30 Avril 1998
LETTRE OUVERTE A Mme GUIGOU
Nous ne savons, Madame, si nous devons vous dire merci pour l'aumône
que vous nous octroyez et la grande charité dont vous faites preuve.
Homosexuels et lesbiennes, citoyens et citoyennes " de seconde
classe ", sommes emplis de gratitude envers " la "
Ministre de la " Justice " qui distribue avec parcimonie
quelques miettes de droits comme, en d'autres temps, on permettait aux " noirs "
de s'asseoir, provisoirement, à la table des " blancs ".
M. Badinter vous précéda, Madame, avec plus de faste.
" Les discriminations sur les critères de race, de religion,
d'opinion ou de sexualité " sont à proscrire dans
un pays qui se targue d'être le pays des droits de l'homme et du citoyen.
Ne le pensez-vous pas ? Ou ne le voulez-vous pas ?
La justice de notre pays et les principes démocratiques ne semblent
pas être, madame la Ministre, votre principale préoccupation.
Le sort de quelques catégories de citoyens dépouillés
de droits pourtant élémentaires retient certes votre attention,
mais pas suffisamment sans doute pour que vous n'agissiez avec vigueur pour
inscrire enfin dans vos lois la traduction des chartes et textes appelant
aux mêmes droits pour tous. Il est vrai que le droit de vote des femmes
n'est pas si vieux, les homosexuels et les lesbiennes peuvent donc attendre
encore quelques dizaines d'années, ... quand le courage politique,
la droiture et la fermeté sur les principes auront remplacé
les manoeuvres, les compromissions, les hypocrisies, les promesses non tenues,
la lâcheté et le mensonge.
Triste France, dont 12 000 élus, fidèles à l'esprit
de Vichy, ont pourchassé " vaillamment " ceux
qui ne ressemblent pas aux autres, ... pourtant si souvent déjà
dans le passé déportés, torturés, exterminés,
et aujourd'hui encore contraints au silence, à la clandestinité,
parfois au suicide.
Nous appelons cela de l'homophobie. Elle n'a rien à envier au racisme,
à l'antisémitisme et autres formes d'exclusions.
Votre comportement, Madame Guigou, nous le déplorons, est homophobe.
Vos arguments sont maladroits, vos convictions suspectes, vos affirmations
stupéfiantes. Vous rendez-vous compte qu'on pourrait trouver les
mêmes par la voix d'un électeur du Front National ? Ce
pays, parmi les plus homophobes d'Europe, s'enfonce dans des traditions
inquiétantes d'une histoire qui se répète.
Cela nous trouble d'autant plus que vous dites appartenir à un gouvernement
de " gauche ". La gauche, madame la Ministre, votre
gauche, n'est plus crédible. Les divers projets de loi sur le CUS,
issus des formations de la " gauche dite plurielle ",
sont aujourd'hui balayés, vidés de leur sens. Les citoyens
et citoyennes homosexuel(le)s sont une fois de plus floués, bafoués,
humiliés. Vous nous avez menti. Vous nous avez trompés.
Nous nous battrons, madame, pour la reconnaissance de nos couples, pour
l'obtention de nos droits, pour le respect que vous nous devez, à
nous comme à tous les citoyens " libres et égaux
en droits ". Et l'Histoire, hélas avec retard, mais inévitablement,
nous rendra un jour raison et justice.