Quel féminisme pour

les Scandaleuses?

Tom Craig

 

Nicole, qui préside aux destinées du bar lesbien Les Scandaleuses, donne sa vision des enjeux du féminisme aujourd'hui.

 

3K: Qu'est-ce que ça veut dire, être lesbienne et féministe ?

N: On est d'abord une femme quand on est lesbienne. Tu es obligée quand tu es une femme d'être féministe ou alors c'est que t'es aveugle. Qu'on soit hétéro ou homo, quand on est une femme, la société et les hommes nous donnent des rôles bien spécifiques. Comme lesbienne, on a deux choses à revendiquer, notre état de lesbienne et notre état de femme. On se bat sur deux fronts à la fois.

 

3K: Pourtant il y a plein de lesbiennes qui ne sont pas féministes ?

N: Il y a plein de lesbiennes qui ont peur de se politiser, qui vivent leur féminité ou leur féminisme au quotidien mais qui n'utilisent pas ce terme de féministe. C'est un mot qui leur fait peur: Ce qu'on a retenu des féministes des années 70, c'est qu'elles étaient des folles, des furies. Pour les trois quarts des filles qui ont entre 18 et 30 ans, les choses semblent acquises. Elles n'ont pas envie de lutter. Elles ont leur vie tranquilleÉ

 

3K: Si on est encore féministe pourquoi se bat-on? Quelles sont les priorités, les objectifs ?

N: La libre disposition de notre corps par exemple. On en est encore à guetter le prochain mec qui se pointe pour abroger la loi sur l'IVG. À guetter un gouvernement qui veut nous renvoyer à la maison, pour faire des enfants. Rien n'est acquis. Mais comme les lesbiennes n'ont pas affaire aux mecs dans leur vie intime, leurs revendications passent ailleurs, elles sont diluées dans le quotidien. Ça ne correspond pas au féminisme que l'on voit actuellement.

 

3K: Ce serait quoi alors, ce féminisme "au quotidien" ?

N: Concrètement, ce serait d'apprendre à nous connaître. Savoir quelles sont nos vraies valeurs, quelles sont nos vraies images. Est-ce qu'elles nous correspondent, pourquoi et comment ?
On ne sait pas trop tout ça. Les fameuses qualités et défauts de la femme, on en joue aussi et en même temps on n'arrive pas à avoir un recul par rapport à la coquetterie, au corps, à la féminitéÉ Une femme est capable d'avoir plusieurs identités, plusieurs rôles. Et puis en tant que lesbienne, notre vie dépend de nous, on n'attend pas qu'un mec nous facilite la vie à tous les niveaux. Rien n'est fait dans la société pour qu'une femme gère sa propre vie. Surtout à partir d'un certain âge, tout est fait pour que tu aies consacré ta vie à un homme.
Ce que je vois, c'est que les filles dans leur travail peuvent réaliser des choses très pointues, très étonnantes.
Parce qu'on a que ça à faire. Mis à part de tomber amoureuse un maximum!!! Cultiver notre vie, apporter notre vision de la société, du travail, des loisirs, de l'amour.

 

3K: Il y a les féministes qui choisissent le séparatisme. Toi, tu vis plutôt dans un milieu mixte ?

N: C'est hyper fatigant, t'as intérêt à avoir envie de faire ce que tu fais. Ou alors tu laisses tomber. Dernièrement j'étais dans une réunion, on était trois nanas et vingt mecs, à un moment le ton est monté et les mecs se sont mis à s'insulter. Les mecs ne t'écoutent pas quand tu discutes ou alors ils te coupent la parole. Dans de telles situations, je ne peux même plus appeler ça du féminisme, c'est de la survie, je défends ma peau. Évidemment, c'est une question de culture et d'éducation. C'est vrai que tant que les mères continueront à dire à un petit garçon "Si tu pleures, t'es une fille" et à dire à une fille "Ne sors pas dans la rue, je te protège et fais comme maman", on n'en sortira jamais. Ce sont les femmes aussi qui maintiennent la tradition pure et dure, même contre leur intérêt. Je suis persuadée que les femmes ont d'autres valeurs à cultiver, à produire et que pour l'instant on n'a ni les moyens ni la connaissance pour les transmettre. Contrairement à la transmission des structures machistes.

 

3K: Quand la sexualité des lesbiennes ne fait pas très bon ménage avec les grands principes féministes, qu'est ce qu'il se passe ?

N: En France, c'est encore une question de tabous, on est un pays à culture machiste méditerranéenne qui fait que la sexualité est le domaine réservé des hommes. Eux sont des êtres sexuels, purement sexuels. Donc une femme, si elle veut sortir de la main mise de l'homme, elle ne peut plus se présenter comme quelqu'un de sexuel.

 

3K: Nous pensions aux pratiques sexuelles entre femmes. A celles dont on dit qu'elles singent les hommes. Comment on se dépatouille avec ça ?

N: Mais ça ne singe pas les hommes. C'est comme quand les gais sont étonnés d'apprendre que des lesbiennes utilisent des godes. Eux ont déjà une bite, et en plus ils utilisent des godes! Ne me faites pas rireÉ On a le droit aussi.
La sexualité c'est comme tout le reste, ça dépend du vécu des nanas, de leur degré de prise de conscience. Je connais des nanas qui n'aiment pas baiser ou qui n'aiment pas la pénétration parce qu'elles ont subi toute une culture par rapport au phallus qui les gène. Donc elles veulent découvrir et apprendre leur corps par d'autres moyens. Si elles rencontrent les filles qu'il faut pour les mettre en confiance et pour les épanouir, c'est des nanas qui peuvent arriver à une sexualité libre comme tout le monde. Quoi de plus naturel que d'utiliser tous nos organes génitaux pour avoir du plaisir ? Tu ne décides pas de ne manger qu'avec tes dents ou ta langue. Y'en a qui grignotent, y'en a qui lèchent, y'en a qui sucent. Arrêtons avec tous ces tabous à la con.

 

Propos recueillis par Cécile Chaignot et Marie-Hélène Bourcier.

Les Scandaleuses, 8 rue des Ecouffes, 75004 Paris, tél.: 01 48 87 39 26.

 

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05/06/97, rédaction : 3Keller, réalisation de la page : , Copyright Gais et Lesbiennes Branchés, © 1997.

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