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Ce compte-rendu a été réalisé
par Yannis Delmas, des Gais
et Lesbiennes Branchés, pour la
France Gaie et Lesbienne, à partir des notes en séance.
Il se veut fidèle mais les propos ici rapportés n'engagent
pas les intervenants signalés.
La table ronde est animée par Jean Le Bitoux, président
du Mémorial de la Déportation Homosexuelle (MDH). Il rappelle, en introduction
la demande du MDH de la constitution d'une commission pour valider officiellement
les faits historiques. Il s'agit également de l'inscription dans
les manuels scolaires. Il rappelle l'aide du Ministère des Anciens
Combattants et Victimes de guerre pour le rapprochement avec la Fédération
de la Mémoire sur la Déportation.
Le contexte à Berlin dans les années trente.
Les premières persécutions.
La martyrisation des lesbiennes.
Florence Tamagne
historienne, maître de conférence à l'Université
de Lille III
En Allemagne le §175 condamnait dès avant les nazi les actes
contre nature entre hommes et entre Hommes et animaux. Il pouvait entraîner
peines de prison et perte des droits civiques. Il s'agit d'une adoption
du droit prussien par la République de Weimar. A cette époque,
l'interprétation restrictive et concerne principalement les actes similaites
au coït.
Le §175 est renforcé seulement en 1935 : tout acte (y
compris caresses ou désir) entraîne alors la prison, jusqu'au travaux
forcés. L'augmentation du nombre de condamnations est très nette entre
Weimar (env. 700/an) et les Nazi (plusieurs milliers, en augmentation
constante). La durée des peines augmente également sensiblement (3 mois
contre plus de 3 ans).
Le contexte est aussi celui d'une augmentation de la violence, de mesures
d'exception dès l'avénement des nazis en 1933. Le centre Hirschfeld est
pillé en mai 1933. L'ensemble du dispositif est encore accrus après
la "nuit des longs couteaux". En 1934, un bureau spécial est
créé rassemblant les fichiers de police. En 1936, un second
bureau s'ajoute, contre l'avortement et homosexualité. En tout près de
100 000 personnes seront fichées.
Pour autant, il ne s'agit pas tant d'éliminer les homos mais les « personnes
à risques » (pédophiles, homos récidivistes, etc.). Certains sont
morts en camps au titre d'une simple détention préventive. Idéologiquement,
une rééducation/guérison est, en effet, considérée comme possible. Cette
"rééducation" peut prendre la forme d'un camp de concentration
ou du front de Russie. Le nombre de déportés pour homosexualité
est peu sûr et se situe probablement entre 5 000 et 15 000.
Ces points concernes les homosexuels masculins. Concernant le lesbianisme,
diverses propositions de criminalisation ont existé mais ont finalement
été rejetées : le contrôle par la pression sociale
est facile et on craignait alors que l'information n'entraîne le
vice. En 1938, l'Anschluss crée un flou juridique dans la mesure
où le lesbianisme est interdit en Autriche. Les archives manquent
pour dire combien de femmes sont concernées. Dans tous les cas,
comme pour les hommes, les bars et les mouvements sont fermés. On sait
également qu'on existé des stratégies de survie : mariages
blancs, etc. Dans les camps, les lesbiennes étaient enregistrée
sous d'autres motifs : politique, asociale ou prostituées.
- Bibliographie :
- Florence Tamagne, Histoire de l'homosexualité en Europe,
Éditions du Seuil, 2000.
Le statut des camps.
Les multiples martyrisations.
La fausse Libération.
L'évolution des codes pénaux.
Gerard Koskovich
historien, Centre d'archives gay de San Francisco
Les homosexuels masculins étaient présents dans les camps
dès les débuts. Il sont attestés en tant que tels
au moins dès 1934, 5 ans avant la « solution finale ».
Par contre, la déportation homosexuelle est bien moins systématique
et uniforme que pour les juifs.
A l'époque on distingue (médicalement) entre une homosexualité
acquise (séduction fourvoyée) et innée (pratique
coutumière, récidiviste). On considère que les premiers
peuvent être réformés : par la discipline des
camps, la castration, etc.
Le milieu homo hors-camps développe une stratégie de survie
de la discrétion extrème. Dans les camps une marque disctinctive
l'empèche : brassard jaune avec un A, numéro
175, point noir ou, finalement, triangle rose. Ceci s'insère dans
le cadre d'un système plus large de signalisation systématique.
C'est un système d'identification mais surtout de séparation
des détenus. Les homos, sans contexte d'extermination systématique
ont, néanmoins un très faible taux de survie : 60%
de morts contre 41% pour les politiques et 35% pour les témoins
de Jéhovah. Les principales raisons sont : fréquence
de la torture, nombre trop peu important (et trop grande disparité
sociale) pour tisser des réseaux de solidarité et de marché
noir, expérimentations médicales fréquentes (notamment
à Buchenwald), travaux pénibles et dangereux.
En 1945 la libération est tronquée. Certes, comme les autres,
beaucoup ont succombé après mais certains n'ont simplement
pas été libérés et ont été transférés
en système pénitentiaire. En effet, le §175, version
nazi, est resté en activité, considéré comme
légal dans la mesure où il n'est pas spécifiquement
nazi. Il ne sera aboli qu'en 1967 en RDA et 1969 en RFA. Pour cette raison,
beaucoup ont choisi le silence à la sortie des camps. En 2000 seulement,
l'Allemagne offre une reconnaissance symbolique par des regrets officiels
et l'annulation des condamnations.
- Bibliographie :
- Gerard Koskovich, The
Nazi Persecution of Homosexuals, An Annotated Bibliography of Nonfiction
Sources in English
,
Internet, 1997-2000.
Les chemins de la reconnaissance.
Les incidents avec les fédérations de déportés.
Les derniers témoins.
Le devoir de mémoire.
Jean Le Bitoux
président du Mémorial de la Déportation Homosexuelle
Au retour des camps est créé un secrétariat d'état
aux victimes de guerre. À l'époque on fait silence sur la
déportation homosexuelle. En fait, de façon générale,
on est peu à l'écoute des témoignages. Longtemps
on ne distingue pas même entre déportation, concentration
et extermination.
Les tziganes et homosexuels arriveront
plus tard dans les commémoration. Au départ le contexte
est celui de l'unanimisme puis la guerre froide induit une division entre
associations pro- et anti-communistes, d'où de fréquentes
frictions entre associations de déportés. Pour autant la
condamnation est générale de la question homo.
Le mouvement homo français se réveille après mai
1968 (avant les émeutes du Stonewall). En 1972, le rapport (interdit)
du FARH ouvre la question de la déportation à la suite d'un
témoignage reçu en 1971. L'association des années
précédentes, Arcadie, n'assurait pas de transmission
de la mémoire. À l'époque les preuves sont insuffisantes
par manque de travail d'historien. Les années 1970 voient les premiers
dépôts de gerbes, jugés intempestif par les associations
de déportés. En 1971, la gerbe déposée au
mémorial de la déportation est détruite puis une
grille est installée autour du jardin du mémorial. En 1972
est publié le témoignage de Heinz Heger (pseudonyme), triangle
rose autrichien. Il inspirera la pièce Bent de Martin Sheerman
(juif et homo). Le 8 avril 1982, les injures de l'évêque
de Strasbourg qui déclare que les homos sont infirmes et doivent
se considérer comme tels amènent Pierre Seel à témoigner
publiquement. Les dépôts de gerbes sauvages ou semi-officiels
se généralisent alors.
Au milieu des années 1990, les pouvoir publics résistent
moins. L'opposition vient finalement plus de fédérations
de déportés. Les gerbes sont régulièrement
déposée dans une douzaine de villes. L'ambiance est souvent
correcte et la presse relaye bien l'information.
- Bibliographie :
- Pierre Seel, Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel,
Éditions Calmann-Lévy, 1994, écrit en collaboration
avec Jean Le Bitoux, notes de J. Le Bitoux.
- Site web :
- Memorial de
la Déportation Homosexuelle
Communautés juive et homosexuelle.
Négationnisme et triangles roses.
Les conditions inabouties pour une restitution historique.
Michel Celse
historien
Pour éclairer la question du déficit d'histoire de la
déportation homosexuelle, on observera les différences entre
le cas homo et le cas juif, mieux connu.
La déportation est d'ampleur différente : considérablement
plus de juifs ont été exterminés, seule une minorité
d'homos ont été condamnés. En comptant les camps,
l'envoi sur le front, etc. quelques dizaines de milliers d'homosexuels,
au plus, sont concernés. L'objectif est différent il s'agit
plus d'éradiquer l'homosexualité que l'éliminer les
homosexuels. Il n'y a donc pas eu d'internement (ni d'extermination) systématique.
La logique n'est pas une logique de mort mais plus une logique de contrôle
social (incluant l'extermination mais ne la visant pas. Cette logique
s'applique, en théorie, aux seuls « aryens »,
sans réelle extension.
Le contexte est celui d'une continuité juridique de la répression
de l'homosexualité. De fait, son acceptation est beaucoup plus
facile par la population. Il n'y a pas eu nécessité d'un
effort de propagande considérable. La doctrine intervient plus
pour un transfert du plan moral au plan racial (présent encore
dans la notion de « fléau social » en France).
La continuité s'étend également après la guerre
puisque la criminalisation perdurera, d'où l'empêchement
de la remise en question.
Reste enfin l'image forte (encore aujourd'hui) d'une assimilation nazi-homos.
Cette image est déjà présente avant-guerre, notamment
parmi les exilés politiques. Son origine probable est une volonté
de discrédit du régime nazi. Ceci est étayé
par l'existence de nazis homos (Roem p.ex.) et peut-être une certaine
forme de fascination sur certains homos. Concernant les camps, la question
est envenimée par les violences (homo)sexuelles dans les camps :
homosexualité de circonstance, viols (par les kapo en particulier),
prostitution. La parole ne s'est guère libérée sur
ces aspects.
Pour ces questions, les alliés extérieurs sont importants :
historiens de métier, politiciens, etc. Ceci s'est fait tardivement
pour les juifs et manque encore largement pour les homos.
Les discriminations actuelles
qui conduisent aux persécutions.
Jean Thébaud
Amnesty International
La discrimination est une négation au principe de dignité :
« tous les Hommes naissent égaux... »
Les personnes discriminées sont souvent considérées
comme inférieures, d'où impossibilité de revendiquer
leurs droits fondamentaux.
L'homosexualité est criminalisée dans au moins 80 pays
sur tous les continents, sous des vocables et concepts variés.
Même sans criminalisation en tant que telle, il existe souvent une
discrimination sur les âges de consentement pour relation sexuelle.
Quand il y a pénalisation de l'homosexualité, fait essentiellement
privé, la loi est aussi utilisée comme prétexte de
condamnation ad hominem sans qu'il y ait réalité
de l'acte.
Pour autant la pénalisation n'est pas forcément explicite
dans la loi. Elle peu simplement être le fait de la police.
Cette discrimination touche également la liberté d'association
ou d'expression.
La Déclaration Universelle des Droits
de l'Homme de 1948 est d'abord une réponse aux atrocités
du milieu du 20e siècle telles qu'on les percevaient alors. Il
n'y a pas de référence explicite à l'homosexualité
mais la forme générale de ces droits s'applique.
Autre outil important : les textes de protection et d'égalité
des femmes développent des thèmes d'égalité
de l'homme et de la femme qui peuvent également être appliqués
au domaine de la sexualité.
- Sites web :
- Amnesty International,
éditions francophones
discussion avec la salle
M. Bellini, chef du protocole au Ministère des Anciens
Combattants, signale une circulaire aux préfets visant à
faciliter le dépôt de gerbe après le dépôt
officiel.
Michel Bujardet, LGP ÎdF, ancien président du CGL
de Paris, présente une résolution du
Parlement européen contre les actuelles discriminations
en Namibie.
Sur la place de l'Église. Certaines associations protestantes,
notamment, ont participé aux campagnes homophobes. Sous le nazisme l'homosexualité
a été utilisé par le régime contre l'église, notamment couvents (souvent
d'une façon extravagante, d'où l'échec des procès intentés).
La position de l'Église est traditionnellement homophobe ;
il n'y a donc pas eu d'émotion particulière au moment du renforcement
du §175.
En Belgique existe une proposition de loi prévoyant l'invitation
aux commémorations et l'inscription aux programmes scolaires.
Il existe des lois pénalisant à mort l'homosexualité.
Heureusement, elles sont rarement appliquées. Dernières exécutions : 6
personnes emmurées vives en Afghanistan. Il y a également des cas
en Arabie Saoudite.
Pierre Seel est mieux reçu en Allemage qu'en France. Il subit encore
durement les pressions nazi et homophobe.
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