No 1727
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 juin 1999.
PROPOSITION DE LOI
instaurant une Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'Etat français et d'hommage aux Justes de France.
(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée
par MM. Jean LE GARREC, Daniel MARCOVITCH, Jean-Marc AYRAULT, Yvon ABIVEN, Maurice ADEVAH-POEUF, Stéphane ALAIZE, Damien ALARY, Mme Sylvie ANDRIEUX, MM. Léo ANDY, Jean-Marie AUBRON, Jean-Paul BACQUET, Dominique BAERT, Jean-Pierre BAEUMLER, Jean-Pierre BALDUYCK, Gérard BAPT, Jacques BASCOU, Christian BATAILLE, Jean-Claude BATEUX, Jean-Claude BEAUCHAUD, Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE, MM. Henri BERTHOLET, Jean-Louis BIANCO, Jean-Pierre BLAZY, Serge BLISKO, Patrick BLOCHE, Jean-Marie BOCKEL, Jean-Claude BOIS, Augustin BONREPAUX, Didier BOULAUD, Pierre BOURGUIGNON, Christian BOURQUIN, Mme Danielle BOUSQUET, MM. Jean-Pierre BRAINE, Pierre BRANA, Jean-Paul BRET, Mme Nicole BRICQ, MM. François BROTTES, Vincent BURRONI, Marcel CABIDDU, Alain CACHEUX, Jérôme CAHUZAC, Alain CALMAT, Jean-Christophe CAMBADÉLIS, André CAPET, Thierry CARCENAC, Christophe CARESCHE, Laurent CATHALA, Jean-Yves CAULLET, Bernard CAZENEUVE, Jean-Paul CHANTEGUET, Guy-Michel CHAUVEAU, Daniel CHEVALLIER, Didier CHOUAT, Alain CLAEYS, Mme Marie-Françoise CLERGEAU, MM. Jean CODOGNÈS, Pierre COHEN, François COLCOMBET, François CUILLANDRE, Camille DARSIÈRES, Mme Martine DAVID, MM. Yves DAUGE, Philippe DECAUDIN, Marcel DEHOUX, Jean DELOBEL, François DELUGA, Jean-Jacques DENIS, Mme Monique DENISE, MM. Bernard DEROSIER, Michel DESTOT, Paul DHAILLE, Marc DOLEZ, François DOSÉ, René DOSIÈRE, Raymond DOUYÈRE, Julien DRAY, Pierre DUCOUT, Mme Laurence DUMONT, MM. Jean-Louis DUMONT, Dominique DUPILET, Jean-Paul DURIEUX, Philippe DURON, Claude ÉVIN, Alain FABRE-PUJOL, Albert FACON, Mme Nicole FEIDT, MM. Jean-Jacques FILLEUL, Jacques FLOCH, Pierre FORGUES, Jean-Louis FOUSSERET, Michel FRANÇAIX, Georges FRÊCHE, Gérard FUCHS, Robert GAÏA, Yann GALUT, Roland GARRIGUES, Jean-Yves GATEAUD, Mmes Catherine GÉNISSON, Dominique GILLOT, MM. André GODIN, Alain GOURIOU, Gérard GOUZES, Joël GOYHENEIX, Bernard GRASSET, Michel GRÉGOIRE, Jacques GUYARD, Francis HAMMEL, Mme Cécile HELLE, MM. Jacques HEUCLIN, Jean-Louis IDIART, Mme Françoise IMBERT, MM. Claude JACQUOT, Serge JANQUIN, Armand JUNG, Jean-Noël KERDRAON, Bertrand KERN, Jean-Pierre KUCHEIDA, André LABARRÈRE, Mme Conchita LACUEY, MM. Jérôme LAMBERT, François LAMY, Jack LANG, Jean LAUNAY, Mmes Jacqueline LAZARD, Christine LAZERGES, M. Jean-Yves LE DÉAUT, Mme Claudine LEDOUX, MM. Jean LE GARREC, Jean-Marie LE GUEN, Bruno LE ROUX, René LEROUX, Mme Raymonde LE TEXIER, MM. Alain LE VERN, Michel LIEBGOTT, Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, MM. Gérard LINDEPERG, René MANGIN, Jean-Paul MARIOT, Didier MATHUS, Roland METZINGER, Louis MEXANDEAU, Didier MIGAUD, Mme Hélène MIGNON, MM. Yvon MONTANÉ, Gabriel MONTCHARMONT, Arnaud MONTEBOURG, Philippe NAUCHE, Bernard NAYRAL, Henri NAYROU, Mme Véronique NEIERTZ, MM. Alain NÉRI, Michel PAJON, François PATRIAT, Vincent PEILLON, Mmes Geneviève PERRIN-GAILLARD, Annette PEULVAST-BERGEAL, Catherine PICARD, MM. Paul QUILÈS, Alfred RECOURS, Mme Marie-Line REYNAUD, M. Patrick RIMBERT, Mme Michèle RIVASI, MM. Alain RODET, Bernard ROMAN, Yves ROME, Mme Yvette ROUDY, MM. Jean ROUGER, René ROUQUET, Michel SAINTE-MARIE, Bernard SEUX, Michel TAMAYA, Mme Christiane TAUBIRA-DELANNON, MM. Yves TAVERNIER, Pascal TERRASSE, Gérard TERRIER, Mme Odette TRUPIN, MM. André VALLINI, André VAUCHEZ, Michel VAUZELLE, Michel VERGNIER, Alain VEYRET, Alain VIDALIES, Jean-Claude VIOLLET, Philippe VUILQUE
et les membres du groupe socialiste (1) et apparentés (2),
Députés.
(1) Ce groupe est composé de : MM. Maurice Adevah-Poeuf,
Stéphane Alaize, Damien Alary, Mme Sylvie Andrieux, MM. Jean-Marie
Aubron, Jean-Marc Ayrault, Jean-Paul Bacquet, Dominique Baert, Jean-Pierre
Baeumler, Jean-Pierre Balduyck, Jean-Pierre Balligand, Gérard
Bapt, Alain Barrau, Jacques Bascou, Christian Bataille, Jean-Claude
Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Mme Yvette Benayoun-Nakache, MM.
Henri Bertholet, Eric Besson, Jean-Louis Bianco, André Billardon,
Jean-Pierre Blazy, Serge Blisko, Patrick Bloche, Jean-Marie Bockel,
Jean-Claude Bois, Daniel Boisserie, Maxime Bono, Augustin Bonrepaux,
André Borel, Jean-Michel Boucheron, Jean-Claude Boulard,
Didier Boulaud, Pierre Bourguignon, Christian Bourquin, Mme Danielle
Bousquet, MM. Jean-Pierre Braine, Pierre Brana, Mme Frédérique
Bredin, M. Jean-Paul Bret, Mme Nicole Bricq, MM. François
Brottes, Vincent Burroni, Marcel Cabiddu, Alain Cacheux, Jérôme
Cahuzac, Jean-Christophe Cambadelis, André Capet, Thierry
Carcenac, Christophe Caresche, Mmes Véronique Carrion-Bastok,
Odette Casanova, MM. Laurent Cathala, Jean-Yves Caullet, Bernard
Cazeneuve, Jean-Paul Chanteguet, Guy-Michel Chauveau, Jean-Claude
Chazal, Daniel Chevallier, Didier Chouat, Alain Claeys, Mme Marie-Françoise
Clergeau, MM. Jean Codognès, Pierre Cohen, François
Colcombet, Mme Monique Collange, MM. François Cuillandre,
Jacky Darne, Michel Dasseux, Yves Dauge, Mme Martine David, MM.
Bernard Davoine, Philippe Decaudin, Marcel Dehoux, Jean Delobel,
François Deluga, Jean-Jacques Denis, Mme Monique Denise,
MM. Bernard Derosier, Claude Desbons, Michel Destot, Paul Dhaille,
Marc Dolez, François Dosé, René Dosière,
Mme Brigitte Douay, MM. Raymond Douyère, Julien Dray, Tony
Dreyfus, Pierre Ducout, Jean-Pierre Dufau, Jean-Louis Dumont, Mme
Laurence Dumont, MM. Dominique Dupilet, Jean-Paul Dupré,
Yves Durand, Jean-Paul Durieux, Philippe Duron, Jean Espilondo,
Claude Evin, Laurent Fabius, Alain Fabre-Pujol, Albert Facon, Mme
Nicole Feidt, MM. Jean-Jacques Filleul, Jacques Fleury, Jacques
Floch, Pierre Forgues, Raymond Forni, Jean-Louis Fousseret, Michel
Françaix, Georges Frêche, Gérard Fuchs, Robert
Gaïa, Yann Galut, Roland Garrigues, Jean-Yves Gateaud, Jean
Gaubert, Mmes Catherine Génisson, Dominique Gillot, MM. André
Godin, Gaëtan Gorce, Alain Gouriou, Gérard Gouzes, Joël
Goyheneix, Bernard Grasset, Michel Grégoire, Mmes Odette
Grzegrzulka, Paulette Guinchard-Kunstler, MM. Jacques Guyard, Francis
Hammel, Mme Cécile Helle, MM. Edmond Hervé, Jacques
Heuclin, François Hollande, Jean-Louis Idiart, Mme Françoise
Imbert, MM. Claude Jacquot, Maurice Janetti, Serge Janquin, Armand
Jung, Jean-Noël Kerdraon, Bertrand Kern, Jean-Pierre Kucheida,
André Labarrère, Mme Conchita Lacuey, MM. Jérôme
Lambert, François Lamy, Claude Lanfranca, Jack Lang, Jean
Launay, Mmes Jacqueline Lazard, Christine Lazerges, MM. Gilbert
Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Mme Claudine Ledoux, MM. Jean-Yves
Le Drian, Michel Lefait, Jean Le Garrec, Jean-Marie Le Guen, Patrick
Lemasle, Georges Lemoine, Bruno Le Roux, René Leroux, Mme
Raymonde Le Texier, MM. Alain Le Vern, Michel Liebgott, Mme Martine
Lignières-Cassou, MM. Gérard Lindeperg, François
Loncle, Bernard Madrelle, René Mangin, Jean-Pierre Marché,
Daniel Marcovitch, Jean-Paul Mariot, Mme Béatrice Marre,
MM. Marius Masse, Didier Mathus, Gilbert Maurer, Louis Mermaz, Roland
Metzinger, Louis Mexandeau, Jean Michel, Didier Migaud, Mme Hélène
Mignon, MM. Gilbert Mitterrand, Yvon Montané, Gabriel Montcharmont,
Arnaud Montebourg, Philippe Nauche, Bernard Nayral, Henri Nayrou,
Mme Véronique Neiertz, MM. Alain Néri, Michel Pajon,
Joseph Parrenin, François Patriat, Christian Paul, Vincent
Peillon, Germinal Peiro, Jean-Claude Perez, Mmes Marie-Françoise
Pérol-Dumont, Geneviève Perrin-Gaillard, Annette Peulvast-Bergeal,
Catherine Picard, MM. Paul Quilès, Alfred Recours, Gérard
Revol, Mme Marie-Line Reynaud, MM. Patrick Rimbert, Alain Rodet,
Marcel Rogemont, Bernard Roman, Yves Rome, Gilbert Roseau, Mme Yvette
Roudy, MM. Jean Rouger, René Rouquet, Michel Sainte-Marie,
Mme Odile Saugues, MM. Bernard Seux, Patrick Sève, Henri
Sicre, Michel Tamaya, Mme Catherine Tasca, MM. Yves Tavernier, Pascal
Terrasse, Gérard Terrier, Mmes Marisol Touraine, Odette Trupin,
MM. Joseph Tyrode, Daniel Vachez, André Vallini, André
Vauchez, Michel Vauzelle, Michel Vergnier, Alain Veyret, Alain Vidalies,
Jean-Claude Viollet, Philippe Vuilque et Kofi Yamgnane.
(2) MM. Yvon Abiven, Léo Andy, Alain Calmat, Jean-Claude Daniel, Camille Darsières, Christian Franqueville, Daniel Marsin, Mmes Michèle Rivasi et Christiane Taubira-Delannon.
Cérémonies publiques et fêtes légales.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le 10 juillet 1940, par 569 voix contre 80 et 17 abstentions, le
Parlement votait les pleins pouvoirs au maréchal Pétain.
La République était mise de côté pour
laisser la place à l'Etat français. C'est au nom de
cet Etat français que les pires atrocités furent commises.
En effet, le maréchal Pétain, chef de l'Etat français,
disposait du pouvoir de prendre toute décision de nature
réglementaire et législative alors que les chambres
étaient séparées puis furent mises durablement
en congé. Les Présidents du Conseil qui se succédèrent
purent légiférer par décrets exécutés
comme « loi de l'Etat », selon la formule « maréchaliènne
».
Le 16 juillet 1995, dans son allocution lors des cérémonies
commémorant la grande rafle du « Vel d'Hiv », Jacques
Chirac, Président de la République, déclarait
: « Oui, la folie criminelle de l'occupant a été
secondée par des Français, par l'Etat français.
Il y a cinquante trois ans, le 16 juillet 1942, 4500 policiers et
gendarmes français, sous l'autorité de leurs chefs,
répondaient aux exigences des nazis. »
Il ne peut donc être question de confondre la République
et le régime de Vichy. Le Premier ministre Lionel Jospin
le rappelait en déclarant le 20 juillet 1997, lors du 55e
anniversaire de la rafle du Vel d'Hiv : «... Cette rafle fut
décidée, planifiée et réalisée
par des Français (...) Rappeler cela, si révoltante
que soit cette réalité, ne nous conduit pas à
confondre le régime de Vichy et la République. »
La reconnaissance de la réalité historique ainsi
que le devoir de mémoire qui s'imposent à nous doivent
s'accompagner de l'indispensable contrepartie qu'est la reconnaissance
de l'existence et du rôle de ceux qui se sont dressés
face à la barbarie pour que la lumière subsiste là
où tant voulaient ne voir régner que l'obscurité.
Ombre et lumière de l'Histoire, telle se veut cette proposition
de loi qui réunit dans un même texte les deux réalités
de notre pays, de notre peuple.
La zone d'ombre, c'est celle d'un Etat collaborant avec l'ennemi,
devançant et dépassant parfois les intentions de l'occupant.
Cette réalité historique est incontestable.
Dès 1940, le gouvernement de « révolution nationale
» va, de son propre chef, mettre en place un dispositif qui
constituera la plus grande honte de l'histoire de France.
Par la loi du 3 octobre 1940 portant statut des juifs, le gouvernement
de Vichy interdit aux juifs d'appartenir à des organismes
élus, d'occuper des postes de responsabilité dans
la fonction publique, la magistrature et l'armée, et d'exercer
une activité ayant une influence sur la vie culturelle.
Une loi du 2 juin 1941 viendra encore aggraver ces dispositions.
Une autre loi du même jour imposera le recensement des juifs
et de leurs biens. De même, la loi du 4 octobre 1941 permettra
aux préfets d'interner les juifs étrangers dans des
camps spéciaux ou de les assigner à résidence.
Le décret Crémieux de 1870 étendant la citoyenneté
française aux juifs d'Algérie est abrogé le
7 octobre 1940.
Une loi du 21 avril 1939 qui punissait les outrances antisémites
dans la presse a déjà été abrogée
le 27 août 1940. Dès le début, le gouvernement
prévoit des peines spéciales pour les juifs et approuve
toute attitude hostile à leur égard. Le département
de l'Allier où se trouve Vichy leur est interdit.
Le 22 juillet 1940, une commission de révision des naturalisations
est instituée pour réexaminer les naturalisations
accordées depuis 1927 sous le régime de la simplification
de la procédure. La nationalité française sera
retirée à 15154 réfugiés dont 6307 juifs.
Le gouvernement de Vichy s'accorde également le droit d'interner
tout étranger de dix-huit à quarante-cinq ans tant
que la main-d'oeuvre sera excédentaire.
Dès 1942, la police française accepte de coopérer
aux premiers internements massifs en zone occupée. Le port
de l'étoile jaune devient obligatoire à partir du
7 juin 1942.
Les déportations massives commencent alors par la rafle
du Vélodrome d'Hiver les 16 et 17 juillet 1942. Treize mille
juifs de la région parisienne, dont quatre mille enfants,
sont bientôt regroupés dans les camps de Drancy, Beaune-la-Rolande
et Pithiviers, avant d'être déportés à
Auschwitz.
Est-il nécessaire de rappeler que c'est Pierre Laval, alors
chef du gouvernement, qui proposait lui-même aux Allemands
de leur livrer également les enfants de moins de seize ans?
Est-il nécessaire de rappeler que le gouvernement de Vichy
livra aux Allemands des juifs se trouvant en zone libre sous sa
seule responsabilité lorsque la « solution finale »
fut décidée en 1942? Entre le 7 août et le 15
septembre, 10000 juifs étrangers sont arrêtés
et livrés à la Gestapo qui les déporte.
Ainsi, le gouvernement de l'Etat français a non seulement
collaboré activement aux arrestations et aux déportations,
les a préparées et les a rendues possibles en leur
donnant un cadre juridique, mais il a également élargi
la portée des décisions de l'occupant.
Dans la France de la guerre, que ce soit dans
les territoires occupés par l'ennemi ou dans ceux qui étaient
administrés par le gouvernement de Vichy, les juifs, mais
aussi les tziganes, les homosexuels, les francs-maçons ou
les communistes ont été les victimes des dispositions
discriminatoires qui, par la suite, furent définies comme
crime contre l'humanité dans le code pénal.
La zone de lumière, c'est le rôle capital joué
par des milliers de nos concitoyens, qui ont, au péril de
leur sécurité et souvent de leur vie, sauvé
les victimes de ces persécutions.
« Les juifs de France garderont toujours en mémoire
que, si le régime de Vichy a abouti à une faillite
morale et s'est déshonoré en contribuant efficacement
à la perte d'un quart de la population juive de ce pays,
les trois-quarts restants doivent essentiellement leur survie à
la sympathie sincère de l'ensemble des Français, ainsi
qu'à leur solidarité agissante à partir du
moment où ils comprirent que les familles juives tombées
entre les mains des Allemands étaient vouées à
la mort » comme le rappelle Serge Klarsfeld.
Jusqu'à ce jour, hormis dans certains discours, ces héros
de l'ombre n'ont eu droit qu'à la reconnaissance officielle
de l'Institut israélien de Yad Vashem créé
en 1953 qui leur a décerné le titre de « Justes
des Nations » et par le Consistoire Central qui, le 2 novembre
1997 rendait enfin un hommage à ces femmes et à ces
hommes en érigeant, près de Thonon-les-Bains, un monument
à leur mémoire et à leur courage.
Il aura fallu près d'un demi siècle pour que le
courage de certains hommes politiques l'emporte sur la facilité
d'un discours officiel qui, en niant l'existence de coupables, refusait
de reconnaître ses héros.
Ils ont mené leur combat à main nue, sans un coup
de feu, armés de leur seul courage. Ils ont élevé
au plus haut point la devise de la République « Liberté,
Egalité, Fraternité » en donnant à chacun
de ces termes son sens le plus concret et le plus absolu, en le
traduisant dans les actes de la vie quotidienne au péril
de leur vie.
Le temps est aujourd'hui venu pour la France, celle de la Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen, celle de Londres et du Vercors,
de leur rendre à son tour hommage afin d'entretenir la mémoire
des victimes de l'Etat français comme de l'ensemble de celles
de la barbarie nazie et des Etats collaborateurs.
En 1971, dans un texte intitulé « Pardonner? »,
Vladimir Jankelevitch écrivait : « Le passé a
besoin qu'on se réunisse exprès pour le commémorer
: car le passé a besoin de notre mémoire... Non, la
lutte n'est pas égale entre la marée irrésistible
de l'oubli qui, à la longue, submerge toutes choses, et les
prestations désespérées mais intermittentes
de la mémoire; en nous recommandant l'oubli, les professeurs
de pardon nous conseillent donc ce qui n'a nul besoin d'être
conseillé; les oublieux s'en chargeront d'eux-mêmes,
ils ne demandent que cela. »
C'est par cette citation du grand philosophe qu'en 1993, Jean
Le Garrec débutait l'exposé des motifs de sa proposition
de loi qui devait être reprise par le décret n°
93-150 du 3 février 1993 instituant une journée nationale
commémorative des persécutions racistes et antisémites
commises sous l'autorité de fait dite « gouvernement
de l'Etat français » (1940-1944).
Depuis cette date, à six reprises, dans toute la France,
des cérémonies se sont tenues à la date anniversaire
de la rafle du Vel d'Hiv, le 16 juillet.
Plus d'un demi-siècle après la fin du régime
de Vichy, la France doit à ceux qui ont été
ou sont encore les meilleurs de ses filles et de ses fils la reconnaissance
qui est due à celles et ceux qui ont sauvé l'honneur
de leur pays en s'élevant contre la barbarie (article 1er).
Il est grand temps aujourd'hui que le Parlement français
reconnaisse, par cette proposition de loi, le devoir de mémoire
sur ces années difficiles. Par l'instauration d'une journée
commémorative, nous rappellerons chaque année que
la France, plongée dans l'obscurité, a commis l'irréparable
mais qu'en son sein, il s'est toujours trouvé des hommes
et des femmes qui se sont élevés pour propager la
lumière (article 2).
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
Il est créé un titre de Juste de France qui atteste de la reconnaissance d'une ou plusieurs actions faites par son titulaire, durant la période de l'Etat français sur le territoire placé sous son autorité ou sur le territoire occupé par l'ennemi nazi, pour recueillir, protéger ou défendre une ou plusieurs personnes menacées d'un des crimes contre l'humanité mentionnés au titre Ier du livre II du code pénal.
La remise du titre de Juste de France donne lieu à des cérémonies destinées à entretenir la mémoire des actions mentionnées à l'alinéa précédent.
Les conditions d'organisation et de déroulement des cérémonies mentionnées au précédent alinéa sont prévues par un décret en conseil d'Etat.
Article 2
Il est institué une journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'Etat français et d'hommage aux Justes de France.
Les cérémonies de remise du titre de Juste de France ont lieu à la date de la journée nationale mentionnée à l'alinéa précédent.
La date de cette journée est fixée par décret délibéré en Conseil des ministres et après consultation des associations nationales représentatives des anciens déportés et internés de France et des associations représentatives de la Résistance.
Article 3
Le titre de Juste de France est décerné par une commission créée à cet effet qui prend le nom de « commission nationale des Justes de France ».
Cette commission est composée de neuf membres nommés par décret pour une durée de cinq ans.
Un décret en Conseil d'Etat fixe la composition et les modalités de désignation des membres de la commission visée au premier alinéa.
Toutefois, cette dernière comprend obligatoirement :
1° Un représentant de la communauté juive de France;
2° Un représentant de la communauté tzigane de France;
3° Un magistrat de la Cour de cassation;
4° Un représentant du comité français de l'institut Yad - Vashem.
La commission désigne son président parmi ses membres pour la durée de son mandat.
La commission nationale des Justes de France est placée sous l'autorité du Premier ministre.
Article 4
Le titre de Juste de France est décerné par la commission nationale des Justes de France après examen de dossiers individuels et auditions de témoins, donnant lieu à un débat contradictoire en son sein.
La commission statue à la majorité qualifiée des deux tiers de ses membres.
I. - Dans tous les cas, la commission, avant de statuer favorablement sur une demande, vérifie que sont remplies les conditions ci-dessous énumérées :
1° L'action invoquée en application de l'article 1er a constitué une aide véritable à une ou plusieurs personnes visées à l'article 2 de la présente loi, se trouvant en situation de danger ou de péril immédiat et absolu;
2° L'aide visée à l'alinéa précédent a été apportée par son auteur au risque de sa vie ou de son intégrité corporelle et il a eu une parfaite conscience du risque ainsi encouru;
3° L'aide apportée l'a été spontanément et sans aucune contrepartie ni aucun espoir de contrepartie, quelle qu'en soit la nature;
4° L'aide apportée est prouvée par la production d'un document écrit et d'un témoignage au moins.
II. - Les titulaires du titre de « Juste parmi les nations » décerné par l'institut Yad-Vashem se voient décerner le titre de Juste de France au vu des documents examinés par cet institut.
III. - Le titre de Juste de France peut être décerné à titre posthume.
Il ne peut jamais être décerné à la demande de l'intéressé.
Article 5
L'octroi du titre donne lieu à la publication d'un décret du Premier ministre au Journal officiel.
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