[France QRD]

Le Conseil de l'Europe :
la voie juridique

Le Conseil de l'Europe est une organisation internationale, créée par le traité de Londres en 1949, dont le siège est à Strasbourg, qui a pour mission de renforcer dans l'ensemble de l'espace constitué par ses 44 États membres, la démocratie, les droits humains et l'état de droit.

Le Conseil de l'Europe offre, par la voie juridique de la Cour européenne des droits de l'Homme, plusieurs moyens pour renforcer les libertés fondamentales des européens.

[la voie politique]

Plus de 160 conventions européennes servent de base aux États membres pour l'harmonisation des législations nationales (protection des données informatiques, médias, coopération culturelle, prévention de la torture, la protection des minorités, etc).

La Convention Européenne des Droits de l'Homme, signée le 4 novembre 1950 et entrée en vigueur en septembre 1953, vise à protéger les droits et les libertés fondamentales de l'individu. Le Conseil de l'Europe a institué une procédure juridique unique au monde qui permet à un particulier de porter plainte contre un État, s'il estime être victime d'une violation de la Convention. Instituée en 1959 et réformée en 1998, la Cour européenne des Droits de l'Homme, est désormais une cour unique et permanente, plus efficace et à laquelle les plaignants ont directement accès.

En matière de droits liés à l'orientation ou à l'identité sexuelle, les articles 8 (respect de la vie privée), 14 (interdiction des discriminations) et 12 (droit au mariage) de la Convention ont été invoqués.

La justification des discriminations légales (1955-1977)

De 1955 à 1977, toutes les requêtes mettant en cause les législations pénalisant l'homosexualité ont été rejetées. La Commission (premier niveau de la Cour, dans l'ancienne organisation) considérait alors que la criminalisation de l'homosexualité était une ingérence dans la vie privée, permise pour la protection de la santé et de la morale. Après la dépénalisation par l'Allemagne des relations homosexuelles entre adultes consentants, et l'adoption d'âges de consentement différents pour les homosexuels masculins et les hétérosexuels, la Commission estima que cette différence était justifiée pour la protection des mineurs. De même, la différence d'âge de consentement instituée entre homosexuels hommes et femmes n'était pas une discrimination, mais était justifiée par une protection sociale des adolescents contre le prosélytisme des homosexuels masculins (septembre 1975).

Les grands arrêts (depuis 1977)

À partir de 1977, la Commission, puis la Cour, modifient leur point de vue sur l'homosexualité, et plusieurs arrêts ont eu un effet positif sur des législations nationales, en matière de droits liés à l'orientation ou à l'identité sexuelle.

  • Affaire Dudgeon c. Royaume-Uni, arrêt du 22 octobre 1981 (série A n° 45) : entrée en vigueur le 9 décembre 1982, une ordonnance (The Homosexual Offences (Northern Ireland) Order 1982) a "dépénalisé" en Irlande du Nord les actes homosexuels réalisés en privé par des hommes consentants âgés de 21 ans et plus; elle a toutefois prévu des exceptions pour les malades mentaux, les militaires et le personnel de la marine marchande (résolution DH (83) 13 du 27 octobre 1983)
  • Affaire Norris c. Irlande, arrêt du 26 octobre 1988 (série A n° 142) : la loi de 1993 relative aux crimes et délits sexuels, entrée en vigueur le 7 juillet 1993, dépénalise les actes homosexuels réalisés en privé par des hommes consentants âgés de 17 ans et plus (résolution DH (93) 62 du 14 décembre 1993)
  • Affaire Modinos c. Chypre, arrêt du 25 mars 1993 : la réforme votée le 21 mai 1998 décriminalise les relations homosexuelles entre adultes consentants mais institue de fortes discriminations
  • Dans l'Affaire Sutherland c. Royaume-Uni, la Commission a conclu le 1er juillet 1997 à une violation conjointe des articles 8 et 14 de la Convention ; ceci a conduit le gouvernement britanique à proposer au Parlement dès juin 1998 l'égalisation des âges de consentement, qui a été finalement adoptée en 2000.
  • Dans les Affaires Lustig-Prean et Beckett c. Royaume-Uni et Smith et Grady c. Royaume-Uni, la Cour a conclu, par deux arrêts rendus le 27 septembre 1999, à une violation de l'article 8 ; ce jugement doit mettre fin à l'exclusion des homosexuels de l'armée britannique.
  • Dans l'Affaire A.D.T. c. Royaume-Uni, la Cour a conclu le 31 juillet 2000 à une violation de l'article 8, reconnaissant une ingérence dans la vie privée du requérant, « à la fois en raison de l'existence de la loi interdisant les activités sexuelles menées en privé entre plus de deux hommes consentants et du fait de la condamnation elle-même.», et soulignant que la condamnation repose sur les actes eux-mêmes, ayant un « caractère purement privé». Le requérant avait été condamné pour « gross indecency », en vertu du Sexual Offences Act de 1956, à la suite de la saisie de bandes vidéo sur lesquelles il figurait, participant à des activités sexuelles avec quatre autres hommes adultes.

Les limites de la vie privée

La Cour avait jusqu'alors fondé ses décisions sur le respect de la vie privée, et non de la vie familiale, en ce qui concerne les homosexuels. La Cour a refusé de reconnaître un droit au mariage aux couples de même sexe (Rees c/ Royaume-Uni, 17 octobre 1986, jurisprudence reprise en 1989 et confirmée dans l'arrêt Cossey c/ Royaume-Uni du 27 septembre 1990). La Commission a considéré que l'inégalité de traitement entre couples homosexuels et couples hétérosexuels, mariés ou non, vivant une relation familiale, était justifiée par la protection de la famille et que l'expulsion d'un membre du couple hors du pays de résidence était justifiée par des mesures de contrôle de l'immigration (décision du 10 février 1990 dans l'affaire B. c/Royaume-Uni).

Dans l'Affaire Laskey, Jaggard et Brown c. Royaume-Uni (affaire "Spanner"), le Cour a jugé le 19 février 1997 que la répression des relations sado-masochistes entre adultes consentants ne violait pas la Convention, cette répression étant une mesure « nécessaire, dans une société démocratique, à la protection de la santé».

Elle avait aussi accepté que les homosexuels servant dans l'armée soient l'objet de discriminations légales (décision dans l'affaire B. c/Royaume-Uni du 12 octobre 1983), et que les actes homosexuels commis par plus de deux adultes consentants, y participant ou y assistant, soient pénalisés (décision du 17 juillet 1986 dans l'affaire Johnson c/Royaume-Uni) : la doctrine de la Cour a donc évolué sur ces deux derniers points, depuis 1999.

Même si l'on note des avancées certaines, et même déterminantes, en ce qui concerne l'individu homosexuel, la Cour n'a jusqu'à présent rien fait pour la reconnaissance de ses droits civils et sociaux, en particulier des relations de couple et de la vie familiale. Il faut noter que la Convention elle-même ne contient pas de clause interdisant les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle.

Reconnaissance de la discrimination

Dans l'Affaire Salgueiro da Silva Mouta c. Portugal, la Cour a conclu, par un arrêt rendu le 21 décembre 1999, à une violation combinée des article 8 et 14, reconnaissant pour la première fois une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. Le requérant, un père divorcé, s'était vu retirer l'autorité parentale sur sa fille et recommander de ne pas faire état de sa vie commune avec son partenaire lors de ses visites, par une cour d'appel de Lisbonne. La Cour a reconnu que la prise en compte de l'orientation sexuelle du requérant avait été déterminante dans le jugement de la cour d'appel ; qu'elle constitue une discrimination, car elle consiste en une différence de traitement, sans justification objective et raisonnable ; et que le motif de cette discrimination est couvert par l'article 14, la liste des motifs de l'article 14 étant non limitative.

Dans l'Affaire Fretté c. France, la Cour a conclu, par un arrêt rendu le 26 février 1999, à quatre voix contre trois, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 14 de la Convention (interdiction de la discrimination) combiné avec l'article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et, à l'unanimité, qu'il y a eu violation de l'article 6 (droit à un procès équitable).

La Cour reconnaît une fois de plus l'existence d'une différence de traitement fondée sur l'orientation sexuelle et l'applicabilité de l'article 14 combiné à l'article 8 à cette affaire. Elle considère d'abord que cette différence de traitement a un but légitime, "protéger la santé et le droit des enfants pouvant être concernés par une procédure d'adoption". Pour examiner si cette différence de traitement est raisonnable (ou proportionnée), elle note ensuite qu'il n'existe pas de "dénominateur commun" dans les systèmes juridiques des États membres concernant l'adoption par des homosexuels, et que "le droit paraît traverser une phase de transition". La Cour en conclut que chaque État doit avoir une "marge d'appréciation". Elle justifie en outre cette position par le fait que "la communauté scientifique ... est divisée sur les conséquences éventuelles de l'accueil d'un enfant par un ou des parents homosexuels" et par "les profondes divergences des opinions publiques nationales et internationales". Étant légitime et raisonnable, cette différence de traitement ne serait pas discriminatoire.

Dans une opinion partiellement concordante, le juge Costa et deux autres juges considèrent que l'article 14 ne s'applique pas, car la différence de traitement ne concerne aucun des droits garantis par la Convention, qui "ne protège pas le droit à fonder une famille" ; il en serait autrement si le protocole 12 (interdiction de la discrimination) avait été en vigueur.

Dans une opinion partiellement dissidente, trois juges considèrent au contraire que l'article 14 combiné à l'article 8 s'applique bien. Ils contestent la légitimité de la différence de traitement, fondée sur une "opinion" non justifiée, formulée de façon "abstraite et générale". Ils en contestent aussi la proportionnalité, à cause du caractère "absolu" de cette "présomption irréfragable de contre-indication à tout projet adoptif" formulée "sans prendre en compte la situation des personnes concernées". Ils estiment enfin que laisser une marge d'appréciation aux États constitue une "une régression dans la protection des droits fondamentaux".

Le requérant n'a pas fait appel de cet arrêt, estimant qu'un jugement plus favorable, à six mois d'intervalle, n'était pas vraisemblable.

Dans les Affaires L. et V. c. Autriche et S.L. c. Autriche, la Cour a conclu, par un arrêt rendu le 9 janvier 2003, à une violation combinée des article 8 et 14, reconnaissant qu'un âge de consentement distinct pour les relations homosexuelles (art. 209) est une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle : « Pour autant que l'article 209 consacre un préjugé nourri par la majorité hétérosexuelle à l'égard de la minorité homosexuelle, cette attitude négative ne saurait en elle-même passer aux yeux de la Cour pour une justification suffisante d'une différence de traitement, pas plus que ne sauraient l'être des préjugés négatifs comparables envers des personnes de race, d'origine ou de couleur différentes.»

Dans l'Affaire Karner c. Autriche, la Cour a conclu, par un arrêt rendu le 24 juillet 2003, à une violation combinée des article 8 (droit au respect du domicile) et 14, considérant comme discriminatoire le refus du transfert du bail au partenaire survivant de même sexe, quand il est accordé au partenaire survivant de sexe opposé. En outre, la Cour a rejeté pour la première fois l'argument de "la protection de la famille au sens traditionnel", avancé par le gouvernement autrichien pour justifier ce refus. La Cour a en effet considéré que cet argument ne serait acceptable que s'il était démontré la nécessité d'exclure les couples de même sexe afin de satisfaire cet objectif.

Transsexualité

Dans l'Affaire B. c. France, la Cour a conclu par un arrêt rendu le 25 mars 1992 (série A n° 232-C), par 15 voix contre 6, qu'il y a violation de l'article 8 : par deux arrêts du 11 décembre 1992, la Cour de cassation (assemblée plénière) a cassé deux arrêts de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, du 15 novembre 1990, qui déboutaient des transsexuels de leur demande en rectification de leur acte de naissance (résolution DH (93) 52 du 9 novembre 1993).

Dans les Affaires Christine Goodwin c. Royaume-Uni et I. c. Royaume-Uni, la Cour a conclu, dans deux arrêts de Grande Chambre rendus le 11 juillet 2002, à l'unanimité, qu'il y a eu violation de l'article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et de l'article 12 (droit de se marier et de fonder une famille).

Les requérantes de ces deux affaires sont des transsexuelles opérées passées du sexe masculin au sexe féminin. Elle se plaignent de la non-reconnaissance juridique de leur nouvelle identité sexuelle et du statut juridique des transsexuels au Royaume-Uni. Elles dénoncent en particulier la manière dont elle sont traitées dans les domaines de l'emploi, de la sécurité sociale et des pensions et l'impossibilité pour elles de se marier. Etant toujours un homme au regard de la loi, Christine Goodwin doit continuer à payer ses cotisations sociales jusqu'à l'âge de 65 ans, alors que les femmes n'en sont redevables que jusqu'à 60 ans. Ayant conservé le même numéro d'assurance nationale, son employeur a pu se rendre compte qu'elle avait travaillé pour lui par le passé en tant qu'homme et sous un autre nom, ce qui a été source de gêne et d'humiliation pour elle. Quant à I., qui travaillait comme assistante dentaire, elle a été dans l'impossibilité de suivre une formation d'infirmière, car elle avait refusé de présenter un extrait de son acte de naissance.

Concernant l'article 8, la Cour confirme sa jurisprudence. Estimant que "la faculté pour les transsexuels de jouir pleinement, à l'instar de leurs concitoyens, du droit au développement personnel et à l'intégrité physique et morale ne saurait être considérée comme une question controversée exigeant du temps pour que l'on parvienne à appréhender plus clairement les problèmes en jeu", elle considère que l'article 8 protège "le droit pour chacun d'établir les détails de son identité d'être humain".

Concernant le droit de se marier, la Cour considère désormais que "l'incapacité pour un couple de concevoir ou d'élever un enfant ne saurait en soi passer pour le priver du droit de se marier" et que le sexe ne doit plus "être déterminé selon des critères purement biologiques". C'est là une évolution intéressante de sa jurisprudence.

R. Lalement

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