JUIN 1997
La prise d'un traitement anti-VIH immédiatement après un rapport sexuel à risque pourrait réduire le risque de contamination. Nous avons interrogé plus de vingt médecins hospitaliers, pour la plupart chefs de service, afin de connaître leurs points de vue et leurs attitudes face à cette situation.
Séronégatif: prendre
un traitement après une
 rupture de préservatif?

Chez les soignants exposés au VIH par piqûre, un traitement anti-VIH débuté dans les heures qui suivent réduit fortement le risque de contamination. Les recommandations officielles concernant ces&laqno;accidents d'exposition au sang&laqno;sont claires:
l il s'agit, dans un premier temps, d'évaluer le risque. Une pénétration profonde de sang dont la charge virale est élevée, avec une grosse aiguille, est à l'évidence plus à risque qu'une égratignure superficielle avec du sang contenant peu de virus;
l puis, en fonction de ce risque, on envisagera une bi ou une trithérapie pendant quatre semaines. L'instauration de ce traitement doit être la plus rapide possible: au mieux, dans les 4 heures. Après 48 heures, la plupart des médecins estiment qu'il est trop tard.
L'utilisation de l'AZT seul a montré une réduction importante du risque de contamination après piqûre. On peut donc espérer majorer cette efficacité par l'utilisation d'une bi ou trithérapie.
En revanche, il n'existe à l'heure actuelle ni étude, ni recommandation officielle concernant la rupture de préservatif chez un couple sérodifférent, ou les rapports sans préservatif.
 
Rapport à risque chez un couple sérodifférent, lorsque la personne séropositive a une charge virale élevée
 
Certaines études (qui restent à confirmer) indiquent que le sperme serait d'autant plus contaminant que la charge virale dans le sang est élevée. Un rapport non protégé avec une personne dont la charge virale est forte serait donc particulièrement à risque.
D'après notre enquête, il devrait être assez facile d'obtenir un traitement en se présentant rapidement à l'hôpital (voir encadré). La plupart des médecins interrogés (Cochin, Broussais, Bicêtre, Antoine-Béclère, Ambroise-Paré, Saint-Louis, Saint-Antoine, Laennec, Bichat, pour la région parisienne et Sainte-Marguerite à Marseille) traiteraient ces situations comme des accidents d'exposition au sang.
En général, il sera prescrit une bithérapie. Mais, en cas de rapport anal, vaginal en période de règles ou bien avec présence de lésions génitales, une trithérapie pourra être envisagée. Si la personne séropositive suit un traitement, celui qui sera proposé à son partenaire sera différent, afin d'éviter les risques de résistance.
Cependant, pour le Pr
Katlama de La Pitié-Salpêtrière:&laqno;Il n'y a pas de raison, dès lors que l'on prend la décision de traiter, de ne proposer qu'une bithérapie. Certes, une trithérapie est un traitement lourd. Le demandeur doit en être informé. Mais c'est à lui de choisir. Médicalement parlant, la bithérapie ne se justifie pas.&laqno;Les Prs Rozenbaum de
Rothschild (Paris), Massip du CHU de Toulouse et le Dr
Leibowitch de Raymond-Poincaré (Garches) ont une opinion similaire.
Il faut enfin savoir que la prise en charge n'est pas systématique: ainsi, le Pr Raffi de l'Hôtel-Dieu à Nantes et le Dr Favre du CHR de Rennes semblent plutôt réticents à la prescription d'un traitement, quelles que soient la charge virale et les circonstances de l'exposition sexuelle, faute d'étude prouvant l'intérêt d'un traitement dans ces conditions.
 
Rapport à risque chez un couple sérodifférent, lorsque la personne séropositive a une charge virale faible
 
Peu de médecins ont choisi de systématiser les traitements dans de telles situations car la plupart d'entre eux estiment que le risque de contamination est faible.
Certains y sont défavorables (les médecins interrogés à Cochin, Broussais, Bicêtre, La Pitié-Salpêtrière, pour la région parisienne, à l'Hôtel-Dieu de Nantes et au CHR de Rennes).
D'autres l'envisagent au cas par cas, selon les circonstances de&laqno;l'accident&laqno;(à Saint-Louis, Laennec, Bichat, Antoine-Béclère, Ambroise-Paré, pour la région parisienne et La Conception, à Marseille).
En revanche, les médecins interrogés à Saint-Antoine (Paris), Raymond-Poincaré (Garches), au CHU de Toulouse et à Sainte-Marguerite (Marseille) semblent favorables à un traitement dès lors qu'il y a un risque de contamination et ce, quel que soit le niveau de la charge virale.
Enfin, pour le Pr Vildé de Bichat&laqno;la notion de charge virale n'est pas un critère en pratique car elle est rarement accessible dans les minutes qui suivent la consultation. N'oublions pas qu'il s'agit d'une urgence thérapeutique. Si une personne a pris un risque avec un partenaire séropositif, je traite immédiatement, quitte à envisager un arrêt ultérieur du traitement si la charge virale du partenaire s'avère indétectable.»
 
Rapport à risque avec une personne dont la sérologie est inconnue
 
La plupart des médecins interrogés sont défavorables à la prescription d'un traitement. Ils estiment que le risque est très faible et craignent que cela ne conduise à une moindre utilisation du préservatif. Ils soulignent également le coût des traitements.
Néanmoins, les Prs Frottier (Saint-Antoine), Massip (CHU de Toulouse) et Gastaut (Sainte-Marguerite, à Marseille) envisagent le traitement lorsqu'il s'agit d'un rapport connu pour être particulièrement à risque (rapport anal entre homosexuels notamment). Pour le reste, ils estiment que l'attitude doit être discutée au cas par cas et avec la plus grande prudence, afin de limiter les dérives.
Le Dr Leibowitch (Raymond-Poincaré) pense, quant à lui, qu'il est du devoir du médecin de tout faire pour préserver la santé des personnes venant le solliciter:&laqno;S'il y a eu risque, peu importe qu'il soit faible ou élevé, je propose un traitement avec ce qu'il y a de mieux à l'heure actuelle: une trithérapie. La pilule du lendemain non seulement ne me choque pas, mais est incontournable. Le vrai problème est de déterminer qui doit payer.&laqno;Le Dr Leibowitch évoque l'hypothèse d'une contribution financière du patient.
Ce dernier point est également soulevé par les Prs Vildé de Bichat et Gallais de Marseille. Selon eux, une participation financière pourrait peut-être permettre de limiter les dérives et d'envisager un élargissement des prescriptions à tous les rapports potentiellement à risque.
On peut cependant s'interroger sur l'équité et sur l'efficacité d'une telle mesure...

Fabien SORDET

Après un risque, que faire?

Il faut faire vite. Nettoyer délicatement à l'eau tiède l'extérieur du vagin, de l'anus ou la verge, éventuellement avec un savon doux (ne pas frotter, ne pas utiliser de désinfectant: il ne faut pas créer d'irritation qui pourrait favoriser la pénétration du virus). Après un rapport bouche-sexe, cracher et se rincer la bouche à l'eau.

Appeler le médecin traitant de la personne séropositive. Il est d'ailleurs conseillé aux personnes séropositives d'aborder la question avec leur médecin, avant qu'un tel&laqno;accident&laqno;ne se produise. C'est lui qui sera le plus à même d'estimer le risque et, si nécessaire, de prescrire un traitement adapté.

A défaut, appeler Sida Info Service au 0800 840 800 (24 h / 24) afin d'évaluer le risque. Si une prise en charge médicale paraît nécessaire, téléphoner (même la nuit ou le week-end) au service de maladies infectieuses ou de médecine interne le plus proche. Expliquer la situation et s'assurer que la demande sera prise en considération.

Se présenter immédiatement dans ce service et demander à voir le médecin qu'on aura eu au téléphone. En revanche, éviter de se rendre aux urgences qui ne sont pas à même de répondre à ce problème.

Pour mener à bien cette étude, nous avons interrogé les médecins suivants:

Paris: Pr Frottier (Saint-Antoine), Prs Séréni et Sicard (Cochin), Pr Kazatchkine (Broussais), Pr Modaï (Saint-Louis), Pr Durand (Laennec), Pr Katlama (La Pitié-Salpétrière), Prs Vildé et Carbon (Bichat), Pr Rozenbaum (Rothschild);

Boulogne-Billancourt: Pr Rouveix (Ambroise-Paré);

Clamart: Pr Dormont (Antoine-Béclère);

Garches: Dr Leibowitch, service du Pr Perronne (Raymond-Poincaré);

Le Kremlin-Bicêtre: Dr Goujard, service du Pr Delfraissy (Bicêtre);

Toulouse: Pr Massip (CHU Purpan);

Marseille: Pr Gastaut (Sainte-Marguerite) et Pr Gallais (La Conception);

Nantes: Pr Raffi (Hôtel-Dieu);

Rennes: Dr Favre, service du Pr Cartier (CHR de Rennes).

Ces médecins nous ont fait part de leur opinion personnelle. Elle ne correspond pas à une position officielle de leur hôpital et n'est pas nécessairement partagée par tous les médecins du service. Nous les remercions d'avoir bien voulu répondre à nos questions.