Document
mis en distribution
le 28 février 2000
N° 2195
______
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence
de l'Assemblée nationale le 23 février 2000.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, FAMILIALES ET
SOCIALES(1) SUR LA PROPOSITION DE LOI de M. Jean
LE GARREC (n° 1727) instaurant une Journée
nationale à la mémoire des
victimes des crimes racistes et antisémites
de l'Etat français et d'hommage
aux Justes de France
PAR M. Daniel MARCOVITCH,
Député.
--
La commission des affaires culturelles, familiales et sociales
est composée de : M. Jean Le Garrec, président ;
MM. Jean-Michel Dubernard, Jean-Paul Durieux, Jean-Pierre Foucher,
Maxime Gremetz, vice-présidents ; Mme Odette
Grzegrzulka, MM. Denis Jacquat, Patrice Martin-Lalande, secrétaires ;
MM. Bernard Accoyer, Mme Sylvie Andrieux, MM. Gautier
Audinot, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, MM. Jean-Paul Bacquet,
Jean-Pierre Baeumler, Pierre-Christophe Baguet, Jean Bardet, Jean-Claude
Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Mmes Huguette Bello, Yvette
Benayoun-Nakache, MM. Serge Blisko, Patrick Bloche, Mme Marie-Thérèse
Boisseau, MM. Jean-Claude Boulard, Bruno Bourg-Broc, Mme Christine
Boutin, MM. Jean-Paul Bret, Victor Brial, Yves Bur, Alain
Calmat, Pierre Carassus, Pierre Cardo, Mme Odette Casanova,
MM. Laurent Cathala, Jean-Charles Cavaillé, Bernard
Charles, Michel Charzat, Jean-Marc Chavanne, Jean-François
Chossy, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Georges
Colombier, François Cornut-Gentille, Mme Martine David,
MM. Bernard Davoine, Bernard Deflesselles, Lucien Degauchy,
Marcel Dehoux, Jean Delobel, Jean-Jacques Denis, Dominique Dord,
Mme Brigitte Douay, MM. Julien Dray, Guy Drut, Nicolas
Dupont-Aignan, Yves Durand, René Dutin, Christian Estrosi,
Claude Evin, Jean Falala, Jean-Louis Fousseret, Michel Françaix,
Mme Jacqueline Fraysse, MM. Germain Gengenwin, Mme Catherine
Génisson, MM. Jean-Pierre Giran, Michel Giraud, Gaëtan
Gorce, François Goulard, Jean-Claude Guibal, Jean-Jacques
Guillet, Mme Paulette Guinchard-Kunstler, M. Francis Hammel,
Mme Cécile Helle, MM. Pierre Hellier, Michel Herbillon,
Guy Hermier, Mmes Françoise Imbert, Muguette Jacquaint, MM.
Jacky Jaulneau, Serge Janquin, Armand Jung, Bertrand Kern, Christian
Kert, Jacques Kossowski, Mme Conchita Lacuey, MM. Jacques Lafleur,
Robert Lamy, Edouard Landrain, Pierre Lasbordes, Mme Jacqueline
Lazard, MM. Michel Lefait, Maurice Leroy, Patrick Leroy, Gérard
Lindeperg, Patrick Malavieille, Daniel Marcovitch, Mme Gilberte
Marin-Moskovitz, MM. Noël Mamère, Alfred Marie-Jeanne,
Mme Jacqueline Mathieu-Obadia, MM. Didier Mathus, Jean-François
Mattei, Mme Hélène Mignon, MM. Jean-Claude Mignon,
Pierre Morange, Hervé Morin, Renaud Muselier, Philippe Nauche,
Henri Nayrou, Alain Néri, Yves Nicolin, Bernard Outin, Dominique
Paillé, Michel Pajon, Jean-Pierre Pernot, Mme Geneviève
Perrin-Gaillard, MM. Bernard Perrut, Pierre Petit, Mme Catherine
Picard, MM. Jean Pontier, Jean-Luc Préel, Alfred Recours,
Gilles de Robien, Mme Chantal Robin-Rodrigo, MM. François
Rochebloine, Marcel Rogemont, Yves Rome, Jean Rouger, Rudy Salles,
André Schneider, Patrick Sève, Bernard Schreiner,
Pascal Terrasse, Gérard Terrier, André Thien Ah Koon,
Mme Marisol Touraine, MM. Anicet Turinay, Jean Ueberschlag,
Jean Valleix, Alain Veyret, Philippe Vuilque, Jean-Jacques Weber,
Mme Marie-Jo Zimmermann.
SOMMAIRE
________
Pages
INTRODUCTION 5
I.- LA RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT FRANÇAIS
DANS DES CRIMES RACISTES ET ANTISÉMITES
7
A. LA LÉGISLATION CONTRE LES JUIFS
8
B. LA PARTICIPATION ACTIVE AUX RAFLES ET DÉPORTATIONS
9
II.- L'HONNEUR SAUVÉ PAR QUELQUES-UNS
11
A. CEUX QUI ONT DIT NON 11
B. CEUX QUI ONT SAUVÉ DES JUIFS 12
III.- LE DISPOSITIF DE LA PROPOSITION DE LOI : INSTITUER
UNE JOURNÉE NATIONALE COMMÉMORATIVE
15
TRAVAUX DE LA COMMISSION 17
TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION
21
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR 23
ANNEXE : Déclaration en vue de l'application de la
loi du 2 juin 1941 portant statut des juifs 25
INTRODUCTION
« Le passé a besoin qu'on se réunisse
exprès pour le commémorer : car le passé a
besoin de notre mémoire. »
Vladimir Jankelevitch
76 000 déportés « raciaux » ont
quitté la France entre 1940 et 1944, dont plus de 10 000
enfants ou adolescents de moins de dix-huit ans. Seuls 2 564
survivants sont revenus, soit 3 % des partants. Tous les autres
ont été assassinés dans les camps d'extermination
nazis, victimes de crimes contre l'humanité. Ces crimes ont
été perpétrés avec la complicité
de l'Etat français, dont la responsabilité doit aujourd'hui
être publiquement reconnue par le Parlement.
Ainsi que l'indiquait le Premier ministre, M. Lionel Jospin, lors
de la Conférence internationale sur l'éducation, la
mémoire et la recherche sur la Shoah qui s'est tenue à
Stockholm le 26 janvier 2000 : « Si les gouvernements
français ont tardé à reconnaître la responsabilité
de l'Etat dans la persécution et la spoliation des juifs
de France pendant la deuxième guerre mondiale, l'oeuvre accomplie
en quelques années est très importante. »
Le 25 novembre 1992, M. Jean Le Garrec déposait une proposition
de loi tendant à reconnaître le 16 juillet journée
nationale de commémoration des persécutions et des
crimes racistes, antisémites et xénophobes perpétrés
par le régime de Vichy1.
Ce texte n'eut pas l'occasion d'être discuté au Parlement,
mais il fut repris par un décret du président de la
République François Mitterrand en date du 3 février
1993 instituant une journée nationale commémorative
des persécutions racistes et antisémites commises
sous l'autorité de fait dite " gouvernement de
l'Etat français " (1940-1944)2.
Il est aujourd'hui grand temps d'aller plus loin. En effet, les
procès de Paul Touvier et de Maurice Papon ont permis d'établir
des responsabilités individuelles, mais non la responsabilité
d'une administration, d'une hiérarchie, d'un Etat qui dans
leur immense majorité ont effectivement commis des crimes
racistes et antisémites. Le président de la République
Jacques Chirac l'a officiellement et solennellement reconnu lors
des cérémonies du 16 juillet 1995 : « Oui,
la folie criminelle de l'occupant a été secondée
par des Français, par l'Etat français ».
La présente proposition de loi de M. Jean Le Garrec instaure
une journée nationale à la mémoire des victimes
des crimes racistes et antisémites de l'Etat français
et d'hommage aux « Justes » de France. Il
est en effet du devoir du Parlement d'affirmer la vérité
historique. La référence dans le décret
présidentiel du 3 février 1993 à l'autorité
de fait se disant « gouvernement de l'Etat français »,
si elle reprend les termes mêmes de l'article 7 de l'ordonnance
gaullienne du 9 août 1944 relative au rétablissement
de la légalité républicaine sur le territoire
continental, entretient une fiction juridique qui ne correspond
pas à la réalité. Il s'agit bien de l'appareil
d'Etat qui a participé à la collaboration avec l'ennemi.
La République, celle qui a fait des juifs des citoyens à
part entière, n'est pas en cause. Le gouvernement qui était
responsable de ces crimes n'était certes pas républicain,
mais il était français et il assurait la continuité
de l'Etat. Il importe donc de reconnaître aujourd'hui que
l'Etat français, légal à défaut d'être
légitime, a bien participé à ces crimes.
Pour autant, la plus grande honte de la France ne doit pas faire
oublier que des milliers de personnes ont, à titre individuel,
sans aucun espoir de contrepartie et au risque de leur propre vie,
sauvé des juifs. Les actions héroïques de ces
« Justes » de France sont encore trop méconnues,
alors qu'elle sont concomitantes des exactions et ont permis à
notre pays de sauver le plus de déportés potentiels
du continent européen. A côté de l'héroïsme
de la Résistance, une autre lumière continuait de
briller dans la nuit.
Le Parlement se doit d'associer à la mémoire de cette
époque troublée le souvenir de l'action de ces hommes
et de ces femmes, de toutes origines et de toutes conditions sociales.
Il faut faire connaître leurs actions aux plus jeunes, pour
qu'elles servent d'exemple. La France doit officiellement rendre
hommage à ses « Justes » qui ont perpétué
la tradition nationale de terre d'accueil et d'asile.
« Une nation qui ne sait pas regarder son passé,
ne sait pas regarder son avenir » a pu écrire
Alain Touraine. Il est indispensable que la France fasse officiellement
son travail de mémoire et de souvenir, pour qu'elle continue
à pouvoir s'affirmer patrie des Droits de l'Homme. La situation
actuelle de l'Autriche ne peut que la conforter dans cette voie :
un pays qui n'a jamais fait de retour sur son passé parfois
- peu glorieux -, qui n'a jamais procédé à
une véritable dénazification mais a préféré
se poser en victime de l'Anschluss, ne peut pas faire face à
la résurgence de l'extrême-droite, même lorsqu'elle
se revendique très ouvertement du nazisme.
I.- LA RESPONSABILITÉ
DE L'ÉTAT FRANÇAIS DANS DES CRIMES RACISTES ET ANTISÉMITES
En France, entre 1940 et 1944, les juifs,
comme les tziganes, les homosexuels, les communistes, les francs-maçons,
les opposants politiques et syndicaux ou les minorités étrangères,
étaient persécutés au nom ou avec la complicité
de l'Etat français, avec le concours de ses forces de l'ordre
et par des jugements de tribunaux légaux.
Selon l'article 6 (c) du statut du Tribunal militaire international
de Nuremberg annexé à l'accord de Londres du 8 août
1945, constituent des crimes contre l'humanité « l'assassinat,
l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation,
et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles,
avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour
des motifs politiques, raciaux ou religieux lorsque ces actes ou
persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation
du droit interne du pays où ils ont été perpétrés,
ont été commis à la suite de tout crime rentrant
dans la compétence du tribunal [c'est-à-dire crime
contre la paix et crime de guerre], ou en liaison avec ce crime.
[...] Toutes personnes qui, individuellement ou à
titre de membres d'organisations, agissant pour le compte des pays
européens de l'Axe, ont pris part à l'élaboration
ou à l'exécution d'un plan concerté ou d'un
complot pour commettre l'un de ces crimes, sont responsables de
tous les actes accomplis par toutes personnes, en exécution
de ce plan. »
Le droit pénal ne reconnaît pas traditionnellement
de responsabilité collective. Le nouveau code pénal
de 1994, qui a introduit la notion de responsabilité des
personnes morales, en a expressément exclu l'Etat. De ce
fait, dans les procès Papon et Touvier, furent jugés
pour crimes contre l'humanité des hommes et non une institution
étatique ou un régime politique. Il importe par conséquent
qu'un organe politique, le Parlement, établisse cette responsabilité
collective de l'Etat français, qui a bien été
complice de crime contre l'humanité selon la définition
de Nuremberg.
Responsable de crimes racistes et antisémites, l'Etat français
l'a été de deux manières. Tout d'abord en édictant,
de sa propre initiative, une législation contre les juifs.
Ensuite en participant activement aux rafles et aux déportations,
en devançant parfois aussi les demandes des nazis par la
livraison spontanée des enfants.
A. LA LÉGISLATION CONTRE LES
JUIFS
Dès le 27 août 1940 fut abrogé le décret-loi
Marchandeau du 21 avril 1939 qui réprimait pénalement
les excès antisémites et xénophobes dans la
presse. De ce fait, le régime de Vichy a rendu légales
des campagnes de presse contre les juifs tout à fait virulentes
et abjectes et donné libre cours au racisme ambiant d'une
partie de la population.
Le statut des juifs, édicté le 3 octobre 1940 3
et modifié dans un sens encore plus restrictif le 2 juin
1941, excluait les juifs de nationalité française
de toute fonction élective, de la fonction publique 4,
de l'enseignement, de la magistrature et de l'armée 5.
Il leur était également interdit d'exercer toute responsabilité
dans la banque, la finance, l'immobilier, la publicité et
la presse (gérants ou rédacteurs de journaux). Un
numerus clausus a été fixé à
3 % pour les élèves des établissements secondaires
et les étudiants juifs à compter du 21 juin 1941 et
à 2 % pour les professions libérales (le 16 juillet
1941 pour les avocats, le 11 août 1941 pour les médecins,
le 24 septembre 1941 pour les architectes, le 26 décembre
1941 pour les pharmaciens et le 5 juin 1942 pour les dentistes).
Enfin, le théâtre, le cinéma et la musique ont
été interdits aux artistes juifs à compter
du 6 juin 1942.
Les entreprises appartenant à des juifs pouvaient être
aryanisés par liquidation forcée et nomination d'administrateurs
provisoires sur la base d'une loi du 10 septembre 1940, durcie par
une loi du 22 juillet 1941 qui visait explicitement à « supprimer
toute influence israélite dans l'économie nationale »
6. Les juifs
étrangers pouvaient quant à eux être assignés
à résidence et internés dans des camps spéciaux
en vertu d'un nouveau pouvoir accordé aux préfets
par un décret du 4 octobre 1940. Le décret Crémieux
ayant accordé la nationalité française aux
juifs d'Algérie le 24 octobre 1870 fut quant à lui
abrogé le 7 octobre 1940. Tous les Israélites avaient
également dû faire apposer sur leur carte d'identité
la mention « juif ». Il faut toutefois noter
que le port de l'étoile jaune et l'interdiction faite aux
israélites de se montrer dans les lieux publics, applicable
en zone occupée à partir du 7 juin 1942, n'a pas été
étendue par le gouvernement de Vichy, même après
l'occupation de la zone libre en novembre 1942.
Ce statut des juifs a été élaboré à
la seule initiative de l'Etat français, sans pression de
l'occupant, en définissant une discrimination raciale qui
allait au-delà de la législation allemande, qui elle
reposait avant tout sur des critères religieux. Pour le mettre
en oeuvre fut crée en mars 1941 un Commissariat général
aux questions juives. Celui-ci fut dirigé successivement
par Xavier Vallat, Louis Darquier (dit de Pellepoix) et Charles
Mercier du Paty de Clam, qui avaient rang de sous-secrétaires
d'Etat.
La loi du 3 octobre 1940 adoptait une définition raciale
en considérant comme juif toute personne issue de trois grands-parents
issus de race juive ou de deux grands-parents de la même race
si son conjoint est lui-même juif. La loi du 2 juin 1941 a
complété cette détermination raciale par une
détermination religieuse, en considérant comme étant
de race juive le grand-parent ayant appartenu à la religion
juive.
De cette législation, certains 7
ont pu écrire à l'époque qu'elle consistait
en un état du droit positif qui en valait un autre, et l'ont
analysé objectivement comme tel sans douter de sa légalité
au sens du jus naturalis : « Les incapacités
frappant les juifs et les naturalisés sont motivées
par la considération de l'intérêt des services
publics : on estime que les juifs et les naturalisés
sont inaptes, d'une façon générale, à
assurer le bon fonctionnement de ces services. [...] Cependant,
si le fondement logique de la situation juridique faite aux juifs
et aux naturalisés est identique, sa réglementation
pratique est assez profondément différente. Les mesures
prises à l'égard des juifs sont plus rigoureuses et
plus étendues que les mesures prise à l'égard
des naturalisés. Cela s'explique par le fait qu'on a jugé
les juifs plus dangereux politiquement que les naturalisés :
l'intérêt public conduisait donc à adopter à
leur égard une réglementation plus stricte. »
L'ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement
de la légalité républicaine sur le territoire
continental n'entra pas dans cette logique et établit expressément
et rétroactivement, en son article 3, la nullité de
tous les actes « qui établissent ou appliquent
une discrimination quelconque fondée sur la qualité
de juif ». Il est évident que de telles lois,
exécutées comme lois de l'Etat, ne pouvaient pas être
considérées comme des lois de la République.
En 1942 déjà, le professeur Marcel Waline déclarait
en chaire à ses étudiants que les lois de Vichy étaient
contraires à la tradition juridique française.
B. LA PARTICIPATION ACTIVE AUX RAFLES
ET DÉPORTATIONS
Dès 1941, la police française a participé
aux premiers internements de juifs réalisés en zone
occupée à l'initiative des nazis : 3 600 juifs ont
été internés en mai, 4 230 en août et
743 en décembre. En vertu de la loi de Vichy du 4 octobre
1940 précitée, près de 20 000 israélites
étrangers ont été internés dans des
camps situés en zone libre, dans des conditions inhumaines
et mortifères. La préfecture de police de Paris réalisa
également avec un zèle certain le fichier des juifs
prescrit par l'ordonnance allemande du 27 septembre 1940. Le recensement
des juifs en zone libre fut quant à lui réalisé
à l'initiative de l'Etat français à partir
de juin 1941. Toutes ces mesures auront facilité la réalisation
de la solution finale.
Le plan concerté que constitue la solution finale, à
savoir l'extermination de tous les juifs européens, a été
préparé au cours de l'automne 1941, décidé
à la conférence de Wannsee le 20 janvier 1942 et organisé
par la Gestapo à compter de juin 1942. Il s'agit d'un crime
de génocide puni par le droit de Nuremberg.
Les autorités d'occupation allemandes en France obtinrent
que l'Etat français participât directement à
la mise en _uvre de la déportation vers les camps de concentration
nazis. Le chef du gouvernement de Vichy, Pierre Laval, proposa un
marchandage odieux : l'appareil d'Etat français ne livrerait
que les juifs de nationalité étrangère ou apatrides,
mais les enfants âgés de moins de seize ans des familles
juives résidant en zone libre devaient aussi être déportés
avec leurs parents. Le nombre de juifs à déporter,
fixé arbitrairement par les nazis, ne fut quant à
lui jamais discuté.
La première grande rafle organisée directement par
l'Etat français doit demeurer un symbole commémoratif :
il s'agit de la rafle du Vélodrome d'Hiver à Paris
du 16 au 20 juillet 1942, au cours de laquelle Jean Leguay, délégué
du secrétaire général de la police de Vichy
- Réné Bousquet - pour la zone occupée, dirigeait
4 500 policiers et gendarmes français pour arrêter
13 152 juifs (dont 4 115 enfants), parqués dans des
conditions inhumaines au Vel' d'Hiv avant d'être transférés
au camp de Drancy. Du 26 au 28 août 1942, d'autres rafles
furent organisées en zone libre, ainsi que dans le vieux
port de Marseille en janvier 1943, tandis que les transferts vers
l'Allemagne à partir des camps de Gurs, Rivesaltes, Pithiviers,
Beaune-la-Rolande ou Drancy s'intensifiaient.
Au total, entre le 27 mars 1942 et le 31 juillet
1944, soixante-seize convois quittèrent la gare de Drancy-Le
Bourget pour Auschwitz, sans espoir de retour. Ils emportèrent
vers la mort près de 76 000 déportés « raciaux »,
pour l'essentiel des juifs mais aussi des tziganes. Il ne faut cependant
pas oublier les 63 000 déportés non raciaux,
homosexuels, objecteurs de conscience, communistes, résistants,
opposants politiques et droit commun, dont la moitié ne revinrent
jamais.
II.- L'HONNEUR SAUVÉ
PAR QUELQUES-UNS
L'histoire n'est pas blanche ou noire, elle est à la fois
ombre et lumière. A côté et en même temps
que la responsabilité criminelle de l'Etat français
est reconnue, il y a une face lumineuse qui doit aussi être
mise en avant. Dès le début, des Français se
sont opposés à la politique d'exclusion antirépublicaine
du régime de Vichy et, sans nécessairement accomplir
des actes de résistance active reconnus comme tels, ils ont
sauvé des vies humaines menacées de crimes contre
l'humanité. La France se doit de leur rendre hommage aujourd'hui,
car ils sont partie intégrante de l'histoire nationale.
A. CEUX QUI ONT DIT NON
Si certains se sont rapidement résignés à
la collaboration avec les nazis, et se sont ainsi rendus coupables
de complicité de crimes contre l'humanité, d'autres
se sont tout de suite opposés à ces actions criminelles.
Le général de Gaulle le premier a refusé de
cesser le combat contre les forces de l'Axe et, deux jours après
la désignation du maréchal Pétain à
la tête du dernier gouvernement légal de la IIIème
République pour négocier l'armistice, il lança
de Londres un appel à tous les Français libres pour
qu'ils ne se soumettent pas à l'ennemi nazi. Hors du territoire
métropolitain, ces hommes et ces femmes ont porté
haut et fait prospérer la flamme de la Résistance
française et incarné la République en armes
aux côtés des alliés jusqu'à la victoire
finale. Mais si cette action était légitime, elle
n'était pas légale à partir du moment où
le Parlement avait confié tous ses pouvoirs au maréchal
Pétain par le vote du 10 juillet 1940.
Or justement, à l'occasion de ce vote, d'autres aussi ont
dès l'origine dit non à ce renversement de régime
et à ce sabordage de la République. Dans le casino
de Vichy, quatre-vingt parlementaires, cinquante-huit députés
et vingt-deux sénateurs, osèrent voter contre le projet
défendu par Pierre Laval consistant à confier « tous
pouvoirs au gouvernement de la République, sous l'autorité
et la signature du maréchal Pétain, à l'effet
de promulguer par un ou plusieurs actes une nouvelle Constitution
de l'Etat français. » En pleine connaissance de
cause 8, il
fallait oser s'opposer malgré l'hébétude, la
peur, la pression physique et morale. Sur ces quatre-vingt qui surent
tout de suite dire non, trente-et-un furent incarcérés
ou placés en résidence surveillée, dix d'entre
eux ont été déportés dans les camps
nazis et cinq en moururent : Claude Jordery, Isidore Thivrier, Joseph-Paul
Rambaud, Augustin Malroux et le marquis Lionel de Moustier. Trois
d'entre eux furent encore plus lâchement assassinés
: Marx Dormoy, François Camel et Georges Pézières.
A ces quatre-vingt, il faudrait ajouter les soixante-et-un parlementaires
communistes déchus de leur mandat le 20 janvier 1940 et les
vingt-sept passagers du Massilia (parmi lesquels on comptait
Georges Mandel, Pierre Mendès France, Jean Zay ou encore
Edouard Daladier), empêchés contre leur gré
de retourner à temps sur le territoire métropolitain.
Il faut aussi se souvenir que plus de deux cents parlementaires
n'ont pas pu prendre part au vote pour des raisons matérielles,
parce qu'ils étaient encore mobilisés ou détenus
comme prisonniers de guerre.
Il faut aussi rappeler que des hauts fonctionnaires ont refusé
d'appliquer la législation et la politique de Vichy, qu'il
s'agisse de préfets (cinq ont ainsi été arrêtés
ou déportés, dont Jean Moulin), de magistrats ou d'ambassadeurs.
B. CEUX QUI ONT SAUVÉ DES JUIFS
Tous ceux qui, au péril de leur propre vie et au détriment
de leurs propres conditions d'existence dans un contexte déjà
très difficile, ont apporté une aide matérielle
et morale à des juifs, en les recueillant, les cachant, leur
trouvant des abris sûrs ou leur fournissant de faux papiers
peuvent être considérés comme des « Justes »
de France. Il faut citer les cas particuliers de ces policiers et
gendarmes qui ont fermé les yeux, permettant ainsi des évasions,
ou alerté des familles juives à l'avance pour qu'elles
échappent aux rafles ; de ces doyens de faculté
qui ont refusé de communiquer les listes de leurs étudiants
juifs ; de ces prêtres catholiques ou protestants qui
ont délivré de faux certificats de baptême.
Mais chaque cas particulier est méritoire. Chaque action
est héroïque. Pour ces sauveteurs de vies humaines menacées
pour raison ethnique ou raciale, ces actes étaient naturels,
ne pouvaient pas ne pas être faits. Il s'agit de faits individuels,
qui ont rarement leur place dans les archives officielles, mais
qui seuls permettent de rendre compte de la réalité
historique.
On peut aussi parler de « Justes » s'agissant
de communautés, tels ces villages dans la Creuse, Saint-Pierre-de-Fursac
(avec le château de Chabannes), Grand-Bourg ou Saint-Hilaire-le-Château,
ou de la commune Le Chambon-sur-Lignon en Haute-Loire, qui ont collectivement
servi de refuge pour des juifs, particulièrement plusieurs
centaines d'enfants qui furent hébergés, cachés
et ainsi sauvés de la barbarie. Il faut reconnaître
aussi cette solidarité et cette fraternité collectives.
De ce fait, sur les 300 000 juifs que comptait la France en 1939,
les trois-quarts furent sauvés et échappèrent
à la déportation. L'aide d'une partie de la population
française a été indispensable pour que plus
de la moitié des hommes, femmes et enfants dont la déportation
était programmée par les nazis aient pu y échapper.
Il fallait oser risquer sa vie et sa liberté pour sauver
des juifs.
Le Mémorial de Yad Vashem, institué par le Parlement
israélien en 1953, est situé sur la colline du Souvenir
à Jérusalem. Il a pour mission de commémorer
la mémoire des six millions de juifs qui ont péri
dans les camps d'extermination nazis. Il comporte également
une commission présidée par un juge de la Cour suprême
d'Israël, qui est la seule instance habilitée à
accorder le titre de " Juste parmi les nations "
pour honorer les non-juifs qui ont sauvé des juifs, au péril
de leur propre vie. Ce titre est accordé sur la base de témoignages
écrits et certifiés de juifs qui ont été
eux-mêmes sauvés. Des médailles et diplômes
sont remis aux « Justes », ou à leurs
ayants-droit s'ils sont nommés à titre posthume, au
cours de cérémonies officielles. Un arbre, symbole
de vie, est planté pour chacun d'entre eux dans l'allée
des « Justes » du Mémorial, située
à proximité de la forêt des Martyrs qui compte
six millions d'arbres.
Le terme de « Juste » est une référence
biblique. Il est en effet rapporté dans le chapitre dix-huit
de la Genèse que, Dieu s'apprêtant à châtier
les villes pécheresses de Sodome et Gomorrhe, Abraham intercéda
en leur faveur en demandant que la justice divine distingue le juste
du méchant. Et Dieu dit : « Si je trouve
dans Sodome cinquante justes au milieu de la ville, je pardonnerai
à toute la ville, à cause d'eux. » Par
leur conduite individuelle, les justes peuvent donc racheter la
faute d'une communauté. Ceux qui ont sauvé des juifs
sous l'occupation sauvent par là-même l'honneur de
la France. Il importe de leur rendre hommage en même temps
qu'est reconnue la responsabilité de l'Etat français
dans les persécutions antisémites.
En France, un département des « Justes »
a été créé en 1963 au sein de l'association
du Comité français pour Yad Vashem pour constituer
les dossiers de ces « Justes » en recueillant
les témoignages. Sur la base de ces éléments,
la commission de Jérusalem a reconnu 1 900 " Justes
parmi les nations " en France. Pour leur rendre hommage,
le Consistoire central israélite de France a fait élever
à leur mémoire un monument dans la clairière
des « Justes », à Thonon-les-Bains en
Haute-Savoie. A l'occasion de son inauguration le 2 novembre 1997,
le Président de la République Jacques Chirac déclarait
que ces hommes et ces femmes sont « l'honneur et la
fierté de notre pays » et qu'ils ont incarné
« le meilleur de la France : ses valeurs de fraternité,
de justice, de tolérance. »
Il est essentiel que tous les « Justes » de
France soient associés par le Parlement, au nom de la République,
à la journée en mémoire de cette période
troublée de l'histoire qu'il institue. Il faut leur rendre
collectivement hommage pour leurs actions individuelles exemplaires,
qui doivent guider les générations futures.
III.- LE DISPOSITIF
DE LA PROPOSITION DE LOI :
INSTITUER UNE JOURNÉE NATIONALE COMMÉMORATIVE
La proposition de loi initiale, qui comprend cinq articles, envisage
de créer un titre de « Juste » de France,
décerné par une commission nationale ad hoc,
pour attester de la reconnaissance des actions de sauvetage de personnes
menacées de génocide et institue une journée
nationale pour leur rendre hommage tout en entretenant la mémoire
des victimes. Après réflexion et consultations, le
rapporteur propose à la commission d'adopter un texte, composé
d'un article unique, qui ne reprend que l'élément
essentiel de la proposition de loi, à savoir la création
d'une journée nationale dédiée à la
mémoire et d'hommage aux « Justes ».
Il s'agit de ce dispositif qui est ici présenté et
commenté.
Il importe avant tout de reprendre au niveau de la loi l'article
premier du décret n° 93-105 du 3 février 1993
précité, en lui donnant une force symbolique plus
grande. C'est pourquoi il est proposé d'instituer le 16 juillet,
date anniversaire du début de la rafle du Vélodrome
d'Hiver à Paris, journée nationale à la mémoire
des victimes des crimes racistes et antisémites de l'Etat
français. Il y a une différence sémantique
fondamentale entre viser explicitement les crimes de l'Etat français
et se contenter, comme le décret, d'une périphrase
qui mentionne les persécutions commises sous l'autorité
de fait dite « gouvernement de l'Etat français ».
Il s'en suit une différence juridique, par la reconnaissance
de la légalité de l'Etat français, et partant
de son entière responsabilité dans ces crimes.
Il s'agit ensuite d'associer à cette journée commémorative
un hommage aux « Justes » de France, c'est-à-dire
à tous ceux qui ont recueilli, protégé ou défendu,
au péril de leur propre vie et sans aucune contrepartie,
une ou plusieurs personnes menacées de génocide. Plutôt
que de leur rendre un hommage individuel, qu'ils ne recherchent
pas et qui interviendrait trop tard pour la plupart d'entre eux
déjà décédés, il est préférable
de se souvenir de leurs actions de manière collective. La
force pédagogique de la mémoire en sera d'autant plus
grande.
En effet, il est également prévu que soient organisées
chaque 16 juillet, dans des conditions fixées par décret
en Conseil d'Etat, des cérémonies officielles, à
Paris et aux chefs-lieux de département, pour entretenir
la mémoire de cette période troublée de l'histoire
de France, avec ses actions honteuses et ses actions héroïques,
avec ses parts d'ombre et de lumière.
Il ne faut toutefois pas confondre cette
journée d'hommage, qui n'est pas nouvelle étant donné
qu'elle a déjà été célébrée
six fois depuis 1993 mais dont la signification est modifiée,
avec la journée nationale de la déportation, dédiée
à tous les déportés, raciaux, résistants
et politiques, qui a lieu chaque dernier dimanche d'avril.
La déportation constitue en effet un événement
tout à fait spécifique, non propre à la France,
qui doit être commémoré à part. Il en
est de même pour la Résistance française, intérieure
et extérieure, dont le 27 mai permet de se souvenir de ses
actions.
Le rapporteur admet le caractère réglementaire de
la matière, puisqu'il s'agit de la reprise d'un décret
en Conseil des ministres. Mais il estime que la loi a une force
symbolique forte qui a ici toute sa raison d'être. Le Parlement
français se devait de revenir solennellement sur le vote
du 10 juillet 1940. Il est d'ailleurs inscrit dans la toponymie
même de l'Assemblée nationale qu'histoire et législation
sont intrinsèquement liées. Le bas-relief de la tribune
de l'orateur dans l'hémicycle, sculpté par Lemot,
représente l'Histoire inscrivant sur ses tablettes les Lois
votées par la République que proclame la Renommée
avec sa trompette. A la loi ici de rendre compte de l'histoire et
de porter haut un hommage aux « Justes » de
France.
TRAVAUX DE LA COMMISSION
La commission a examiné la proposition de loi au cours de
sa séance du mercredi 23 février 2000.
Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.
Le président Jean Le Garrec a rappelé qu'il
avait déjà déposé une première
proposition de loi en 1992. Il s'agissait de faire officiellement
reconnaître dans un texte de loi la responsabilité
du gouvernement de Vichy dans les crimes racistes commis pendant
cette période sombre de l'histoire de France. Il a fallu
attendre vingt ans et le travail de quelques historiens, notamment
américains, pour que la société française
puisse regarder de façon plus exacte la réalité
de ce passé peu glorieux. Le président de la République
Jacques Chirac a reconnu, dans un discours essentiel le 16
juillet 1995, cette responsabilité fondamentale de l'Etat
français. Il reste que cette question n'a, jusqu'à
présent, jamais fait l'objet d'un véritable débat
démocratique au Parlement.
De la même façon, il est très regrettable que
l'Assemblée nationale n'ait jamais eu l'occasion de rendre
un véritable hommage aux quatre-vingt parlementaires qui
ont refusé, le 10 juillet 1940, d'accorder les pleins pouvoirs
au maréchal Pétain. Ces parlementaires, qui se sont
alors illustrés par une si grande clairvoyance et un courage
exemplaire, n'ont pas reçu de la Nation la reconnaissance
qui leur est due, à l'exception de l'hommage qui a été
rendu dans l'hémicycle le 20 juin 1990, à l'initiative
du président Laurent Fabius, en l'honneur des trois anciens
députés encore vivants à l'époque, dont
Maurice Montel présent dans les tribunes.
Il convient d'avoir aujourd'hui un regard objectif sur le passé
de notre pays, en discernant aussi bien les ombres que la lumière.
Malgré l'horreur de l'Holocauste, il ne faut pas oublier
les actes de bravoure de ceux et celles qui, de manière anonyme,
ont par leurs actes sauvé un grand nombre de femmes, d'hommes
et d'enfants juifs et tsiganes. Comme Alain Touraine l'a fort justement
écrit, « une nation qui ne sait pas regarder
son passé, ne sait pas regarder son avenir ».
Ainsi la France ne saurait s'exonérer de toute responsabilité
dans les événements qui ont marqué cette période
noire.
M. Michel Herbillon a fait les observations suivantes :
- Les Français éprouvent collectivement une
certaine difficulté à assumer leur histoire et notamment
ses épisodes les plus obscurs. Les progrès dans la
reconnaissance de la responsabilité du régime de Vichy
sont relativement récents et il faut retenir le discours
du président de la République Jacques Chirac lors
des cérémonies du 16 juillet 1995.
- Il est important que la République française
puisse honorer comme elles le méritent les personnes qui
ont fait preuve d'un courage admirable au cours de cette période
sombre. Comme le disait Vladimir Jankelevitch, « Commençons
par le commencement, et au commencement il y avait le courage ».
Chacun sait que le courage n'est pas la chose la plus partagée
au monde. C'est la raison pour laquelle il est essentiel de reconnaître
les actes nobles accomplis par des femmes et des hommes qui se sont
comportés en héros pendant que d'autres agissaient
de façon médiocre, voire ignoble. Il est d'autant
plus louable de vouloir célébrer le courage des héros
de cette période que ceux-ci ont en général
tendance à ne pas souhaiter se mettre en avant.
- Les parlementaires doivent, pour leur part, accomplir un
travail beaucoup plus profond en faveur de la reconnaissance de
ces actes. Il est curieux et regrettable que le Parlement et la
Nation ne rendent pas véritablement hommage aux quatre-vingt
parlementaires ayant dit non au maréchal Pétain le
10 juillet 1940. Si le musée du Parlement à Versailles
comporte une salle où figurent les portraits de ces quatre-vingt
parlementaires, il n'existe en revanche aucune plaque commémorative
dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale
- Il est indispensable d'associer les jeunes générations
aux actions commémoratives pour préserver la mémoire.
L'effort de pédagogie doit en effet passer par une sensibilisation
de la jeunesse. De ce fait, on peut se demander si une autre journée
commémorative que le 16 juillet, situé en dehors
des périodes scolaires, ne pourrait être envisagée.
- En ce qui concerne le cas de l'Autriche, une des raisons
pouvant expliquer que les électeurs aient porté au
pouvoir un gouvernement comportant des personnalités se référant
à ce passé opaque de leur pays est qu'à aucun
moment depuis plus d'un demi-siècle, cette nation n'a éprouvé
et assumé un sentiment de culpabilité vis-à-vis
du nazisme. Le travail de réflexion et d'introspection accompli
par le peuple allemand dès le sortir de la seconde guerre
mondiale n'a jamais été réalisé en Autriche,
ce qui permet d'expliquer pour partie la situation politique que
connaît actuellement ce pays.
M. Serge Blisko s'est interrogé sur le moyen
de décerner aux héros de cette période un titre
qui n'entre nullement en concurrence avec celui accordé par
l'institut Yad Vashem, mais qui permette de bien marquer la reconnaissance
de la République française envers leur acte de courage.
Ces « Justes », qui sont souvent des personnes
discrètes, doivent être récompensés de
façon officielle par une cérémonie ayant aussi
un caractère pédagogique pour la jeunesse. Le problème
se trouve aggravé du fait que les bénéficiaires
éventuels sont aujourd'hui des personnes très âgées.
M. Bernard Schreiner a indiqué qu'en tant qu'alsacien,
il était particulièrement sensible à cette
proposition de loi. En effet, l'Alsace a été singulièrement
touchée tant par son annexion par l'Allemagne nazie en 1940
que par l'expulsion des juifs qui étaient pourtant bien intégrés
dans la population. Il faut donc saluer ceux qui ont eu le courage
de résister, en protégeant des juifs ou des personnes
enrôlées de force dans les armées allemandes.
Cette proposition de loi revêt par ailleurs un intérêt
essentiel aujourd'hui encore, avec les purifications ethniques auxquelles
on assiste dans les Balkans ou l'arrivée de l'extrême-droite
au pouvoir en Autriche.
M. Bernard Perrut a salué l'unanimité qui
se dégage aujourd'hui autour d'une période sombre
de l'histoire de France, en soulignant que l'on évoque trop
souvent les méfaits des collaborateurs au détriment
des actions d'éclat de ceux qui ont résisté
ou sauvé des vies humaines. S'il est possible de pardonner,
on ne doit cependant pas oublier et il y a donc un devoir de mémoire
envers les jeunes générations.
Mme Hélène Mignon a également soutenu
ce nécessaire devoir de mémoire, en soulignant que
dans chaque famille française on peut connaître quelqu'un
qui a résisté ou sauvé des persécutés
sans pour autant en faire état. Il faut mobiliser les maires
de toutes les communes de France pour recueillir et sauvegarder
ces témoignages et ainsi préserver la mémoire
collective.
M. Jean-Claude Beauchaud a évoqué le
relais possible que pourrait être le Parlement des enfants
pour honorer les quatre-vingt parlementaires qui ont voté
non le 10 juillet 1940.
En réponse aux intervenants, le rapporteur a indiqué
qu'en ce qui concerne le travail de mémoire, il eût
été possible de retenir la date du 3 octobre,
qui se situe en période scolaire et qui correspond à
la promulgation du premier statut des juifs par l'Etat français,
mais qu'il ne faut cependant pas multiplier les journées
commémoratives à des dates différentes - le
16 juillet étant une date symbolique forte déjà
commémorée depuis six ans - et qu'il existe au niveau
des lycées un concours national de la Résistance
et de la déportation. Par ailleurs, le centre de documentation
juive contemporaine (CDJC) va devenir le centre européen
de la Shoah, lieu riche en documentation qui sera accessible aux
écoles.
En ce qui concerne le titre de « Juste », il
s'agit d'une référence à la Genèse où
il est dit que l'existence de cinquante « Justes »
pourrait sauver la ville de Sodome de la punition divine. Ce terme
a été repris par l'institut Yad Vashem de Jérusalem
qui décerne le titre de " Juste parmi les nations ".
Il existe donc un fort attachement de la communauté juive
à ce terme. Toutefois, rien n'interdit à la France
de rendre hommage collectivement à ses « Justes »
qui ont sauvé son honneur en sauvant des juifs, en agissant
selon la conscience humaine et pas selon le droit de l'époque.
Dans le cadre des cérémonies du 14 juillet, il
serait également possible d'envisager l'attribution de la
Légion d'Honneur à ces « Justes »
de France.
M. Michel Herbillon a souhaité savoir si la notion
de titre de « Juste » de France était
abandonnée.
Le rapporteur a indiqué que le terme de « Juste »
était conservé mais non le titre correspondant, en
précisant qu'il ne fallait pas créer de confusion
avec le titre de " Juste parmi les nations "
délivré par l'institut Yad Vashem de Jérusalem
aux non juifs qui ont sauvé des juifs du génocide.
Or la communauté tzigane est aussi concernée. La solution
retenue est la plus honorable puisqu'elle traduit la reconnaissance
collective par la France de ses héros, pour la plupart déjà
décédés et parfois inconnus.
Le président Jean Le Garrec a relevé la grande
sensibilité de toutes les communautés concernées
lorsqu'il s'agit d'histoire. Le Parlement doit toutefois assumer
ses responsabilités en rendant solennellement hommage à
ceux qu'il n'est pas possible d'appeler autrement que « Justes ».
La commission a adopté, à l'unanimité,
la proposition de loi dans le texte proposé par le rapporteur.
*
En conséquence, la commission des affaires culturelles,
familiales et sociales demande à l'Assemblée nationale
d'adopter la proposition de loi dont le texte suit.
TEXTE ADOPTÉ
PAR LA COMMISSION
PROPOSITION DE LOI INSTAURANT UNE JOURNÉE
NATIONALE À LA MÉMOIRE DES VICTIMES DES CRIMES RACISTES
ET ANTISÉMITES DE L'ETAT FRANÇAIS ET D'HOMMAGE AUX
« JUSTES » DE FRANCE
Article unique
Il est institué une journée nationale à la
mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites
de l'Etat français et d'hommage aux « Justes »
de France qui ont recueilli, protégé ou défendu,
au péril de leur propre vie et sans aucune contrepartie,
une ou plusieurs personnes menacées de génocide.
Cette journée est fixée au 16 juillet, date anniversaire
de la rafle du Vélodrome d'Hiver à Paris, si ce jour
est un dimanche ; sinon elle est reportée au dimanche suivant.
Chaque année, à cette date, des cérémonies
officielles sont organisées aux niveaux national et départemental,
dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.
LISTE DES PERSONNES
ENTENDUES
PAR LE RAPPORTEUR
___
· MM. KAHN et FRANK (Consistoire central israélite
de France)
· MM. FREDJ et KAUFFMANN (Centre de documentation
juive et contemporaine)
· MM. PRASQUIER et GROBART (Comité français
pour Yad Vashem)
· M. HAJDENBERG (Comité représentatif
des institutions juives de France)
· M. LORIER (Mouvement confédéral tsigane)
· M. BULAWKO (Amicale des anciens déportés
juifs de France)
· M. MATTÉOLI (Fondation de la Résistance)
1 Cf. Doc. AN n°
3071 (IXème législature)
2 Décret n°
93-105 publié au Journal officiel du 4 février 1993.
3 Cf. Journal officiel
du 18 octobre 1940.
4 Cf. en annexe du
présent rapport la reproduction de la déclaration
à fournir en application de ce statut pour postuler à
un emploi.
5 Sauf s'il s'agissait
d'anciens combattants.
6 Une commission présidée
par M. Jean Mattéoli a été chargée par
M. Lionel Jospin de réaliser une évaluation des spoliations
des biens juifs réalisées pendant cette période.
7 Maurice Duverger,
in : La situation des fonctionnaires depuis la Révolution
de 1940, LGDJ.
8 Cf. le rapport de
Jean Boivin-Champeaux, lu juste avant le vote, qui indiquait bien
qu'il s'agit de donner « au gouvernement du maréchal
Pétain les pleins pouvoirs exécutif et législatif
sans restriction, de la façon la plus étendue ».
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