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Opinions

Contrat d'Union Civile ou
Contrat d'Union Sociale :
un enjeu majeur

par Laurent Chéno

Un mouvement en accélération

Le 25 novembre 1992, des députés membres du PS ou du Mouvement des Citoyens ou apparentés (MM. Autexier, Michel, Belorgey, Labarrère, Le Guen, Vidal, Worms et Mme Bouchardeau) déposent à la Présidence de l'Assemblée Nationale une proposition de loi tendant à créer un contrat d'union civile. Depuis, aucun gouvernement n'a inscrit ce texte à l'ordre du jour de l'Assemblée Nationale, et il n'a donc jamais été débattu. Depuis le dernier jour (en juin 1993) de la dernière session de l'Assemblée élue en 1988, la Sécurité Sociale considère comme ayant droit le compagnon homosexuel. Nombreuses sont les mutuelles et compagnies d'assurance qui font de même (par exemple la MAIF et la MGEN).

Dans la deuxième moitié de l'année 1995, le Collectif pour le Contrat d'Union Civile (CCUC), sous la houlette de Jan-Paul Pouliquen, et la fédération AIDES, représentée par Yann Pedler, ont co rédigé une nouvelle mouture du texte, qui a été baptisée Contrat d'Union Sociale. Vers le 15 septembre 1995 le maire (MdC) de Saint-Nazaire, Joël Batteux, est le premier maire de France à délivrer des certificats de vie commune aux couples homosexuels.

D'autres mairies suivent...

Le 1er mai 1996, Libération fait paraître un communiqué de presse du CCUC annonçant que d'ores et déjà 243 maires de communes de plus de 10 000 habitants délivrent des certificats de vie commune aux couples homosexuels. On y trouve les 6 mairies d'arrondissement de gauche de Paris, les 3 arrondissements de gauche de Lyon (Ier, VIIIe, IXe), et le 8e secteur (PCF) de Marseille. On y trouve aussi des communes dirigées par la droite, comme Lourdes, Colmar, Issoire, ou Saint-Omer - 20 % des maires en question sont RPR.

Fin mai, la SNCF délivre la carte couple aux couples homosexuels qui peuvent présenter un certificat d'union civile.

Juin 1996, les Lesbian & Gay Pride de France choisissent comme thème fédérateur la reconnaissance du couple homosexuel, et affichent comme revendication le Contrat d'Union Sociale.

Une confusion trompeuse

On a dit et répété que le CUC/S était un mariage homosexuel. D'aucuns étaient de mauvaise foi, et voulaient simplement ainsi le discréditer, le faire rejeter par l'opinion, et le présenter comme contraire aux lois et traditions françaises.

D'autres, et beaucoup d'homosexuels parmi ceux-là, déclarant leur opposition au mariage traditionnel, se sont déclarés opposés au CUC/S. Ils y ont vu une parodie du mariage hétérosexuel, une comédie ridicule. Ils y ont vu un engagement religieux ou social dont ils ne veulent pas. Ils y ont vu une tentative pour récupérer des droits sans s'infliger de devoirs. D'autres encore, plus subtilement, ont voulu transformer le CUC/S en union homosexuelle parce qu'ils veulent revendiquer une spécificité homosexuelle, une minorité agissante qui devrait se créer des droits spécifiques, et fondent l'essentiel de leur discours sur les conséquences sociales de la pandémie du sida.

Or le CUC/S n'est ni un mariage, ni un engagement sans devoir, ni un cautère contre le sida, ni une revendication d'une minorité contre une majorité.

Les homosexuels rénovent la société française

Le premier mot que recouvre l'acronyme CUC/S, et le plus important, est le mot contrat. J'oserai dire que c'est peut-être l'avancée essentielle de tout le texte.

En effet, un contrat désigne un acte passé consciemment entre deux personnes, qui souhaitent que l'autorité administrative scelle sa constitution, mais dont ils sont les seuls acteurs. Le CUC/S constitue donc un choix volontaire de personnes qui s'engagent mutuellement, et demandent à l'autorité civile de le signaler, afin de pouvoir jouir des prérogatives qui lui sont attachées, mais sans reconnaître le moindre droit à ladite autorité de régler certains détails pratiques de leur union : un État laïc est aussi un État qui en particulier n'a pas à regarder dans nos lits ce que nous y faisons, et n'a pas à s'immiscer dans aucun aspect de la vie privée des citoyens.

Il est pour autant bien clair qu'il ne saurait être question de droits sans qu'il soit question de devoirs. Et le CUC/S ne néglige pas cet aspect. Le contrat ne peut être signé aujourd'hui pour être rompu demain, et le texte prévoit que les contractants vivent déjà depuis un certain temps ensemble. À partir du moment où un CUC/S est signé entre deux personnes, celles-ci ne peuvent dissoudre leur union sans passer devant un juge que dans la mesure où les intérêts - en particulier - matériels de l'un comme de l'autre sont préservés.

En revanche, bien sûr, il permet aux contractants de bénéficier des droits aujourd'hui dévolus aux couples mariés, qu'il s'agisse de droit au bail, de procédures d'imposition, de droits sociaux, ou encore, pour les fonctionnaires, par exemple, de droits de mutation.

Les situations particulières, si douloureuses, si scandaleuses, liées à la maladie, et tout particulièrement au sida, mais aussi à la conscription (confère le cas récent des deux compagnons à Saint-Étienne), ou à la séparation des conjoints fonctionnaires, entrent naturellement dans ce cadre. Et je dis naturellement, pas spécifiquement : la loi française n'a pas à créer de distinction fondée sur l'orientation sexuelle des citoyens ! J'ai toujours pensé que les homosexuels, bien loin de devoir se terrer dans un non-dit ou culpabilisant ou timide, sont un des moteurs de la civilisation. Et je n'en veux pas pour seule preuve les seules contributions habituellement concédées aux élans artistiques, à la mode, la danse, la musique ou la littérature.

Je répète que les homosexuels peuvent être un moteur de la civilisation. Loin des conceptions américaines des minorités, qui doivent se battre les unes contre les autres, sur la base du lobbying, je préfère la conception républicaine qui reconnaît dans les minorités les éléments (ré-) novateurs, les catalyseurs de la société française : nous sommes la semence nouvelle d'une société qui ne nous est pas étrangère mais à laquelle au contraire nous apportons la richesse de notre diversité.

L'Église avait fondé le mariage devant Dieu, indissoluble, de l'homme et de la femme chargés du devoir sacré de la procréation. La société civile napoléonienne a défini le mariage civil, tout aussi indissoluble, mais devant les hommes et leur société plutôt que devant Dieu, et toujours dans le but de fonder des familles. La République française a reconnu le divorce.

Et si les homosexuels étaient à l'origine d'un nouveau progrès de la conception républicaine de l'union qu'on dissocierait de tout concept sexuel ! Ce seront les homosexuels qui seront les auteurs d'une conception asexuelle de l'union des personnes. Qui affirmeront enfin qu'à l'évidence la société n'a pas à se mêler de la sexualité des citoyens, et feront reconnaître la diversité des situations qui peuvent mener deux personnes à demander une reconnaissance sociale de leur union : veuves souhaitant rompre la solitude des villes, citoyens refusant l'exclusion qui hébergent des jeunes en difficulté, couples homosexuels, personnes vivant sous le même toit depuis des années, quelle qu'en soit la raison...


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