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Festival
Question de Genre 5
Sexe & Genre

12 nov. - 16 déc. 1996

L'ENJEU DU GENRE

par Patrick Cardon

``Tous les goûts sont dans la nature
Le meilleur est celui qu'on a. ''
Chevalier de Florian (XVIIIe s.)

On a toujours fait du genre sans le savoir. L'intitulé même du festival, Question de Genre, relevait de l'intuitif. Aujourd'hui, cette notion du genre rencontrant celle américaine de gender, est ou sera le lieu d'âpres combats où le principal enjeu est la reconnaissance, dans le genre - les genres - des homosexuels.

Pour l'heure où les névroses de toutes sortes s'institutionnalisent ou sont institutionalisées, le lieu de pouvoir donne seul sens au discours, lui-même vide de sens.

Qu'est-ce que peut donc représenter le genre dans un monde de sexes ? Nous le savons mais nous ne l'avions que secondairement exprimé (manque du mot juste). C'est tout simplement le constat que les sexes et les orientations sexuelles ne sont que des constructions sociales. Ce que les femmes et les hommes ont fait (constructionisme), les hommes peuvent donc le défaire. Fini les déterminismes biologiques et religieux (essentialisme) : c'est la voie ouverte aux élaborations d'identités nouvelles, c'est la signification méconnue du drapeau arc-en-ciel de la Gay Pride !

Or, après la lutte des classes et la lutte des sexes, voici l'enjeu principal : qui gagnera celle des genres c'est-à-dire de la reconnaissance de tous les genres dont les pôles les plus visibles sont le masculin et le féminin (mais il pourrait être facilement étendu à tout ce qui ne relève pas des représentations traditionnelles, les "différences", les soi-disant "minorités"). La lutte des sexes, actuellement, est, discrètement mais fermement installée à l'université et autres situations de pouvoir. Elle nie les genres en donnant le monopole du féminin aux femmes et celui du masculin aux hommes. L'affirmation de Michel Foucault "On ne naît pas homosexuel, on le devient" doit avoir sa place à côté de celle de Simone de Beauvoir "On ne naît pas femme on le devient". Or, ce n'est pas le cas.

C'est le résultat pervers des années 1970 (psych et po). C'est pourquoi, l'engagement est encore à l'ordre du jour dans le cadre du genre qui lui donnera un nouveau souffle. Nous ne pouvons pas nous battre contre des a priori, des discriminations, avec les mots du discours dominant. Nous avons besoin de nouveaux concepts. Celui de genre nous apparaît le plus approprié. Il nous dégage de toutes ces notions décriées mais jamais dissoutes de "sexe", "sexualité", d' "orientation sexuelle" (désormais has been). Nous ne serons plus d'abord homosexuel, gay, lesbien, lesbienne, drag-queen et king (tous les goûts sont dans la nature) ; nous serons d'abord genre. Le reste est affaire de goût et non pas d'État (Le meilleur est celui qu'on a). Enfin une traduction française de queer ! Les multiples identités se fédéreront et se reconnaîtront dans le genre. L'expérience des festivals précédents : QUESTION DE GENRE 1 (l'homosexualité à l'écran, 1991), QUESTION DE GENRE 2 (couleurs, sida, Jean Genet, 1992) et QUESTION DE GENRE 3 ("Sexes & Écritures", 1994 ), QUESTION DE GENRE 4 : 100 ans de cinéma gai & lesbien ; 10 ans de prévention, nous font consacrer QUESTION DE GENRE 5 à la question du genre. Entre temps, en effet, cette question, de simple point d'interrogation, de simple critique du positionnement de l'homosexualité, est devenue une question essentielle à traiter en priorité et non plus comme accessoire.

Les théoriciens du cinéma n'en feront pas l'économie. Le cinéma ne l'a pas fait.

Pour notre part, nous allons profiter de la définition proprement française du mot genre. Ce mot englobe des définitions très différentes suivant le domaine auquel il s'applique : linguistique, sociologie, anthropologie, langage courant. Notre défi est d'homogénéiser ces différences de signification en un concept nouveau mais voisin de celui de gender aux USA, un concept autonome de celui de sexe et élargi aux différences non-institutionnelles et institutionnelles (comme le genre linguistique de masculin et féminin mais aussi les genres littéraires, musicaux et cinématographiques).

LA QUESTION DU GENRE ET LE VIH

Les MST on toujours été traitées, et leur dénomination y invite, d'une façon médicale et biologique. Le VIH, classé autrement, a nécessité un traitement plus sociologique, incluant les rapports sociaux entre les sexes. Inévitablement ce traitement social est amené à considérer le genre, c'est-à-dire la construction sociale non seulement des sexes mais aussi des relations entre les sexes, y compris les relations sexuelles. Revendiquée depuis longtemps par les femmes pour améliorer leur condition sociale au sein de la famille, la notion de genre l'est récemment par les homosexuels pour - entre autres - faire accepter la diversité des modes de vie et élargir à eux l'idée de famille (reconnaissance des couples homosexuels, adoption etc...). L'apport nouveau relatif à ces années où le genre aura progressivement dissocié le biologique du social dans un seul sexe (mâle et masculin, femelle et féminin) est de l'autonomiser de ce seul sexe pour l'appliquer aux deux (homme masculin et homme féminin ; femme féminine et femme masculine) dans une revendication de l'égalité non plus seulement des sexes mais des genres.

La problématique et les priorités sont inversées pour une meilleure efficacité. Il semble en effet qu'on ne progressera plus dans l'égalité des sexes qu'en pronant l'égalité des genres. Alors que jusqu'ici, la pluralité des genres semblait un effet pervers de l'égalité des sexes.

Plus concrètement, il semble que c'est la reconnaissance des couples homosexuels qui fera évoluer les mentalités pour une plus grande égalité au sein du couple hétérosexuel.

Des MST au VIH on est passé, en France, ce sera son originalité, d'une considération des sexes aux considérations de genre. L'enjeu est de taille puisqu'il s'agit ni plus ni moins de la possibilité d'établir une démocratie pluraliste dans le cadre d'une république respectant ses communautés. Dans le monde anglo-saxon, c'est le rapport de forces des communautés qui a instauré un langage respectable qu'on a appelé injustement "politiquement correct". En France, c'est l'épidémie du sida qui oblige les individus à se sentir solidaire de ce qu'on pourrait appeler - au sens large du terme : réseaux, associations, réunions régulières, moyens d'expression communs, intérêts communs - une communauté. La Gay Pride de 1995 a été un événement en ce sens. L'État lui-même semble abonder dans ce sens pour pouvoir faire passer ces messages de prévention. La notion de relais associatif et individuel devient indispensable dans un monde à la recherche d'une troisième voie entre le tout administratif et le tout individualiste.

Pages réalisées par YD, le 3/11/96. Copyright Gais et Lesbiennes Branchés, © 1996.

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