FQRD

la revue h.

numéro 3, éditorial

Médias -------------------------------------------------------

À y regarder de près, une contradiction grandissante semble agiter notre époque : aux transformations tous azimuts de l'ordre économique, via la mondialisation des marchés, à celles de l'ordre naturel, via les manipulations génétiques, répond une singulière inertie de l'ordre social. Comme si les bouleversements des deux premiers autorisaient en quelque sorte le troisième à l'immobilité. Car tout n'avance pas à la même vitesse.

En ce qui concerne leur reconnaissance et leurs droits, les homosexuels ont depuis quinze ans choisi la voie constitutionnelle, et à l'Assemblée nationale, les débats sur le Contrat d'union sociale se succèdent et alternent, sans qu'on s'en étonne, avec ceux visant à redéployer obstinément une politique familialiste ou à restreindre les droits des étrangers.

On est loin des actions d'éclat des premiers mouvements de libération des gais et des lesbiennes, inscrits dans un désir de changement radical de la société. Les faits n'ont pas répondu aux attentes. La fin de notre dossier en trois volets sur le FHAR éclairera, nous l'espérons, la manière dont se concevait l'émancipation des homosexuels il y a vingt-cinq ans, et certaines des limites, internes et externes, qu'elle rencontra.

La Revue h veut offrir à ses lecteurs non seulement des points de repères historiques sans lesquels on comprend mal l'évolution du mouvement homosexuel, surtout dans une période aussi marquée par la perte de mémoire que la nôtre, où le présent, aussi éphémère soit-il, fait force de loi. Mais elle cherche aussi à nourrir ses pages d'analyses et de réflexions. Une approche de l'homosexualité, celle, ô combien dans l'air du temps, de l'existence d'un gène de l'homosexualité, est habilement démontée et analysée par Vincent Tardieu. Et, après Michel Foucault et Henning Bech dans le dernier numéro, Martin Dannecker, docteur en philologie à l'université de Francfort s'interroge sur la place de l'homosexualité dans la société, depuis son apparition, au xixe siècle, sous le triple signe de la pathologie, de la déviance et de l'immoralité, jusqu'aux récentes thèses constructivistes et identitaires récentes. Puis, comme la question homosexuelle est indissociable de celle de la sexualité et des genres, un dialogue à trois voix entre Sophie Sensier, Cécile Sanchez de Bénito et Catherine Deschamps offre un regard mi-sérieux, mi-humoristique sur un phénomène surgissant depuis quel-que temps de l'ombre où elle restait cachée : la bisexualité, avec ou sans complexes. Sujet que la veuve cycliste ne manque pas d'enfourcher, pédalier et toutes voiles au vent.

Pour en revenir à un combat de la Veuve cycliste dans notre premier numéro, sous un anonymat que certains de nos lecteurs nous ont reproché, nous reparlons ici de Frédéric Martel. En effet, bien qu'il n'ait pas souhaité répondre aux attaques certes fort acerbes de notre Veuve, il a néanmoins épanché son désarroi face aux critiques qui se sont abattues sur lui à l'occasion de la parution de le Rose et le Noir, son ouvrage sur l'histoire de l'homosexualité en France depuis mai 68. C'est la prestigieuse revue Esprit qui a lui offert pas moins de 22 pages pour répondre à ses détracteurs et remercier ceux qui l'ont soutenu. Cet article était intéressant, mais posait certains problèmes de fond. Alors même que le comité éditorial de la Revue h cherchait encore comment réagir face à ce plaidoyer pro domo assez insolite dans Esprit, un de nos lecteurs a souhaité s'exprimer à ce sujet. C'est bien l'amorce du dialogue que nous souhaitons entretenir avec ceux qui nous lisent. N'hésitez pas, comme Philippe Colomb, à nous écrire si vous désirer chroniquer un ouvrage, un article, réfléchir sur un sujet qui vous semble pouvoir intéresser l'ensemble des lecteurs.

Les craintes de Frédéric Martel sur l'irruption du communautarisme ne sont nullement partagées par Edmund White, écrivain américain installé à Paris, célèbre pour ses deux romans autobiographiques, Un jeune Américain et la Tendresse sous la peau, mais aussi pour sa biographie de Jean Genet.

Edmund White est un survivant. Il a traversé trois décennies, participé à l'émeute de Stonewall, connu les heures flamboyantes des années soixante-dix, comme de grands deuils dans les décennies suivantes. Ses deux ouvrages les plus récents paraissent en français ce mois-ci : Écorché vif, un recueil de nouvelles, et la Bibliothèque qui brûle, une compilation de ses textes politiques et de critiques littéraires. Christopher Miles consacre donc une analyse approfondie à ces deux livres, tandis que Marie-Hélène Bourcier a demandé à Edmund White de s'exprimer sur certains des thèmes les plus importants qu'il y évoque.

On y verra que White revendique hautement son statut d'écrivain homosexuel, ce qui fait déjà en soi l'objet d'un débat fort intéressant. La réflexion structurée qu'il développe sur les modalités d'insertion des homosexuels dans la société est l'autre raison majeure qui nous a incités à en parler longuement.

Et l'on voit finalement que ce numéro se rapproche encore un peu plus de la définition que nous donnions de la Revue h dans l'éditorial de son premier numéro. On y trouve réflexion et analyse pour l'étude des " causes " de l'homosexualité. Histoire et mémoire sont au cœur de l'achèvement de notre trilogie sur le FHAR. Un débat peut s'établir autour de l'article de Philippe Colomb : un autre lecteur désirera peut-être lui répondre ? Et la bisexualité, " ce douloureux problème " ? Voila aussi matière à débat, ce dont nous ne nous sommes pas privés.

Salubre exercice. Nous constatons avec plaisir que la presse magazine gaie a aussi identifié ce besoin de sens. Têtu s'interroge sur le sujet délicat des homosexuels et de la politique, en s'appuyant sur un sondage fort intéressant. Ex aequo se veut une sorte de Télérama gai sans les programmes de télé. Souhaitons lui de réussir son pari. Il sera vraiment gagné quand on pourra trouver Ex aequo et Têtu entre Elle et Télérama et non pas là haut sur l'étagère, entre deux magazines sous cellophane.

La Revue h n'en est pas là. Elle espère simplement devenir une revue, dans la durée. Merci de nous aider à gagner ce pari.

Laurent Muhleisen
et le comité éditorial.


15/03/1997, page réalisée par YD, © 1997 Gais et Lesbiennes Branchés et Revue h.
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