pas trouvé ça dégoûtant. La scène est entrée en moi et a éclatée comme une vérité qui restait jusque là innommable. Ma mère a prononcé : "gouines". Je pouvais enfin associer ce nom à l'amour, au sexe. Au bonheur ? Pas vraiment au bonheur. En tous cas le processus était déclenché. J'allais chercher partout des représentations de cet amour lesbien "interdit" : littérature, chanson, cinéma…Ce qu'il faut être curieux lorsqu'on est homosexuel ! Surtout si on est une fille, on trouve moins facilement parce que le sujet a été traité plus récemment - en tous cas les productions sont moins nombreuses -. Mais rien n'est perdu: notre culture ne cesse de s'enrichire, nous luttons pour sa plus large diffusion.Sandra

Fière de quoi ?
La plupart des gens ont très bien assimilé le terme "Gay Pride" (à tel point que le "Lesbian" passe systématiquement à la trappe), mais il semble que de nombreux homosexuels eux-mêmes rechignent à parler de "Fierté". A croire que "Pride" ça passe beaucoup mieux, forcément dans une autre langue c’est moins dérangeant.
Personnellement, si on me demande si je fière, je réponds OUI, bien sûr. Parce que je me suis débarrassé, autant que possible, de la HONTE et de la HAINE que m’ont renvoyé la société (parfois même mon entourage) et que nous, gays et lesbiennes, avons si bien intégré depuis notre plus jeune âge.
Et ce que j’observe c’est qu’il n’est toujours pas évident pour les jeunes et les moins jeunes d’assumer leur homosexualité sereinement et sans se dissimuler.
Ainsi, les gens qui viennent à la Marche, pour la plupart, ont été obligé (ou le sont encore) pendant une grande partie de leur vie de dissimuler leurs amours et leur sexualité. Mais ce jour là au moins ils ne se cachent plus.
Justement, dire qu’on est fier-e-s, c’est revendiquer le droit d’être ce que l’ont est. N’oublions pas que l’une des traductions du mot " Pride " est justement "l’amour propre" et "l’estime de soi ".
C’est à dire tout simplement la réconciliation d’un individu avec lui-même.
Marcher c’est un acte d’ "affirmation de soi", de "visibilité", ou encore de "sortie du placard".
Il est évident que ces "coming out" individuelles sont facilités par l’existence d’une visibilité collective. Ainsi, le premier message de la Lesbian & Gay Pride est "Nous existons !" et "Nous refusons d’avoir honte !".
En marchant le 3 juin, nous affirmons à ceux qui voudraient nous réduire au silence, qu’ils ne nous feront pas rentrer dans le placard !
Esther (Vice-présidente de l’association Lesbian & Gay Pride Bordeaux)

Rappel historique :
Dans les années 60, les mouvements gays et lesbiens se sont inspirés du mouvement noir américain, qui proclamaient « Black is beautiful » pour permettre la valorisation de ce qui a été jusque là déprécié et stigmatisé. Ainsi le « Gay is good »préfigurait ce qu’allait être la « Gay Pride ».

De l’homophobie
Une approche sociologique de l'homophobie met d'abord l'accent sur la discrimination exercée à l'encontre des homosexuel(le)s. Ici, le sociologue rejoint de fait le militant pour montrer combien une manifestation ostentatoire d'une certaine identité individuelle et collective comme l'est la Lesbian and Gay Pride (LGP) est bien plus qu'un carnaval de couleurs (premier niveau, le plus immédiat, d'interprétation) et qu'une provocation (deuxième niveau). Le carnaval et la provocation décrivent des aspects de la LGP mais ne disent rien de la particularité de la réponse qu'elle constitue. Les homosexuel(le)s qui participent à la LGP n'ont que peu de marge d'action dans le choix de leur réponse à la discrimination qui les cadre; colorée et provocante, celle-ci présente une forme relativement originale et qui peut être contestée. L'essentiel est cependant ailleurs, il se situe au niveau d'une discrimination dont l'injustice fondamentale et la brutalité occasionnelle - et même permanente, si l'on rejoint Didier Éribon dans son analyse de l'insulte homophobe - ne doivent pas cacher son formidable ancrage social. Celui-ci légitime tout de la discrimination homophobe, de l'agressivité active à la complicité passive, de la culpabilité de certains à la responsabilité de tous, ou presque.
Car cette discrimination a une provenance, une origine, et un moteur, qui l'entretient. Peu importe ici, dans le cadre de ce papier, de savoir qui a fait quoi, joué quel rôle, quelle est l'origine précise de l'homophobie. Retenons qu'elle est socialement entretenue, y compris par des homosexuel(le)s, est-il besoin de le préciser.
Il faut aussi préciser que le social, même s'il a une réalité sui generis qui échappe aux individus qui vivent en société, est aussi construit par eux, par leurs paroles, leurs actions, leur révolte contre l'homophobie ou au contraire leur travail, redoutable d'efficacité, de banalisation de la haine des homosexuel(le)s. La sociologie de l'homophobie est donc, ensuite, une analyse des marges d'action et du travail des acteurs pour construire la réalité sociale du traitement qu'une société réserve aux homosexuel(le)s qui vivent en son sein. Là encore le sociologue et le militant, la connaissance et l'action, se rejoignent pour montrer que ce qui est fait peut être défait, que l'homophobie n'est pas naturelle mais culturelle, ou sociale, peu importe ici, et que, précepte politique d'une redoutable acuité sociologique, l'on n'est sûr de perdre que les combats que l'on n'engage pas.
Dernière caractéristique d'une sociologie de l'homophobie sur laquelle nous avons choisi de nous arrêter : la définition d'une politique publique, c'est-à-dire avant tout étatique, universaliste, de lutte contre l'homophobie. Car le problème social n'est bien sûr pas l'homosexualité, ni la LGP, mais l'homophobie, et ses vecteurs les plus actifs, ou plus précisément actifs publiquement, et qui devraient par conséquent être au moins passibles d'une condamnation spécifique. Or il n'y a pas de loi réprimant spécifiquement l'homophobie pour permettre aux homosexuel(le)s d'être égaux devant l'État, la République et la Démocratie, égaux avec les hétérosexuel(le)s et de pouvoir accéder à l'Universel. Le particularisme homosexuel est construit par le refus de l'État de garantir l'universalisme, notamment en construisant rigoureusement et sans complaisance un dispositif symbolique instituant l'homophobie comme un délit. Ce serait la moindre des choses.
Sociologue, secrétaire général au « Boulevard des potes » Nicolas Sembel


Scène de la vie au travail

Rien ne va plus au café ce matin. Mes collègues sont en colère. Virginie est enceinte, ça on le sait. On le sait parce qu'on l'a vu. Elle ne nous a rien dit. On le sait, mais on n'en saura pas plus. Et ça c'est embêtant. Impossible de lui arracher le moindre renseignement. On a cru comprendre que le père (est-ce vraiment le père ?) vivait en région parisienne. Cette future naissance est-il le signe d'un rapprochement conjugal ? Virginie va-t-elle aller sur Paris, ou lui venir sur Bordeaux ? Comment s'est passée la première échographie ? Est-ce une fille, un garçon ? Impossible de lui arracher le moindre renseignement. Muriel jure qu'on ne la reprendra plus à vouloir être gentille avec elle en s'intéressant à sa grossesse. C'est fini. Il est même hors de question de faire circuler une enveloppe parmi nous, comme c'est l'habitude, pour lui offrir un cadeau. Elle ne veut rien dire, et bien elle n'aura rien. La décision est prise à l'unanimité, moins une abstention (la mienne). C'est ce moment que choisit Olivier pour venir prendre son café. Muriel lui demande s'il a aimé la pièce de théâtre qu'il est allé voir hier soir (il nous en avait parlé au café la veille). Olivier a un instant d'hésitation avant de répondre. En fait, il n'est pas allé au théâtre car "sa moitié" est rentrée trop tard de son travail. Et la conversation repart sur un autre sujet. Olivier a comme çà tout un répertoire d'expressions pour désigner son ami(e) : quand ce n'est pas "sa moitié", on a droit à "la personne avec qui je vis", ou alors "mon ami" (à l'oral, ça passe très bien). Je ne sais pas exactement combien de collègues ont compris que "la moitié" d'Olivier était un mec, mais toujours est-il que personne n'en parle. Un jour, peut-être, il va nous dire "Je prends un deuxième café, j'ai mal dormi cette nuit, David n'a pas arrêté de ronfler et de bouger dans le lit". J'imagine les réactions : "Mais qu'est ce qu'il nous raconte celui-là !", "On ne lui a rien demandé !", "quel provocateur!". On ne veut pas savoir qu'Olivier vit avec un mec.
Virginie se doit d'exhiber son hétérosexualité,
Olivier se doit de taire son homosexualité.
Moi, j'attends le jour où Olivier sera enceinte, pour voir... Fabrice

Ils ont trouvé un vaccin contre le sida
Il est cinq heures, Paris, je m'éveille. Il est quand même un peu tôt pour se lever. Mon érection matinale m'amène à me demander s'il n'est pas encore temps de sortir retrouver ceux qui finissent leur nuit. Simple rencontre de l'aube et du crépuscule. Le Marais n'est qu'à deux pas. Première entrée dans un lieu bruyant. J'hésite à commander un café au bar. Ce n'est pas dans les habitudes de la maison. Descente au sous-sol, mon verre de jus d'orange à la main. Là, le jour n'est pas encore levé, les corps s'enlacent. Au réveil, j'ai du mal à entrer dans le jeu. Mes yeux s'habituent à l'obscurité. J'observe. Les choses vont très vite. Tellement vite, qu'à un moment, je me demande avec quelle dextérité ils arrivent à changer de préservatif avant de passer d'un mec à l'autre aussi facilement. C'est à ce genre de détail que l'on perçoit toute la différence entre Paris et la Province : ici, ils sont plus rapides. Plus j'observe, et plus cette question me préoccupe. Moi, j'ai toujours des problèmes pour enfiler un préservatif. Ma main se promène pour aller à la rencontre de la réponse. C'est très simple : personne n'a de capote ! Ca y est, j'y suis ! Je ne me suis pas réveillé trop tôt, bien au contraire, j'ai dormi trop longtemps, quelques années ! Entre-temps, un vaccin a été mis au point, et tous ces gens autour de moi sont définitivement immunisés contre le HIV ! C'est merveilleux, la fin des années noires ! Nous voilà repartis comme dans les années 70, plus de risques de mourir à cause de la bête immonde. Des images me reviennent : ces visages creusés, les médicaments traînant sur les tables de nos repas entre amis, les visites à l'hôpital, ces corps qui échappent à la vie et que nous serrons dans nos bras, les pleurs de cette mère suivant un cercueil. Tout ça est bien fini. Ces vingt années d'angoisse ne sont plus qu'une page d'histoire. Désormais, nous pouvons baiser sans risque. Enfin, ils peuvent, car moi, bien sûr, avec mon sommeil de plusieurs années, je ne suis pas vacciné. Je remonte vite au bar chercher des capotes neuves (les miennes doivent être périmées). Par chance, ils en ont conservées, en souvenir. Je redescends me joindre à la mêlée. Mais très vite, je sens des réticences, je n'intéresse personne avec mon bout de latex. Je les comprends. Je suis d'une autre époque. Eux, avec leur vaccin, ils sont libres de faire ce qu'ils veulent. Moi, pas encore. Je cours à la pharmacie de nuit. "Je voudrais le vaccin contre le HIV". Le type derrière sa vitre me regarde amusé : "Il est temps d'aller vous coucher, vous savez l'heure qu'il est ?". Non, je ne sais pas, mais j'ai soudain un doute "je préfère que vous me donniez l'année, plutôt que l'heure". Nous sommes au printemps 2000, tout simplement. Je n'ai dormi qu'une nuit. Dommage, j'aurais bien voulu pouvoir baiser sans capote. je suis naïf. J'éprouve une certaine amertume. Je repense à ces corps de la backroom. Ces images se mélangent à celles des visages creusés, des médicaments traînant sur les tables de nos repas entre amis. Les visites à l'hôpital. Ces corps qui échappent à la vie qu'il faudra encore tenir dans nos bras. Les pleurs de ces mères qui suivront encore des cercueils. De retour du Marais, passage devant Notre Dame. Là, une grosse agitation devant l'entrée. Un after à la cathédrale ? Je rentre : des centaines de jeunes, la tête levée, les oreilles et la bouche grandes ouvertes, buvant la parole supposée divine sans la moindre protection. Là non plus, les messages de prévention ne passent pas.
N.B. : Toute ressemblance avec des situations que vous pouvez vivre est volontaire.

Fabrice