- Une augmentation des graisses circulant dans le sang
peut survenir au cours du traitement par antiprotéase.
De plus, chez certaines personnes, le visage, les bras, les fesses
et les jambes maigrissent, tandis que le ventre prend du volume.
Cet effet secondaire concernerait 30 % des patients. Son mécanisme
est encore mal connu. Régime alimentaire et exercice physique
permettent souvent d'améliorer la situation.
-
- Les antiprotéases ont, par leur
efficacité, radicalement changé l'évolution
de l'infection à VIH. Cependant, au fil des mois de traitement,
on a vu apparaître un nouvel effet secondaire : il est
caractérisé par des modifications des taux de graisse
ou, parfois, de sucre dans le sang et, pour certaines personnes,
par une modification de l'aspect physique. Ce problème
a été abordé lors de la récente conférence
internationale sur le sida, à Genève. Il fait aussi
l'objet d'un chapitre dans les recommandations officielles françaises
concernant les traitements anti-VIH (*).
Certains prennent du
ventre
Chez certaines personnes en traitement, la graisse du visage,
des épaules, des bras, des fesses, des jambes fond, laissant
apparaître le réseau veineux des jambes, par exemple.
En revanche, la graisse située sous les abdominaux se
développe. Chez la femme, les seins peuvent également
grossir. Plus rarement, la graisse se loge à la base du
cou, en haut du dos (ce que les Américains appellent la
bosse de bison).
Ces symptômes sont appelés lipodystrophie (ce qui
signifie : troubles de répartition de la masse grasse).
Selon certains chercheurs, la lipodystrophie atteindrait 30 %
des personnes en traitement. Elle est présente à
des degrés divers d'un individu à l'autre et ne
s'accompagne pas obligatoirement d'une prise de poids. Chez certains,
la prise de graisse autour de la ceinture peut correspondre en
poids à la graisse perdue sur les membres et le visage.
D'autres ont même essentiellement fait l'expérience
d'une perte de graisse du visage, des membres et des fesses sans
compensation abdominale.
Hausse des graisses
dans le sang
On sait que des niveaux anormalement élevés de
graisses dans le sang (cholestérol et triglycérides),
pendant plusieurs années, peuvent contribuer à
l'obstruction des artères et engendrer des maladies cardio-vasculaires.
Ce risque est plus important lorsque cohabitent plusieurs facteurs
(comme le fait de fumer ou l'existence de problèmes cardiovasculaires
chez d'autres membres de la famille qui peuvent indiquer une
prédisposition à ce type de maladie). Mais il est
trop tôt pour connaître avec certitude l'impact à
long terme des traitements actuels sur le risque cardio-vasculaire.
Enfin, dans certains cas, assez rares, une élévation
très importante des triglycérides peut faire courir
le risque d'une pancréatite (inflammation grave du pancréas,
une glande du système digestif).
Sucre et insuline
Après un repas, le sucre présent dans les aliments
passe dans le sang. Puis, sous l'action de l'insuline, une hormone
produite par le pancréas, le sucre pénètre
dans certaines cellules de l'organisme (muscles, foie, cellules
graisseuses) où il sert de réserve d'énergie.
Au cours du traitement par antiprotéase, il semble que,
chez certains patients, le sucre pénètre moins
bien dans les muscles. Pour compenser, le pancréas produit
plus d'insuline. Le sucre est alors stocké dans les cellules
graisseuses. En résumé, on risque de perdre du
muscle et de gagner du gras. Afin de limiter ce phénomène,
il est conseillé d'adapter son alimentation (voir paragraphe
à ce sujet).
Ce trouble peut être détecté par une prise
de sang avec dosage de l'insuline (insulinémie) et du
sucre (glycémie), après avoir bu une solution de
glucose (sucre).
L'heure des hypothèses
Personne n'a bien sûr de réponses définitives
sur ces troubles d'apparition récente. On sait que l'infection
à VIH est responsable de différents troubles du
fonctionnement de l'organisme et notamment d'une augmentation
de la dépense d'énergie (c'est pour cela qu'on
conseille habituellement aux personnes séropositives de
manger abondamment). La mise en place d'un traitement anti-VIH
efficace modifie brutalement les besoins énergétiques
de l'organisme, ce qui entraîne probablement différents
bouleversements.
Mais les antiprotéases ont certainement une grande part
de responsabilité. En effet, de récentes études
montrent une nette prédominance de ces troubles chez les
personnes qui prennent ces médicaments. Ils peuvent survenir
avec toutes les antiprotéases actuellement disponibles
(Norvir, Crixivan, Invirase, Viracept). On ne sait pas encore
s'ils sont plus fréquents avec l'un ou l'autre de ces
médicaments. Les antiprotéases gêneraient-elles
certains mécanismes des cellules humaines ? Plusieurs
chercheurs étudient cette hypothèse.
Bon, soit. Alors, que
faire ?
Un régime approprié jumelé à de l'exercice
physique permet souvent d'améliorer certains problèmes
liés à la prise d'antiprotéase : trouble
de l'insuline ou du sucre, élévation des graisses
dans le sang, prise de poids abdominale. Cependant, pour être
efficace, ce programme doit être poursuivi de manière
régulière et durable.
- Adapter son alimentation
Limiter le plus possible les sucres à assimilation rapide
(desserts sucrés, confiseries, sodas) et les supprimer
totalement en dehors des repas. Leur substituer des sucres à
absorption lente : légumes secs et légumineuses
(lentilles, pois, fèves, haricots), céréales
(pain, pâtes, riz, etc.). En effet, plus la vitesse d'assimilation
d'un aliment sucré est grande, plus la sécrétion
d'insuline est importante et plus il y a de risque qu'il soit
stocké sous forme de graisse (voir p. 8: Sucres rapides
et sucres lents).
L'autre avantage des sucres à assimilation lente, c'est
de réduire, voire de supprimer les sensations de faim
et donc les grignotages entre les repas. En revanche, les sucres
rapides entraînent une hausse brutale, puis une forte baisse
du taux de sucre dans le sang qui pousse à la consommation
sans cesse renouvelée de sucre.
Il est également conseillé de réduire sa
consommation de corps gras, en particulier d'origine bovine (beurre,
crème fraîche, etc.). Il faut cependant conserver
une alimentation suffisante et équilibrée (voir
p. 22).
Faire de l'exercice
Faire un exercice physique régulier, sans s'épuiser
(vélo, natation, jogging, rameur, etc.) représente
une dépense énergétique importante : cette
énergie sera puisée en partie dans les réserves
graisseuses. Par ailleurs, un muscle régulièrement
entraîné accroît son réseau de vaisseaux
sanguins et augmente ainsi la quantité de sucre qu'il
est capable de capter dans le sang : c'est autant de sucre qui
sera « brûlé » par le muscle au lieu
d'être transformé en graisse.
Régulariser
insuline et sucre
Si, malgré un régime alimentaire et un exercice
physique appropriés, le taux d'insuline ou de sucre dans
le sang restent anormalement élevés, certains médecins
proposent un traitement par metformine (Glucophage LP 850, Stagid,
Glucinan). Ces médicaments sont habituellement utilisés
au cours de certains diabètes.
Des recherches récentes montrent que la metformine améliore
la captation du sucre par le muscle, un peu comme l'exercice
physique.
Médicaments
pour réduire les graisses
Il existe des médicaments destinés à faire
baisser le taux de graisse dans le sang (comme Zocor, Elisor,
Lipanthyl, Lipanor, etc.). Ils sont utilisés en prévention
des maladies cardio-vasculaires. On ne connaît pas encore
leur intérêt pour les personnes dont le taux de
graisse du sang s'élève au cours du traitement
par antiprotéase. Ils doivent en tout cas être employés
avec prudence, en raison des risques d'interaction avec les antiprotéases.
Aussi certains médecins préfèrent-ils prescrire
d'autres médicaments qui, bien qu'habituellement moins
efficaces, ne paraissent pas présenter les mêmes
risques : Médiator diminue l'absorption intestinale des
triglycérides et la fabrication par le foie de ces mêmes
graisses. Maxepa est composé de graisses contenues dans
les poissons gras : saumon, thon, hareng, etc. Les esquimaux,
qui consomment beaucoup de ces poissons, ont très peu
de maladies cardiovasculaires. Le Maxepa contribue à faire
baisser les triglycérides et à améliorer
le rapport bon/mauvais cholestérol. Il est conseillé
de le prendre pendant les repas.
- L'hormone de croissance
L'hormone de croissance permet d'augmenter la masse maigre (le
muscle) au détriment de la masse grasse. Aux Etats-Unis,
elle a fait l'objet de quelques expérimentations chez
des personnes souffrant de lipodystrophies importantes avec un
certain succès. En France, cette hormone très onéreuse
n'est à l'heure actuelle accessible que pour les enfants
atteints d'un déficit de la croissance. A de nombreuses
reprises, les associations de lutte contre le sida ont demandé
la mise en place d'essais chez les personnes séropositives,
mais ceux-ci n'ont toujours pas vu le jour.
La testostérone
La testostérone est une hormone sexuelle mâle (mais
elle joue également un rôle chez la femme, où
elle est présente en quantité beaucoup moins importante).
Les personnes vivant avec le VIH ont souvent des taux de testostérone
libre diminués (il est donc nécessaire de doser
la testostérone libre, et pas seulement la testostérone
totale).
Or, cette hormone joue un rôle important dans la constitution
de la masse maigre au détriment de la masse grasse. L'opportunité
d'une complémentation en testostérone peut être
discutée avec son médecin.
- Et si tout cela ne suffit
pas ?
Il arrive parfois que, malgré un régime alimentaire
approprié et de l'exercice physique, la situation ne s'améliore
pas. Si le bilan sanguin (graisses, sucre) ou l'aspect de votre
corps vous préoccupent au point que vous n'arriviez plus
à bien prendre votre traitement anti-VIH, il y a lieu
de discuter avec votre médecin de l'opportunité
de changer de traitement.
Des données récentes montrent l'efficacité
d'une nouvelle famille de médicaments (Sustiva, Viramune,
Rescriptor, voir p. 10 de ce numéro et p. 26 de Remaides
n° 28). Quelques personnes ayant une charge virale indétectable
sous trithérapie ont ainsi, en accord avec leur médecin,
remplacé l'antiprotéase par l'un de ces nouveaux
médicaments. Après plusieurs mois de recul (six
et plus), ceux qui ont fait cette permutation conservent une
charge virale indétectable. Cependant, on a encore peu
d'expérience avec ces médicaments et on ne connaît
pas leurs effets secondaires à long terme. Par ailleurs,
le changement de traitement ne dispense pas d'une alimentation
équilibrée et d'un peu d'exercice physique!
En conclusion
Ces troubles de répartition de la masse grasse ont pu,
dans un premier temps, être regardés par le corps
médical comme un simple préjucide esthétique,
dérisoire en contrepartie des vies épargnées.
Mais ce problème pourrait, s'il n'est pas géré,
entraîner, à terme, des complications et constituer
un nouvel écueil à l'adhésion des personnes
à leur traitement. Oui, on ne le dira jamais assez : qualité
de vie et observance (le fait de bien suivre son traitement)
sont étroitement liées!
-
- Gilles PERNET
-
- (*) Stratégies d'utilisation
des antirétroviraux dans l'infection par le VIH, rapport
1998, p. 63 à 66. Edité par Flammarion-Médecine-Sciences.
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