Pour l'autonomie des lesbiennes

 

L'historienne Marie-Jo Bonnet explicite ses positions par rapport à la mixité gaie et lesbienne, dans le prolongement des luttes pour les droits des femmes.

 

3K: Comment vous définissez vous: féministe et lesbienne ou féministe lesbienne ?

MJB: Je milite depuis 25 ans pour la libération des femmes, y compris la libération sexuelle. J'ai commencé par rencontrer le MLF (Mouvement de libération des femmes). Les homosexuels se sont révoltés peu après sous l'impulsion des femmes qui ont fondé le FHAR (Anne-Marie Fauré, Françoise d'Eaubonne, moi-même...). Les hommes nous ont rejoint très vite et au bout d'un certain temps, nous avons vu que nous n'avions plus la parole. Nous avons quitté le FHAR et nous avons fondé les Gouines rouges. Je suis donc forcément féministe, la libération des lesbiennes concerne les femmes.

 

3K: Comment ont été prises en compte les revendications lesbiennes? Et par les mouvements homosexuels aujourd'hui ?

MJB: Nous n'étions pas un parti politique avec des revendications mais des femmes qui se libéraient. C'est petit à petit qu'on a élaboré des revendications, au début c'était la révolte! Ma première revendication était de sortir du placard, de devenir visible. Et ce n'était pas facile à faire, surtout à cette époque là. Nous avons fait un acte révolutionnaire de prise de parole collective.
Nos revendications demeurent toujours celles d'une égalité entre hommes et femmes dans la société que nous n'avons pas dans les faits! Le CUS est un petit pas en avant pour la reconnaissance de l'égalité entre hétéros et homos. Mais le problème de l'égalité entre hommes et femmes reste posé. Le militantisme gai ne s'y intéresse pas encore et j'espère qu'il va le faire très prochainement. Ça montrera qu'il a l'intention de joindre l'acte à la parole lorsqu'il se réclame d'un mouvement gai et lesbien.

 

3K: Vous ne trouvez pas que les femmes se font des idées reçues sur les gais alors qu'il suffirait de se mettre en avant nous aussi ?

Mais pourquoi eux ne viennent-ils pas aussi vers nous? Il faudrait peut-être qu'ils commencent, vraiment, à s'intéresser aux femmes! Nous, on lit les écrits des hommes, on ne peut pas s'en dispenser, mais eux ne nous lisent pas.

 

3K: Les lesbiennes d'aujourd'hui sont-elles héritières des combats féministes des années 70 ?

MJB: Bien sûr, parce que sans nous, vous ne seriez pas là! Vous ne vous en rendez pas compte. Le drame c'est l'absence de conscience historique.
De même que nous nous n'aurions jamais pu nous révolter en 70 s'il n'y avait pas eu Simone de Beauvoir et toutes les luttes des femmes du début du siècle. Il y a eu un bouleversement extraordinaire de notre société!

 

3K: Mais ne pourrait-on aller encore plus avant, justement en défendant une certaine mixité ?

MJB: Mais pourquoi vous accrochez-vous à cette mixité? Nous avons fait un mouvement non mixte parce que nous avons démontré que la société n'était pas mixte. Et c'est en faisant un mouvement non mixte qu'on s'est rendu compte qu'effectivement les femmes étaient absentes des centres de pouvoir.
C'est la même chose avec le mouvement gai. Vous avez des hommes qui parlent d'un mouvement gai et lesbien mais quand ils se réfèrent à un modèle de couple, c'est au modèle masculin, quand ils parlent d'une culture, c'est de culture masculine!
On est toujours dans l'universalisme à la française des révolutionnaires de 1793, qui reconnaît le principe de l'égalité et exclut les femmes du droit de cité. Qu'est que ça veut dire la mixité? Mixité, ça veut dire égalité! Et tant qu'il n'y aura pas égalité il n'y aura pas mixité! Les garçons avec qui on peut parler à égalité sont très rares. Ce sont ceux qui ont dépassé les problèmes de sexe et de pouvoir masculin.

 

3K: Envisagez-vous une évolution par rapport aux mentalités que vous dénoncez ?

MJB: Il faut parler de l'autonomie, qui éclaire le problème de la mixité. Nous, notre libération c'est pour devenir autonomes, en tant que femmes, en tant que lesbiennes. Et remettre en question la non mixité du mouvement lesbien, c'est remettre en question l'effort d'autonomie que font les femmes du XXe siècle.
C'est un effort très important que de se définir par rapport à soi-même. Pendant des siècles, on a été défini par rapport à l'homme. Et pour se définir par rapport à soi-même il faut bien trouver son propre espace intérieur.
On a été colonisées pendant des siècles. Cet effort d'autonomie, il est nouveau dans l'histoire. Les mouvements non mixtes des années 70 ont déclenché tellement de prises de conscience! La société, les sphères du pouvoir ne sont pas mixtes.
Les hommes ne veulent pas partager le pouvoir.
Il y a une espèce de collégialité. Quand on a créé le MLF, il n'y avait pas de présidente, pas d'association. Les femmes étaient libres. Il n'y avait pas de hiérarchie.

 

3K: Mais pour que les homosexuels soit moins marginalisés, ne faut-il pas avoir une certaine hiérarchie, des institutions ? Si on est tout le temps marginal on n'a pas de poids!

MJB: Que veut-on institutionnaliser, c'est ça la question! Le couple c'est une institutionnalisation et je suis pour, mais ça n'a plus rien à voir avec la révolte des homosexuels. La révolte c'est quelque chose qui ne rentre pas dans les cadres. C'est ce qui vous permet de prendre une distance par rapport à la société. On vit quand même dans une société qui est contre les individus! On a perdu ce souffle là. On était d'un culot et d'une audace inouïe et cette audace a disparue.

 

3K: Selon vous, depuis les années 70, il n'y a plus grand chose qui émane du mouvement militant ?

MJB: La maladie a pour ainsi dire tué et les êtres et un certain esprit de révolte. Chez les garçons en tout cas. Pas du tout chez les filles: il y a un ferment de changement social qu'il n'y a pas chez les garçons, qui eux veulent s'intégrer dans la société.
Les filles ne veulent pas s'intégrer mais la transformer. C'est ça, la différence entre le militantisme gai et le militantisme lesbien.

 

Propos recueillis par Sophie Faure

 

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05/06/97, rédaction : 3Keller, réalisation de la page : , Copyright Gais et Lesbiennes Branchés, © 1997.

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