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Projet de Protocole n° 12 à la Convention européenne des droits de l'homme |
Doc. 8614 14 janvier 2000 Rapport Commission des questions juridiques et des droits de l'homme Rapporteur: M. Erik Jurgens, Pays-Bas, Groupe socialiste
I. Projet d'avis1. L'Assemblée rappelle ses Recommandations 1229 (1994) et 1269 (1995) dans lesquelles elle recommandait au Comité des Ministres «de consacrer le principe de l'égalité des droits de la femme et de l'homme comme un droit fondamental de la personne humaine dans un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ». 2. Elle rappelle également sa Recommandation 1116 (1989) dans laquelle elle recommandait au Comité des Ministres «de charger le Comité directeur pour les droits de l'homme d'accorder la priorité au renforcement de la clause de non discrimination de l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme». 3. L'Assemblée attendait donc avec impatience et intérêt le projet de Protocole No 12 qui lui est maintenant soumis pour avis. 4. L'Assemblée constate que la différence introduite par le projet de Protocole concernant le champ d'application de la non discrimination réside dans l'extension de l'article 14 «à tout droit prévu par la loi » au lieu d'être limité aux droits et libertés reconnus dans la Convention. 5; Elle note par ailleurs que la liste des motifs de discrimination reste inchangée au motif que cette liste serait non exhaustive et permettrait donc son extension à d'autres motifs par la jurisprudence. 6. Elle est d'avis que l'énumération de motifs à l'article 14, sans être exhaustive, vise à établir une liste de formes de discrimination qu'elle considère comme étant particulièrement odieuses. En conséquence, il conviendrait d'y ajouter le motif d'«orientation sexuelle». 7. Par ailleurs le principe de l'égalité des droits de la femme et de l'homme n'est pas inclus dans le projet de Protocole. 8. L'Assemblée est donc amenée à constater que le projet de Protocole ne répond pas pleinement à ses attentes. 9. Par conséquent l'Assemblée recommande au Comité des Ministres: i. de remplacer l'article 1 du projet de Protocole par le texte suivant:
II. Exposé des motifs de M. JurgensA. Introduction1. L'Assemblée est invitée par le Comité des Ministres à se prononcer sur le projet de Protocole No 12 à la Convention européenne des droits de l'homme préparé par le Comité directeur pour les droits de l'homme (CDDH). Le Comité des Ministres a également demandé l'avis de la Cour européenne des Droits de l'Homme. Celle-ci l'a adopté le 6 décembre 1999. 2. Le CDDH avait reçu pour mandat de «rédiger un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme élargissant d'une façon générale le champ d'application de son article 14 et contenant une liste non exhaustive de motifs de discrimination ». B. Les insuffisances de l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme3. L'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme intitulé actuellement «interdiction de discrimination » se lit comme suit:
4. Comme le note le CDDH dans son projet de rapport explicatif, la protection offerte par l'article 14 est limitée. En effet l'article 14 n'énonce pas une interdiction indépendante relative à la discrimination, puisqu'il ne proscrit la discrimination qu'en ce qui concerne «la jouissance des droits et libertés garantis dans la Convention ». 5. Comparons l'article 14 à des dispositions similaires: L'article 1 de la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 proclame «Tous les humains naissent libres et égaux en dignité et en droits». Cette disposition reprend à peu de choses près l'article 1er de la Déclaration française des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789: «Les hommes naissent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.» 6. La clause la plus récente en la matière est celle contenue à l'article 3 du Pacte des Nations Unies relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966: «Les États Parties au présent Pacte s'engagent à assurer le droit égal des hommes et des femmes de jouir de tous les droits civils et politiques énoncés dans le présent Pacte». 7. Comme on le voit l'article 14 est en retrait par rapport à ces autres dispositions qui parlent de l'égalité; alors que l'article 14 vise seulement la discrimination. C'est forte de ces constatations que l'Assemblée a demandé à plusieurs reprises l'inscription d'un droit à l'égalité dans la Convention européenne des droits de l'homme. 8. Ainsi dans sa Recommandation 1229 (1994) relative à l'égalité des droits entre les hommes et les femmes, l'Assemblée recommandait au Comité des Ministres «de consacrer le principe de l'égalité des droits de la femme et de l'homme comme un droit fondamental de la personne humaine dans un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.» 9. Dans sa réponse à cette Recommandation le Comité des Ministres déclarait: "Le Comité des Ministres partage les vues de l'Assemblée parlementaire. Il rappelle qu'en septembre 1992, il a approuvé un mandat spécifique donné à un groupe de spécialistes du CDEG chargé d'élaborer une "proposition circonstancié" pour un Protocole additionnel à la Convention européenne des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales consacrant un droit fondamental de la femme et de l'homme à l'égalité. Il est prévu que cette proposition soit finalisée en juin 1994, lors de la 8ème réunion du CDEG, en vue de la transmettre au Comité directeur pour les Droits de l'Homme (CDDH), responsable de l'élaboration de nouveaux protocoles à la Convention". 10. Dans sa Résolution 1018 (1994) relative à l'égalité des droits entre les hommes et les femmes, elle invitait les gouvernements des États membres «à inclure le principe d'égalité des droits dans leurs constitutions respectives et à élaborer des législations antidiscriminatoires ». 11. Dans sa Recommandation 1269 (1995) relative à un progrès tangible des droits des femmes à partir de 1995, l'Assemblée réitérait sa demande d'inclure dés que possible le principe de l'égalité des droits entre les hommes et les femmes dans un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme. C. L'amélioration apportée par le projet de Protocole N° 1212. Que propose le projet de protocole? 13. Ce projet de Protocole contient un seul article de fond, si l'on fait abstraction des dispositions concernant l'application territoriale et des dispositions finales. 14. Cet article 1 s'intitule: Interdiction générale de la discrimination et se lit comme suit:
1. Le champ couvert par le projet d'article 1 du projet de Protocole 15. Si l'on compare cet article avec l'actuel article 14 l'on constate que la seule différence réside dans l'extension de l'article 14 à «tout droit prévu par la loi » au lieu d'être limité aux droits et libertés reconnus dans la Convention. 16. Cela constitue toutefois une extension du champ couvert par la non discrimination. 17. Une telle formulation couvre les droits garantis par la Convention ainsi que d'autres droits qui seraient garantis au niveau national. Elle fait évidemment une large place à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qui pourra l'interpréter de façon exhaustive. 2. Les motifs de discrimination 18. La liste des motifs sur lesquels aucune discrimination ne peut être fondée, ne change pas. Le CDDH a estimé que l'inclusion de motifs de discrimination supplémentaires était inutile d'un point de vue juridique, puisque la liste des motifs de discrimination n'est pas exhaustive et que l'inclusion de tout motif supplémentaire particulier pourrait engendrer des interprétations a contrario indésirables concernant la discrimination fondée sur des motifs non mentionnés 19. Or depuis l'adoption de la Convention en 1950 la société a évolué et il aurait été souhaitable d'en tenir compte. Bien qu'en 1950 certaines législations incluaient déjà l'orientation sexuelle dans la liste de motifs, maintenant, un demi-siècle plus tard, il est généralement reconnu que cette forme de discrimination a entraîné et entraîne diverses formes de discrimination et même de persécutions. L'article 14 a été formulé en 1950 pour abolir de telles formes de discrimination et de persécution. Dans l'exposé des motifs il est dit que ceci a été envisagé par le CDDH qui avait songé à des motifs tels que le handicap, l'orientation sexuelle ou l'âge, mais cette solution a été considérée comme inutile d'un point de vue juridique, puisque la liste des motifs de discrimination n'est pas exhaustive et que l'inclusion de tout motif supplémentaire particulier pourrait engendrer des interprétations a contrario. Il faut pourtant noter que le traité d'Amsterdam du 2 octobre 1997, qui modifie le Traité de l'Union Européenne, inclut le motif de l'orientation sexuelle parmi les motifs de discrimination. 20. S'il est exact que la Cour, comme le fait remarquer l'exposé des motifs, a déjà appliqué l'article 14 à l'égard de motifs de discrimination qui ne sont pas mentionnés dans cette disposition, sa jurisprudence n'a pas élargi de façon significative le champ de l'article 14. 21. En effet la liste des motifs n'est pas exhaustive puisque l'article 14 et le nouvel article 1 du projet de Protocole comportent le mot «notamment». Dans ce cas n'aurait-il pas été plus simple de ne faire figurer aucune liste et de consacrer un droit général à l'égalité sur le modèle de l'article 3 du Pacte relatif aux droits civils et politiques? En effet même si cet argument du caractère non exhaustif de la liste est recevable, il y implicitement une hiérarchie entre les motifs mentionnés eux-mêmes et entre les motifs mentionnés et ceux qui ne le sont pas. Cette interprétation est d'ailleurs confirmée par le paragraphe 2 de larticle 1 qui dit: «Nul ne peut faire l'objet d'une discrimination de la part de toute autorité publique fondée notamment sur les motifs mentionnés au paragraphe 1». 22. Enfin il faut se référer à l'audition qu'a tenue la Commission des questions juridiques et des droits de l'homme sur la situation des lesbiennes et des gays en octobre 1999 qui pourrait donner lieu à une recommandation visant à inclure l'orientation sexuelle parmi les motifs de discrimination. De toute évidence, la question de la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle est considérée, depuis 1950, comme ayant la même ampleur que les motifs cités dans le texte original de l'article 14. 23. Dans onze États membres, la législation interdit la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. Toutefois, les homosexuel(le)s demeurent victimes d'une grave discrimination dans certains autres pays européens; et seul le fait d'exclure expressément toute discrimination fondée sur l'«orientation sexuelle» pourrait les protéger. D. Ce que le projet de Protocole N° 12 ne reconnaît pas24. Dans le préambule il est dit: "Les États membres du Conseil de l'Europe .résolus à prendre de nouvelles mesures pour promouvoir l'égalité de tous par la garantie collective d'une interdiction générale de discrimination par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales " 25. Cela ne correspond pas au contenu du Protocole qui comme nous l'avons dit ne consacre pas l'égalité mais étend à d'autres droits le principe de non discrimination déjà contenu dans la Convention depuis son origine en 1950. 26. D'ailleurs les auteurs du texte ont tout de même eu conscience de cette différence entre égalité et non discrimination puisque dans le paragraphe suivant ils ont ajouté ce qui suit:
27. Ils reconnaissent donc implicitement que le Protocole ne garantit pas l'égalité, ils acceptent que les États parties prennent des mesures afin de promouvoir l'égalité mais seulement sous certaines conditions. 28. L'Assemblée doit exprimer le regret que ses recommandations visant l'adoption d'un droit général à l'égalité n'aient pas été suivies. 29. Le rapport explicatif qui accompagne le projet de Protocole entretient sans cesse la confusion entre deux choses distinctes: la non discrimination et l'égalité. Ainsi dans l'introduction il est affirmé «le principe d'égalité et de non-discrimination constitue un élément fondamental du droit international en matière de droits de l'homme», plus loin il est dit «la protection offerte par l'article 14 concernant l'égalité et la non-discrimination est limitée». 30. S'agissant de l'égalité entre les femmes et les hommes, il faut tout d'abord noter que le rapport explicatif ignore les recommandations précitées de l'Assemblée en la matière et ne se réfère qu'aux travaux du Comité directeur pour l'égalité entre les femmes et les hommes (CDEG). Il explique que le CDDH a convenu que dans le domaine de l'égalité entre les femmes et les hommes il se situait sur le plan du principe de l'universalité des droits de l'homme et a exprimé des réserves à l'égard d'un protocole fondé sur une approche sectorielle. 31. L'Assemblée est consciente du fait que dans plusieurs États membres, la Constitution interdit comme le fait l'article 14 actuel de la CEDH toute discrimination fondée, entre autres, sur le sexe. 32. Toutefois, étant donné que l'article 14 a été rédigé en 1950, l'évolution de l'opinion en matière de droits de l'homme a été telle que, mettre l'accent sur l'égalité entre les hommes et les femmes ne peut plus être considéré à l'heure actuelle comme une simple approche sectorielle. En effet, à cette époque, la Loi fondamentale de la République fédérale d'Allemagne consacrait déjà l'égalité des hommes et des femmes dans un article distinct: l'article 3, alinéa 2: «Männer und Frauen sind gleichberechtigt» (c'est-à-dire «les hommes et les femmes sont égaux devant la loi»). 33. Dans son alinéa 3, ce même article dispose ensuite qu'il est interdit de placer quiconque dans une situation de désavantage ou de lui conférer un avantage en raison de qualités particulières. La liste des qualités inclut le sexe («Geschlecht»). 34. Dans une version modernisée de l'article 14, il conviendrait de suivre au moins cet exemple en formulant l'égalité des hommes et des femmes dans un alinéa distinct, comme quelque chose qui est présupposé lorsque l'on discute du contenu des droits de l'homme. La race humaine est composée d'hommes et de femmes. On ne peut donc pas assimiler les hommes ou les femmes à une catégorie ou un groupe. A partir du moment où l'on accepte cela, c'est une pure question technique que de réaffirmer cette égalité en incluant le sexe dans la liste des critères qui ne sauraient servir de base à une justification d'une quelconque différence de traitement entre les citoyens. Une telle liste pourrait être importante quant à son influence sur la jurisprudence de la Cour. 35. La liste des qualificatifs de la discrimination qui figure à l'article 14 n'est pas exhaustive. Si ces qualificatifs (comme la race, le sexe, la religion ou les opinions politiques, l'orientation sexuelle, l'origine ethnique) sont énumérés, ce n'est pas parce qu'ils seraient comparables les uns aux autres au niveau de leur contenu. Ils ont été choisis parce que l'expérience a montré qu'il s'agissait des formes les plus insidieuses et odieuses de discrimination. C'est pourquoi il convient maintenant de rajouter l'orientation sexuelle à cette liste. 36. Ayant pris acte des propositions du CDDH concernant l'article 14, l'Assemblée souhaite réitérer sa demande visant à obtenir que le principe de l'égalité entre hommes et femmes soit inclus séparément dans la CEDH, et que la liste des éléments dont il est dit, à l'article 14, qu'ils ne sauraient justifier une quelconque discrimination, soit complétée 37. Enfin l'Assemblée propose de fixer à dix le nombre de ratifications requises pour l'entrée en vigueur du Protocole. E. Conclusions38. L'Assemblée, tout en accueillant favorablement l'extension de l'article 14, regrette que le projet de Protocole No 12 ne réponde pas vraiment à ses attentes. 39. Elle est consciente qu'il est le fruit d'un compromis mais elle souhaite faire les propositions suivantes:
Commission chargée du rapport: commission des questions juridiques et des droits de l'homme Implications budgétaires pour l'Assemblée: néant Renvoi en commission: Doc 8490 et renvoi n° 2428 du 20 septembre 1999 Projet d'avis adopté par la commission le 10 janvier 2000 avec 25 voix pour, 2 voix contre et une abstention Membres de la commission: MM. Jansson (Président), Bindig, Frunda, Moeller (Vice-présidents), Mme Aguiar, MM. Akçali, Arzilli, Attard Montalto, Bal, Bartumeu Cassany, Brand, Bulic, Clerfayt, Columberg, Contestabile, Demetriou, Derycke, Enright, Mme Err, Mme Frimansdóttir, M. Fyodorov, Mme Hlavac, M. Holovaty (suppléant: M. Zvarych) Mme Imbrasiene, MM. Jaskiernia, Jurgens, Kelam, Kelemen, Lord Kirkhill, MM. König, Kresak, Mme Krzyzanowska, M. Le Guen, Mme Libane, MM. Lintner, Loutfi, Magnusson, Mancina, Mme Markovic-Dimova, MM. Martins, Marty, McNamara, Mozetic, Mme Näslund, MM. Nastase, Pavlov, Pollo, Polydoras, Mme Pourtaud, MM. Robles Fraga, Rodeghiero, Mme Roth, Mme Roudy, MM. Saakashvili, Shishlov, Simonsen, Solé Tura, Solonari, Svoboda, Symonenko, Tabajdi, Verhagen, Verivakis, Vishnyakov, Vyvadil, Mme Wohlwend. N.B. Les noms des membres qui ont participé à la réunion sont indiqués en italique. Secrétaires de la commission: M. Plate, Mmes Coin et Kleinsorge Source : Doc.8490 |
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