DECEMBRE 1998

Papa,
n
e t'en va pas
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Virginie a appris la séropositivité de son pËre en 1997. Depuis, elle n’a de cesse de se battre pour lui et avec lui. Ce soutien qu’elle lui apporte reprÈsente aussi un moyen de le retrouver, de ´ reprendre sa place ª auprËs d’un pËre dont elle avait longtemps ÈtÈ ÈloignÈe.

Comment as-tu appris la sÈropositivitÈ de ton pËre ?

Entre huit et dix-huit ans, je n’ai pas vu papa. Mais, en 1997, le dÈcËs brutal de ma belle-mËre m’a interpellÈe. A cette Èpoque, papa est parti en Afrique centrale et, en cherchant dans les papiers, j’ai dÈcouvert un mot Ècrit de sa main o˜ il disait qu’il Ètait sÈropositif. Je l’ai appelÈ lý-bas et lui ai dit que je savais tout. A son retour, il m’a dit que son voyage avait ÈtÈ difficile car les gens lui avaient fait payer la mort de sa femme. Il m’a affirmÈ avoir une hÈpatite B et je lui ai rÈpondu que ce n’Ètait pas de cela qu’il s’agissait, que je savais ce qu’il avait et, en le regardant droit dans les yeux, je lui ai demandÈ s’il avait bien pris sa trithÈrapie lý-bas.

Lui en as-tu voulu ?

Quand j’ai su qu’il Ètait sÈropositif, sur le coup, dans les dix minutes qui ont suivi, je lui en ai voulu pour la vie qu’il avait menÈe pour en arriver lý. Avec le temps, je dÈcouvre que j’ai un pËre vraiment africain dans le sens o˜ il avait la nostalgie du pays et donc il ne pouvait pas Èchapper au dÈpart pour l’Afrique. En outre, c’Ètait un homme ý femmes. A mon sens le sida, c’est injuste, mais pour quelqu’un comme papa, si l’on considËre la faÁon dont il l’a attrapÈ, c’est effectivement la maladie de l’Amour, c’est une fin en soi, une boucle. En fait, il a vÈcu.

Quelles dÈcisions as-tu prises ?

Je lui ai dit que la maladie ne me faisait pas peur, que cela ne changerait rien dans nos rapports si ce n’est que je souhaitais le protÈger et Ítre encore plus prÈsente. A ce moment, j’ai dÈcidÈ de savoir ce qu’il en Ètait par rapport aux bilans mÈdicaux et aux mÈdicaments. J’ai pris la rÈsolution de l’aider ý mener une bataille o˜ je m’impliquais. Ma famille maternelle s’est engagÈe ý me suivre dans cette dÈmarche de soutien.

Quels sont les problËmes qui se posent ?

Actuellement, ce sont des problËmes avec d’autres membres de la famille de ma belle-mËre, liÈs au dÈcËs et aux biens. Moi, je veux qu’on laisse papa tranquille, sinon on me trouvera. Je ne peux pas empÍcher le sida, mais je serai lý et je ne permettrai pas qu’on lui fasse du mal car tout peut avoir un impact sur sa santÈ. Mais le problËme essentiel Ètait liÈ ý son suivi mÈdical et ý notre manque d’information sur son Ètat de santÈ. Il Ètait suivi en polyclinique et j’Ètais convaincue que ce service ne pouvait lui permettre de bÈnÈficier des soins appropriÈs.
Il a finalement intÈgrÈ le service hospitalier qui concernait sa pathologie et le professeur qui l’a pris en charge m’a entendue. Il a compris que je me sentais concernÈe et m’a fait comprendre, sans heurts, que je devais maintenir ma place de fille et que mon pËre devait dÈtenir le rÙle de dÈcideur. Il ne m’a cependant pas mise ý l’Ècart et avec ma famille maternelle, nous avons confiance.

T’es-tu sentie plus proche de ton pËre ?

Sa maladie m’a rapprochÈe de lui parce que j’avais peur de le perdre, mais, par-dessus tout, je me suis dit que dËs lors, c’est moi qui avais en charge mon papa. Je suis consciente qu’il y avait une jalousie non assouvie et, surtout, je le rÈcupÈrais. Il m’appartenait ý nouveau, je savais que j’aurais la fin, c’est dur mais c’est important. Je rÈtablissais, par sa maladie, la fragilitÈ, le lien cassÈ, l’amour galvaudÈ.

Tu auras la fin ?

Son dÈsir correspond au mien. Je ne voulais pas que l’Afrique le rÈcupËre, l’ensevelisse, c’est trop loin : je l’avais perdu une fois dans mon enfance et je ne voulais surtout pas le perdre une deuxiËme fois et dÈfinitivement. Lui aussi souhaite Ítre enterrÈ en France car il dit que, lý-bas, on oublie les gens et qu’ici il y aura moi et ses quatre autres enfants qu’il a eus avec ma belle-mËre. En plus, Áa le rassure de savoir que je m’occuperai de tout.

Que vivez-vous actuellement ?

On se voit, on mange ensemble avec mes frËres qui, dans mon esprit, ont cessÈ d'Ítre mes demi-frËres pour devenir mes petits frËres. Il continue de refuser d’en parler aux enfants, mÍme s’il est conscient de ce non-dit qui plane et de leur dÈsir de mettre des mots. On prend beaucoup de photos car papa en a envie.
MÍme si papa pense aux problËmes, il les a toujours survolÈs et je tente de lui faire prendre conscience des responsabilitÈs non assumÈes auparavant. Ainsi, il tente de rÈsoudre des problËmes administratifs et de s’occuper de papiers qui pourront apparaÓtre dans le futur, mÍme si le plus important pour lui est de vivre les moments et les plaisirs actuels.
Papa a Ègalement peur de la souffrance et du malaise des autres et parfois son propre mal-Ítre le rattrape par des actes autodestructeurs… Et j’ai peur… MalgrÈ tout, nous construisons des souvenirs.
Papa est nÈ pour s’Èvader, voyager, vivre pour lui. J’ai acceptÈ de ne pas avoir un papa prÈsent, paternisant. Il est comme il est et il arrive ý me faire sourire et ý me faire passer des choses en lesquelles je reconnais notre lien de pËre et fille. Je reprends ma place, mÍme si c’est tardivement.

Et l’avenir, comment le vois-tu ?

L’avenir, c’est qu’il me parle du passÈ, de son enfance, de nos racines africaines. Avec le temps, j’arrÍte de ´ broyer du noir ª et je recommence ý avoir de l’espoir. Je n’abandonnerai jamais papa, mais je t’cherai de moins tourner en rond, dans tous les sens, parce que j’ai mal et que Áa a souvent ÈtÈ l’unique moyen pour moi de fuir ma peur de le perdre. Gr’ce aux gens qui m’ont entourÈe et qui me soutiennent, j’aurai de l’Ènergie jusqu’au bout. Pour m’Èconomiser, j’arrÍte de me disperser dÈsespÈrÈment.
Il y a quelque temps, je me sentais partir, mourir. Je m’enfermais dans une solitude et j’ai ainsi frÙlÈ la rupture avec mon conjoint. Il se sentait exclu et m’a dit que, quand papa ne sera plus lý, lui sera toujours lý.
L’avenir pour moi, c’est quand l’attente d’un enfant m’apportera une renaissance. D’ailleurs, si c’est un garÁon, il portera le nom de papa et nous serons ainsi liÈs pour toujours.

De quoi as-tu pris conscience, au travers de cette Èpreuve ?

J’ai une famille et des amis qui ont toujours comblÈ quelque chose et leur prÈsence sera un trÈsor quand papa traversera des moments difficiles. Ils m’ont fait prendre conscience que je ne suis pas la seule ý perdre un papa et ý me sentir orpheline. Autre chose : malgrÈ le fait que j’en ai voulu ý papa d’avoir fondÈ une autre famille, je le remercie de m’avoir laissÈ quatre frËres : ils lui ressemblent tellement. Ils ont tous quelque chose qui lui
appartient : je le retrouverai dans ces quatre-lý.
Mais je ne pense pas trop ý la mort parce que je sais que je pourrai lui parler quand j’en aurai besoin et me recueillir sur sa tombe alors que, paradoxalement, vivant, papa a souvent ÈtÈ loin, inaccessible. MÍme si je ne suis pas fonciËrement croyante, pour moi, il y a un aprËs parce qu’il y a des choses et des gestes symboliques qui vous relient Èternellement.

Que t’a dÈjý apportÈ la confrontation avec la maladie ?

La maturitÈ, la motivation pour me battre. Je me sens prÍte ý aborder des choses et ý les assumer. «a m’a appris la patience, que je n’avais pas : pre n d re le temps, vivre, profiter, ne pas tout le temps me plaindre. «a me permet d’Ècouter les autres et de m’ouvrir ý toutes sortes de problËmes, de ne pas passer ý cÙtÈ des gens et de leur souffrance avec indiffÈrence. Je n’Ètais pas indiffÈrente, ce n’Ètait pas dans ma faÁon d’Ítre, mais encore moins maintenant.
Quand, professionnellement, je serai stabilisÈe et Èpanouie, que papa soit lý ou non, j’aurai du temps ý donner pour lutter contre le sida et certainement pour plein d'autres choses. Il y a plein de combats ý mener et je veux y prendre part.

Propos recueillis
par ValÈrie MOUNIER

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