Patrick est mÈdecin de ville. Un simple ´ mÈdecin de quartier ª qui
peut Ètablir une relation privilÈgiÈe avec ses malades, les accompagner dans leurs
choix de vie.
Une ´ aventure ª qui remue, questionne, bouleverse. MÈdecin mais proche, mÈdecin et
proche, Patrick tÈmoigne.
Patrick tient son cabinet dans la banlieue
sud de Paris. En dix ans, il a reÁu des dizaines de personnes touchÈes,
le plus souvent des toxicomanes. Il en a suivi une demi-douzaine -
des patients comme les autres. Mais avec le sida, ´ on est intÈressÈ
par le comment des choses, on a envie de revenir aux sources ª. Lhistoire
personnelle, explique Patrick, participe de la thÈrapeutique et laide.
Premier contact
A la fin des annÈes 80, Patrick rencontre ses
premiers patients qui lui disent leur séropositivité.
DËs la premiËre visite, ou longtemps aprËs - quand la confiance sinstalle.
Patrick ressent le besoin de travailler avec dautres mÈdecins,
pour Èchanger des expÈriences, Ítre ÈpaulÈ par des spÈcialistes. Il
intËgre un rÈseau ville-hÙpital, un de ces regroupements de mÈdecins
de ville et de mÈdecins hospitaliers qui mettent en commun leurs acquis
concernant la nouvelle maladie.
Le premier contact avec le mal du sida vient le jour o˜ on amËne ý Patrick le copain
dun ami denfance. Amaigri, Ètouffant, lhomme souffre dune grave
pneumocystose et doit Ítre soignÈ aux urgences. Patrick apprend ensuite que le mÈdecin
hospitalier qui avait annoncÈ au malade sa sÈrologie et le suivait depuis, tÈtanisÈ
par ce patient, avait diagnostiquÈ lors des premiers symptÙmes dÈtouffement une
simple angoisse et prescrit du Lexomil ! ´ Il naurait pas rÈagi ainsi face ý une
autre maladie. ª L'homme survit. Patrick sourit en Èvoquant la piËce ý laquelle ce
patient, acteur, la invitÈ : lhistoire intÈrieure mÈtaphorique dun
cochon quon mËne ý labattoir. Patrick a ÈtÈ frappÈ par le courage de
l'acteur, toujours souffrant, sur scËne. ´ CÈtait un exploit. ª
Secret mÈdical ý double tranchant
Comprendre la maladie nest pas tout.
Il faut aussi lapprendre ý ceux qui lont. Cest le
travail des mÈdecins hospitaliers. Mais un jour, Patrick se voit dÈlÈguer
par un dispensaire cette t’che, ´ moment redoutÈ et redoutable pour
le mÈdecin ª. Le patient concernÈ, Romain, est un habituÈ du cabinet
de Patrick. PËre de famille, il va se remarier et cest lexamen
prÈnuptial qui rÈvËle sa sÈropositivitÈ. ´ CÈtait une situation
terrible - jen frissonne encore ª, se rappelle Patrick. Romain
ne rÈagit guËre. Sa future femme, sÈronÈgative, ´ ne paraissait pas
Ítre sur terre ª. Face ý cette absence de rÈactions, Patrick est dÈterminÈ
ý faire passer un simple message de prÈvention. ´ Jai dš Ítre
cru et dire : " Cest en baisant quon attrape Áa !
" ª En annonÁant la séropositivité de Romain en
prÈsence de sa future femme, Patrick sait quil transgresse le
secret mÈdical : pour lui, ne pas le faire aurait ÈtÈ un cas de non-assistance
ý personne en danger.
Par la suite, Patrick rencontre ses limites. Romain ne prend aucune
protection durant toutes les annÈes de son remariage, ni avec sa femme,
ni avec ses amours masculines. ´ Je lui ai rÈpÈtÈ des dizaines de
fois quil devait se protÈger, faire venir son ami chez moi.
ª En vain. Patrick na jamais su ce quÈtait devenu le compagnon
de son patient. Le patient est dÈcÈdÈ depuis. Ses enfants et petits-enfants
frÈquentent toujours le cabinet de Patrick. ´ Ont-ils jamais su quelle
Ètait la maladie de Romain ? ª Patrick, tenu par le secret mÈdical,
se demande sil devra leur dire. ´ Cest restÈ une ombre
dans leur famille - peut-Ítre est-ce aussi bien ? ª
Le
docteur Patrick rencontre des choix de vie tout aussi difficiles avec les toxicomanes. Eux
viennent presque toujours d'abord pour des mÈdicaments - le sida passe ensuite. ´ Cela
crÈe une relation trËs forte - on devient leur seul mÈdecin rÈfÈrent . ª Patrick
cherche ý instaurer un respect mutuel et refuse ´ les alibis pour se
shooter ª, que ce soit le dÈgošt de vivre, le dÈsir de crÈation artistique
ou le dÈsespoir liÈ ý la séropositivité. Professionnel,
Patrick t’che avant tout de lutter pour leur santÈ.
´ Donner la vie, cest la garder ª
Cest chez un ex-tox, sÈropositif, que Patrick
rencontre le dÈsir dÍtre pËre malgrÈ la maladie. ´ «a ma fascinÈ. Il
faisait cela en anticipant, dans lespoir quon trouve un remËde. Il ne se
jetait pas ý l'eau. ª Dailleurs, Nicolas tient au ´ risque
zÈro ª pour sa compagne, sÈronÈgative. Patrick a appris depuis que Nicolas allait
bientÙt Ítre pËre.
Plus tard, Patrick reÁoit la femme dun couple sÈropositif quil suit depuis
longtemps. Elle est enceinte. La question de lIVG (Interruption Volontaire de
Grossesse) se pose. A lÈpoque (au dÈbut des annÈes 90), le risque de transmission
ý lenfant Ètait ÈlevÈ, environ 25 %. Cest un risque Ènorme, en
contradiction avec lidÈe courante de ´ lenfant propre ª, c'est-ý-dire
dune naissance sans risque de malformation ou de maladie, gr’ce au dÈpistage
prÈnatal des anomalies. Patrick doute, en parle ý sa femme
Rester mÈdecin, et
conseiller. ´ Sur le plan mÈdical, il vaut mieux avorter. ª Mais sur le plan humain,
faire un enfant, cest une maniËre de dire : ´ Je vis, je ne suis pas en sursis, je
suis un Ítre humain. ª Patrick le sait aussi bien que la jeune femme, Viviane. ´ Donner
la vie, cest la garder. ª Patrick assure sa patiente que, quel que soit son choix,
il le respectera et la soutiendra comme mÈdecin. Il dit : ´ Une fois la dÈcision prise,
on ny reviendra plus. ª Une maniËre dÈviter les angoisses ý Viviane - et
ý lui-mÍme. ´ «ý ma coštÈ. Mais je ne pouvais pas labandonner. ª
Durant la grossesse, la mËre rayonne. ´ Un Èpanouissement fabuleux : je me suis dit
quelle avait eu raison. ª Le petit garÁon qui naÓt est malade. La mËre est
effondrÈe, lenfant a besoin de soins. Patrick laide, avec lÈquipe
mÈdicale et sociale. Il dÈclare Ítre toujours restÈ mÈdecin. Mais ´ la maternitÈ,
Áa a crÈÈ quelque chose, Áa nous a beaucoup rapprochÈs. ª Aujourdhui encore,
Patrick est Èmu ý chaque arrivÈe dun bilan hospitalier de lenfant. ´ Si un
jour le petit bonhomme part, ce sera trËs dur. ª
Le mÈdecin et la mort
Le docteur Patrick naime pas la mort, pas seulement
pour des raisons professionnelles. En tant que mÈdecin de ville, il na que rarement
eu ý accompagner les derniers instants de ses patients, qui ont lieu ý lhÙpital.
´ Cest une confrontation que je repousse ª, avoue-t-il. Bien sšr, ses patients
sÈropositifs lÈvoquent. Il essaie de les rassurer en sappuyant sur leurs
bilans. Mais il Èvite de parler de la mort. ´ Jai toujours ÈludÈ, pour
positiver. Tant pour eux que pour moi. ª
En revanche, la solitude des malades lui est familiËre. Il y a Jean-Claude,
quadragÈnaire sÈropositif, toxicomane, alcoolique, seul et dÈprimÈ, qui compose son
numÈro ý des heures indues : ´ Il ny a que vous que je peux appeler le soir
Je nose pas espÈrer que vous passiez dans le coin ? ª Cest pour Patrick une
relation compassionnelle difficile, qui demande une grande maÓtrise de soi, pour accepter
un discours morbide, Ètranger ý son optimisme dÈterminÈ. ´ Jean-Claude me remet en
question. ª
´ Banaliser le malade du sida ª
Patrick reconnaÓt que la rencontre de patients malades du
sida a changÈ quelque chose pour lui. ´ Cest une telle aventure, cette maladie. ª
Le docteur a appris a donner aux toxicomanes un meilleur accueil, enrichi par
lexpÈrience du rÈseau ville-hÙpital. Le suivi de la maternitÈ de Viviane
la incitÈ ý ´ mettre entre parenthËses ses pro pressentiments, accepter, rester
humble. ª
Cest parce quil est mÈdecin de ville que Patrick se sent la force
dassurer laccompagnement des malades. Gr’ce ý lexpÈrience du soutien
des patients dÈprimÈs, ý la connaissance des problËmes du quartier. Mais aussi parce
que le cadre dun cabinet ordinaire, avec sa salle dattente surchargÈe et son
docteur fatiguÈ, ´ banalise le malade du sida ª, le fait se sentir un patient comme les
autres. ´ Lý, il croise les enfants qui toussent, les jeunes venus pour un certificat de
sport, les vieux qui ont de la tension
ª Et si certains patients ´ ordinaires ª
sont choquÈs par les mauvaises maniËres dun tox, la mauvaise mine dun
sÈropo, Patrick aime prendre le temps de discuter avec eux en fin de journÈe, pour faire
rÈflÈchir. Faire accepter comme il la appris lui-mÍme.
Propos recueillis par
Laurent GERLAUD
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