Une minorité dans la minorité des minorités

Mariella Lo Manto

Il n'est pas facile de se dire transsexuelle, féministe et lesbienne, comme l'expliquent Karine et Maud, de l'ASB (Association du syndrome de Benjamin).

C'est un fait nouveau en France. En sus, d'être "transsexuelles", certaines d'entre elles sont lesbiennes. Qui elles ?
Au départ, quelques unes. Il fallait le dire, "J'aime les femmes"! La question immédiate est : "Tu deviens une femme pour aimer les femmes ?". Une question révélatrice de la distinction entre genre et sexe et qui, du coup, force la question de l'identité. Si celle-ci était auparavant un corps (biologique et social) unique et compact, elle est désormais ce corps soumis aux mille déterminismes.
On pêche désormais son identité entre attente sécuritaire et demande d'autonomie. Depuis, 20% d'entre elles se révèlent être lesbiennes.Ni un concept ni un mode de vie, une attirance affective et sexuelle.


Ce qui a largement déplacé la question du féminisme dans ce groupe, avec pour corollaire, une vitalité pour les unes, une interrogation voire une inquiétude pour les autres. Pas de confusion entre "transsexualité" et homosexualité, le tout sur fond de demande pressée de tolérance.

Il est vrai qu'en France, on ne dit pas que l'on est lesbienne. L'un amène-t-il l'autre? Une question significative d'un psychiatre: "Vous utilisez des godes avec votre amie?" Le mâle est supposé toujours présent, même après l'opération. Et l'amour?! Un regard qui oblige à pointer les refoulements de l'attirance affective au nom du modèle unique de l'hétérosexualité. "Je me sentais femme, j'allais vers les hommes". Un propos connu, avec une nuance de taille, celui de la "trans-sexualité", laquelle est déportée vers un "horsexe"É
Comprenne qui pourra. Plus qu'ailleurs, les fantasmes vont bon train, alimentant l'exclusion. Partant, un évitement radical dans un groupe qui est déjà socialement en retrait à propos des femmes. Il ne saurait y avoir "féminisme" mais entrée en forceÉ Les "transsexuel(les)" sont toujours perçus dans cet "extrémisme" de part leur trajectoire; ceux et celles qui relèvent de l'homosexualité le sont d'autant plus, une "minorité dans la minorité des minorités". Qui dit mieux? De cette absence à la voix singulière, naît un débat sur leur présence, leur participation à la future Europride comme moteur quotidien et politique, dans la rencontre amoureuse.


Dans le délicat jeu des identifications, c'est l'occasion pour les unes de nier la masculinité, un rejet féroce et sans nuance. Autre refoulement ou plaquage sur une dualité nature/culture, femme/homme aussi corrosive qu'omnivore ?
Pour d'autres, un "néoféminisme", se réappropriant de la féminité vestimentaire, des valeurs sans en faire des catégories. Il y a du masculin et du féminin en chaque être, dit le sage.
La subtilité consiste à explorer les dimensions sensibles de cet être. Le féminisme, c'est aussi et au-delà de la résistance, une invention des rapports sociaux par les relations humaines. Quant aux hommes de cette trajectoire ils sont toujours et encore invisibles: peu de gens connaissent leur existence.
Il faut croire que la réflexion sensible est dépositaire d'une stabilité tranquille à l'épreuve de cette absence de visibilité. À bien des égards, ils font preuve d'un féminisme pratique, stable et cohérent.
La résistance politique, elle, est dévolue aux rapports de force lorsque les relations humaines sont déterminées par un système de hiérarchies, par des "identités sociales" et sur des rapports sociaux.

 

Maud Thomas



Sans entrer dans des explications complexes, les personnes dites transsexuel(le)s sont des hommes et des femmes dont l'identité de genre est opposée au sexe biologique. En somme: mon corps est celui d'un homme et c'est une femme qui vit à l'intérieur; cela aurait pu être l'inverse.


Le "transsexualisme" est une question d'identité, pas de sexe! On ne le répétera jamais assez. Toutefois, cela ne veut pas dire que nous avons la sexualité d'un gastéropode aphasiqueÉ

Prélude à l'affirmation et à l'acceptation de notre spécificité, l'homosexualité refoulée est souvent envisagée comme la clef, l'explication à ce qui nous arrive. Par la suite, le mot est abandonné au profit du terme hétérosexualité: une femme qui aime les hommes, "c'est normal" dira-t-on. Et voilà, tout rentre dans l'ordre! Non, ce n'est pas si facile en vérité. Ici, je ne peux faire autrement que de parler de moi. Comme une fille ça doit aimer les hommes, alors, j'ai aimé les garçons, jusqu'au jour, où j'ai réalisé que j'étais lesbienne en plus d'être "transsexuelle"!
Dans mon cas, comme dans celui d'autres, il est une évidence: bien que me trouvant en marge de la société et d'une certaine morale en raison de ma trajectoire identitaire, je n'ai pu m'empêcher de me plier encore à la dite et souvent imposée normalité. Dans notre tribu, il n'y a pas si longtemps que cela, aucune fille ne parlait ouvertement de son homosexualité.
Aujourd'hui, les choses changent et nous sommes quelqu'unes à vivre notre affectif au grand jour.
Par vivre, j'entends: ne plus se cacher ("Je suis lesbienne et alors?"). Mon homosexualité est une nouvelle donnée pour moi, et de m'être trouvée sur le plan affectif, m'épanouit à tel point que j'en deviens militante. Anormative, presque par nature, je suis tout de même une féministe modérée, soit dit en passant.

 

Karine Solène

 

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05/06/97, rédaction : 3Keller, réalisation de la page : , Copyright Gais et Lesbiennes Branchés, © 1997.

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