Discours de Peter Schieder, Président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe,
à la
Conférence de l'ILGA sur le thème
"Reconnaître la diversité, promouvoir l'égalité"
Lisbonne, 25 octobre 2002
Lorsque j'ai été élu
Président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, il y a neuf
mois, j'ai déclaré que la protection des lesbiennes et des gays serait l'une
des priorités de mon mandat. Il y a deux raisons simples à cette décision.
Premièrement, alors que, ces dernières années, on a observé, dans l'ensemble
de l'Europe, une amélioration du traitement des lesbiennes, des gays, des
bisexuels et des transsexuels, les progrès sont inégaux et, dans certains
pays, il n'y en a pratiquement pas. Encore aujourd'hui en Europe, des personnes
sont victimes de discriminations en raison de leur orientation sexuelle. C'est là la
triste vérité.
Deuxièmement, dans leur lutte pour défendre et étendre leurs droits, les
lesbiennes et les gays n'ont dû compter que sur eux-mêmes ou presque. On
constate un manque d'engagement persistant et presque généralisé à
reconnaître et à défendre leurs droits, qui, pourtant, font partie
intégrante des droits de l'homme.
Il est grand temps, je crois, que les lesbiennes et les gays d'Europe reçoivent
un plus grand soutien des institutions mandatées pour protéger l'égalité et
les droits de l'homme aux niveaux national et européen. J'entends bien faire
tout mon possible pour que l'Assemblée parlementaire et le Conseil de l'Europe
dans son ensemble assument leurs responsabilités à cet égard. Cela dit, il ne
faut pas oublier que le discours seul ne suffit pas; c'est un très bon moyen
d'avoir bonne conscience mais pour ce qui est des effets concrets, c'est un peu
limité.
Je suis venu ici à Lisbonne avec un objectif clair et simple: exprimer mon
soutien sans réserve à la protection des droits des lesbiennes, des gays, des
bisexuels et des transsexuels, vous informer des récents travaux de
l'Assemblée et du Conseil de l'Europe à cet égard, mais aussi et surtout,
examiner avec vous des propositions concrètes pour l'avenir: qui fera quoi et
quand. En la matière, le bilan du Conseil de l'Europe sur les deux dernières
décennies est mi-figue, mi-raisin. D'un côté, c'est la première organisation
internationale à s'être attachée à promouvoir, en paroles et en actes, la
protection des droits des lesbiennes et des gays. D'un autre côté, les
avancées, si importantes soient-elles, sont le résultat d'une succession de
petites initiatives timides, qui ne traduisaient pas toujours une application
radicale des principes et visaient souvent à modérer simplement les attitudes
homophobes persistantes au sein de certains Etats membres.
Malgré cela, les progrès réalisés sont considérables et le mérite en
revient, en grande partie, à la Cour européenne des Droits de l'Homme et à
l'Assemblée parlementaire. La Cour, et, par le passé, la Commission
européenne des Droits de l'Homme également, ont pris une série de décisions
progressistes, reconnaissant que la discrimination fondée sur l'orientation
sexuelle était une violation des droits fondamentaux et étendant peu à peu ce
principe général à des domaines tels que l'emploi ou la garde des enfants.
Les décisions de la Cour sont de la plus haute importance car elles obligent
les Etats à réformer leur législation, lorsqu'elle est jugée incompatible
avec la Convention européenne des Droits de l'Homme.
Au sein de l'Assemblée parlementaire, nous nous efforçons non seulement de
modifier les lois mais aussi de changer les comportements. L'Assemblée
rassemble des parlementaires de différents horizons et de sensibilités
politiques diverses. Leurs points de vue reflètent les opinions prédominantes
au sein de leur électorat, qu'elles soient progressistes ou conservatrices,
empreintes de tolérance ou entachées de préjugés. Dans l'enceinte où ont
lieu les débats, à Strasbourg, les parlementaires s'expriment librement, mais
toujours dans le cadre des principes que notre Organisation a pour mission de
défendre. C'est notre meilleur atout pour faire avancer les choses mais on ne
peut pas attendre de miracles. Il est toujours long et difficile de faire
évoluer les mentalités.
Cependant, l'Assemblée a, à son actif, des avancées régulières. En 1981,
elle a ouvert la voie en adoptant sa Recommandation 924 sur la discrimination à
l'égard des homosexuels, qui condamnait la discrimination persistante et
l'oppression dont étaient victimes les homosexuels et recommandait aux Etats
membres du Conseil de l'Europe de prendre des mesures concrètes, notamment
d'appliquer le même âge légal de consentement que pour les hétérosexuels et
d'assurer l'égalité de traitement concernant le droit de garde des enfants. Il
se peut qu'à l'heure actuelle, le langage et les objectifs de la recommandation
paraissent dépassés et inadaptés, mais il ne faut pas sous-estimer son
importance à l'époque.
Plus récemment, en l'an 2000, l'Assemblée a adopté deux textes; le premier
porte sur la situation générale des lesbiennes et des gays au Conseil de
l'Europe et le deuxième sur la situation de leurs partenaires en matière
d'asile et d'immigration dans nos Etats membres. Les deux recommandations
critiquent ouvertement l'insuffisance de la protection juridique des droits des
lesbiennes et des gays dans de nombreux Etats membres du Conseil de l'Europe et
énoncent clairement un certain nombre de principes qui montrent à quel point
les conceptions de l'Assemblée ont changé depuis 1981. Pour apprécier
pleinement l'importance de cette évolution, il faut rappeler qu'en 1981, le
Conseil de l'Europe comptait 21 Etats membres, tous appartenant à la partie
occidentale du continent. En l'an 2000, il en comptait 20 de plus.
Notre condamnation univoque de toute forme de discrimination nos appels à fixer
un âge égal de consentement, à reconnaître officiellement les couples
homosexuels, à mentionner explicitement l'orientation sexuelle parmi les motifs
de discrimination interdits par la Convention européenne des Droits de l'Homme,
tels sont les messages qui ont été adressés à l'Europe dans son ensemble.
Le rôle éducatif de l'Assemblée en la matière peut être orienté vers le
long terme mais il est important. Nous étendons régulièrement les frontières
des droits de l'homme et ouvrons la voie à de nouveaux progrès réalisés à
travers les décisions de la Cour européenne des Droits de l'Homme et les
actions des Etats membres. En outre, l'Assemblée a imposé un certain nombre de
changements législatifs aux pays qui adhèrent au Conseil de l'Europe. Grâce
à sa procédure de suivi, l'Assemblée contrôle étroitement le respect de ces
obligations. La Roumanie est un exemple des résultats concrets et positifs de
l'action menée par l'Assemblée.
En revanche, je regrette personnellement que, lors de notre débat de septembre
sur l'adhésion de la Yougoslavie, un amendement visant à supprimer du droit
national toutes les dispositions discriminatoires à l'égard des homosexuels
n'aie pas réussi à obtenir la majorité nécessaire pour être adopté.
Toutefois, cet échec ne doit pas être attribué à l'homophobie, même si
certains commentaires formulés au sein de l'hémicycle étaient absolument
inadmissibles, mais plutôt à l'ignorance. Je suis sûr qu'une bonne
information précoce sur la situation dans le pays aurait pu contribuer à
éviter cette situation. L'absence d'une mention spécifique ne signifie pas que
nous tolérons l'existence de dispositions discriminatoires dans la législation
de nos 45 Etats membres. Cette question sera traitée par le biais du Protocole
n° 12 à la Convention européenne des Droits de l'Homme que les autorités de
Belgrade seront obligées de signer lors de leur adhésion et de ratifier dans
un délai d'un an.
Venons-en maintenant à l'avenir; deux grandes questions ne sont pas encore
couvertes par les textes de l'Assemblée: la pleine reconnaissance juridique des
couples de même sexe par l'Etat, dont le droit de se marier et le droit d'être
candidat à l'adoption d'enfants. Je ne vois, personnellement, aucune raison
d'interdire à des personnes du même sexe de se marier. J'estime, en outre, que
ce dont les enfants en attente d'adoption ont réellement besoin, c'est d'amour,
de soins et de protection de la part d'adultes responsables. Dans le monde
d'aujourd'hui, certains ont la chance de trouver de nouveaux parents, ce qui
n'est pas le cas de beaucoup d'autres qui deviennent la victime des préjugés
et de l'hypocrisie travestis en souci de l'intérêt de l'enfant. Cela dit, je
ne vous cacherai pas que l'Assemblée reste divisée sur les questions du
mariage entre homosexuels et de l'adoption d'enfants par les lesbiennes et les
gays.
Les opposants à une approche plus libérale de l'adoption feront certainement
valoir la décision prise par la Cour, en février de cette année, dans
l'affaire Fretté contre la France. Vous vous souvenez que la Cour a estimé que
la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle, s'agissant de l'accès de
personnes célibataires à l'adoption d'enfants, ne violait pas l'article 14,
considéré en liaison avec l'article 8. Le premier est une disposition
générale sur la non-discrimination, le second garantit le respect de la vie
privée et familiale. Certes, je tiens à préciser très clairement que
l'Assemblée est libre de formuler des recommandations qui vont au-delà des
décisions de la Cour mais l'organisation, à trop brève échéance, d'un
débat de l'Assemblée sur ce sujet pourrait conduire à un vote qui figerait la
question au niveau du plus petit dénominateur commun, entravant les futures
initiatives pour changer le statu quo.
Ce que je suggère, c'est d'agir progressivement, en diffusant l'information
pour rallier l'opinion à cette cause. L'ILGA devrait faire un effort
particulier pour être présente à Strasbourg et faire pleinement usage de son
statut consultatif auprès du Conseil de l'Europe. En coopération avec d'autres
structures représentant les lesbiennes, les gays, les bisexuels et les
transsexuels, elle devrait fournir des informations et des conseils aux
rapporteurs et à d'autres membres de l'Assemblée. Je suis prêt à offrir
l'aide nécessaire pour faciliter ces contacts et cette coopération.
Enfin, nous devrions, je crois, poursuivre nos efforts concernant le Protocole
n° 12 à la Convention européenne des Droits de l'Homme. Je déplore vivement
que, contrairement à ce que préconisait l'Assemblée, le Comité des Ministres
n'ait pas inscrit l'orientation sexuelle parmi les motifs de discrimination
interdits par le Protocole.
Je dois aussi admettre que j'ai été déçu par l'explication des Gouvernements
concernant la décision. A mon avis, ils ont, une fois de plus, esquivé leurs
responsabilités en produisant une nébuleuse de platitudes ambiguës. Dans les
circonstances actuelles, il nous faut veiller à ce que le Protocole n° 12
entre en vigueur dès que possible. Notre objectif doit être sa pleine
application dans tous les Etats membres du Conseil de l'Europe. A ce jour,
presque deux ans après l'ouverture à la signature, seuls deux pays, Chypre et
la Géorgie, ont ratifié le Protocole. Huit autres ratifications sont
nécessaires pour que le Protocole entre en vigueur. Quinze Etats membres du
Conseil de l'Europe, à savoir l'Albanie, Andorre, l'Arménie, l'Azerbaïdjan,
la Bulgarie, le Danemark, la France, la Lituanie, Malte, la Norvège, la
Pologne, l'Espagne, la Suède, la Suisse et le Royaume-Uni ne l'ont même pas
encore signé!
La deuxième tâche consistera à s'assurer que l'interdiction générale de
pratiquer la discrimination énoncée dans le Protocole n° 12 s'applique à
toutes les formes de discrimination à l'égard des lesbiennes et des gays, que
la discrimination porte sur l'âge du consentement, l'emploi, les droits
sociaux, le droit de garde ou d'autres droits. Nous avons du pain sur la
planche. Nous ne pouvons pas nous contenter du soutien proclamé par nos
gouvernements aux principes généraux des droits de l'homme, de l'égalité, de
la tolérance et de la justice. Nous devons veiller à ce qu'ils traduisent ce
soutien en engagements explicites, concrets, globaux et univoques pour protéger
le droits des lesbiennes et des gays en Europe.