PRATIQUE


 

Les urgences au cours de l'infection à VIH

 

 

Plusieurs exemples récents de négligence, tant de la part des médecins que de celle des patients séropositifs, conduisent à un constat : on n'est jamais mieux servi que par soi-même. La connaissance par le malade ou son entourage des principaux symptômes urgents devant l'amener à consulter dans les 24 heures pourrait éviter certaines situations catastrophiques, comme en témoignent les quatre exemples qui suiventä

 

Essouflement

Serge, séropositif depuis une dizaine d'années, asymptomatique en dehors de problèmes cutanés allergiques, d'infections ORL répétées (angines, otites, sinusitesä) et d'une intolérance à la ddC (Hivid®), part en vacances d'été dans le midi de la France. Il a moins de 10 T4 depuis 2 ans et prend dapsone + Malocide®. Il est discrètement fébrile (il a un peu de fièvre), 38° à 38°5, et il met cela sur le compte de l'opération pour sinusite chronique réalisée avec succès 6 semaines auparavant. En vacances, il se met à tousser de façon un peu insistante, une fièvre plus élevée s'installe, vers 39°, et surtout quelques jours après il devient essouflé, à l'effort - escaliers, marche rapide - puis au repos. Après une semaine d'aggravation progressive de ces symptômes, sans avoir consulté sur place ni fait de radiographie pulmonaire, il se résout à rentrer précipitamment à Paris. Directement de l'aéroport au service où il est suivi. Diagnostic immédiat : pneumocystose grave, et un passage en réanimation pour surveillance voire ventilation artificielle est même envisagé. Finalement, il s'en sortira sans séquelles après 10 jours à l'hôpital sous oxygène, Bactrim® et cortisone intraveineux. Il a senti la mort passer très près et sait qu'il a négligé un symptôme grave : l'essouflement.

 

Troubles visuels

Yasmina, séropositive asymptomatique depuis 7 ans, 40 T4, sous ddC et Bactrim®, mène à Rennes une vie privée et professionnelle tout à fait normales avec sa fille de 10 ans. Un beau jour, elle ressent des troubles visuels minimes : quelques mouches volantes devant un ¶il. Elle ne s'inquiète pas. Mais ces troubles réapparaissent 3 jours plus tard et deviennent permanents. Plus grave, elle constate un jour, au lever, un voile devant le même ¶il gauche, comme un rideau de théâtre abaissé devant la partie supérieure de son champ visuel. Elle envisage de consulter, mais son emploi du temps est très chargé en cette fin d'année scolaire. Les choses semblent se tasser. Trois semaines plus tard, elle se rend compte qu'elle ne voit plus du tout de son ¶il gauche et qu'elle a également des petits signes à droite. Elle panique et consulte en urgence le lendemain un ophtalmo : le décollement de rétine de l'¶il gauche est total et irréversible, et l'¶il encore fonctionnel présente plusieurs foyers de rétinite à CMV (cytomégalovirus). Un traitement biquotidien de ganciclovir (Cymévan®) est débuté en hospitalisation puis, après pose d'un cathéter central, à domicile. 15 jours plus tard, les lésions sont en voie de cicatrisation, mais elle sait que le mois de retard qu'elle a pris avant de consulter lui a fait perdre totalement la vision d'un ¶il. Elle a maintenant bien conscience qu'un traitement anti-CMV strictement suivi et une surveillance draconienne de son fond d'¶il devraient permettre, malgré les rechutes qu'elle sait possibles, de ne pas devenir aveugle.

 

Paralysie

Philippe, séropositif depuis 6 ans, présente depuis 18 mois des signes généraux - fatigue, perte de poids, muguet buccal, diarrhée - mais sans infection opportuniste caractérisée. 15 jours avant son départ pour les États-Unis, il a de la fièvre, sans autre symptôme : la prise de sang est inchangée (moins de 50 T4/mm3 depuis un an), le scanner cérébral, la radio pulmonaire et l'échographie abdominale sont normaux. Une fibroscopie bronchique est réalisée : pas de Pneumocystis carinii le soir même, mais en fait le lendemain il est averti de la présence de quelques parasites. Il prend donc du Bactrim®, mais 48 heures après, nouveau contre-ordre : c'était une erreur ! Arrêt du Bactrim®. Il n'est plus fébrile (il n'a plus de fièvre) jusqu'à la veille de son départ. Dans l'avion il a 39°, à l'arrivée 39°5, le lendemain 40°. Très faible, ni lui ni son ami ne veulent admettre que la moitié droite de son corps est partiellement paralysée. Quand il marche, il penche à droite lourdement. L'hémiplégie (paralysie de la moitié du corps) devient complète en 48 heures : il tombe dans la baignoire sans pouvoir se relever . Aux urgences de l'hôpital, le diagnostic de toxoplasmose cérébrale est confirmé par le scanner, avec un énorme abcès cérébral gauche. La paralysie régressera après 10 jours de traitement intraveineux puis oral (antibiotiques et cortisone) et une rééducation prolongée. Les erreurs auront été : du laboratoire qui a conduit à un traitement bref mais suffisant pour masquer la toxoplasmose ; du patient et de son entourage, de nier pendant plus de 48 heures la paralysie d'un côté du corps. Des séquelles auraient pu être définitives (boîterie, difficultés à la marche ou à l'écriture, raideurä).

 

Fièvre et cathéter

Greg, séropositif depuis 11 ans, ayant moins de 50 T4 depuis 18 mois, est malade du sida depuis un an : candidose ¶sophagienne, tuberculose pulmonaire et plus récemment rétinite à CMV. Il est sous ganciclovir (Cymévan®) en traitement d'entretien et complètement autonome depuis plusieurs mois pour ce qui concerne le maniement de son cathéter central : il pique lui-même sa chambre implantable tous les soirs et utilise un diffuseur portable (Intermate Baxter®) s'il a prévu de sortir chez des amis ou d'aller au cinéma. Peu avant Noël, il présente une fièvre à 38°5, le lendemain il est franchement fébrile à 40° et plus et il a des frissons intenses et répétés. Il prend rendez-vous avec son médecin hospitalier pour le lendemain. Autre fait à noter : lors de sa dernière perfusion, le rinçage et l'héparinisation (rinçage du cathéter avec de l'héparine) ont déclenché un grand frisson qui a duré 15 minutes. Son médecin lui demande une radio des poumons et une échographie de l'abdomen, et il rentre chez lui, épuisé. Dans la soirée, inquiet, il appelle un ami médecin qui immédiatement évoque le diagnostic de septicémie sur cathéter. Ni le médecin ni le patient n'y avaient pensé. Il lui recommande d'aller dans le service dès le lendemain matin, et de ne surtout pas utiliser le cathéter d'ici-là. Sa perfusion est faite ce soir-là sur une veine périphérique. Le lendemain, des hémocultures sont prélevées au bras et sur le cathéter, et des antibiotiques y sont injectés. Alors qu'il s'apprêtait à prendre le taxi à l'entrée de l'hôpital, il est pris d'un grand malaise et de frissons tellement intenses qu'un médecin présent évoque une crise d'épilepsie. Finalement, on l'amène à l'hôpital de jour d'où il sortait. Le « choc septique », forme gravissime d'infection bactérienne sévère, est évident et traité énergiquement. On décide de lui retirer le cathéter le lendemain matin après une nuit à l'hôpital sous antibiotiques intraveineux. Il en sort le surlendemain, à 37°, et reprend ses perfusions quotidiennes par les veines des bras jusqu'à la pose, 15 jours plus tard, d'un nouveau cathéter central. On ne l'y reprendra plus : fièvre élevée et frissons sur cathéter = septicémie jusqu'à preuve du contraire ! Il devient draconien avec l'asepsie pour manipuler son cathéter. C'est vrai qu'il a failli mourirä

 

Ne pas hésiter à consulter

Ces situations, dramatiques mais réelles, doivent être évitées. Aux médecins d'avoir une information et une formation continue de meilleure qualité, mais aux patients aussi d'être mieux informés, plus vigilants et de ne pas négliger des symptômes débutants voire flagrants. Dans tous les cas, mieux vaut consulter inutilement, pour une simple grippe par exemple, qu'hypothéquer sa santé !

Mais qui consulter ? Dans l'idéal, le médecin généraliste ou hospitalier qui vous suit et connait votre dossier. Ou un collègue du même service. La nuit ou le week-end, aux urgences de l'hôpital où vous êtes suivi si possible. Si vous êtes trop fatigué(e) pour vous déplacer, un taxi ou une ambulance peuvent vous y amener. Voire le SAMU si la situation l'impose (faire le 15). SOS médecins peut aussi être utile (c'est un service privé et ses interventions ne sont qu'en partie remboursées par la Sécurité sociale). Dans tous les cas, il est préférable de ne pas rester seul(e). À noter : urgences ophtalmologiques de l'Hôtel-Dieu 24h/24. Tél.: 42 34 80 36. Accueil : 1 place du Parvis Notre-Dame 75004 Paris).

Par ailleurs, disposer de la liste À JOUR de vos antécédents, principales affections opportunistes, derniers examens (chiffre de T4 notamment) et traitements en cours peut se révéler extrêmement utile et vous faire gagner du temps et de la salive ! Faites votre CV médical !

 

Le tableau qui suit indique les principaux symptômes qui doivent alerter. Attention, cette liste n'est pas exhaustive ! Bien entendu, chaque situation est particulière. La fièvre est très souvent associée à ces symptômes. Elle est définie par plus de 37°3 le matin et/ou plus de 37°8 le soir. Son degré et son caractère évolutif peuvent orienter déjà le diagnostic, ainsi que des frissons. En cas de fièvre nue (sans autre signe), des hémocultures (examens du sang, pour y détecter la présence de bactéries) et une batterie d'examens complémentaires seront demandés, en hospitalisation ou non selon l'urgence. Un traitement antibiotique à l'aveugle (sans cause prouvée) est rarement nécessaire sauf critère de gravité. À l'inverse des mesures symptomatiques (oxygène, perfusion, intubation, corticoïdes, Valium®ä) qui peuvent être mises en ¶uvre immédiatement si nécessaire.

Rappelons que l'EXAMEN CLINIQUE méticuleux par le médecin commence toujours par la recherche du diagnostique. Et suffit souvent à rassurer tout le monde !

 

René FROIDEVAUX

 


 

Tableau des urgences au cours de l'infection à VIH

 

 

Symptômes (avec ou sans fièvre)

Signes cliniques de gravité

Premiers examens (en plus du bilan biologique et si nécessaire des hémocultures)

Principales causes liées au VIH

Causes non spécifiques

Respiratoires :

Essouflement à l'effort, voire au repos. Crachat sanglant. Point de côté.

 

Cyanose : ongles, lèvres violets. Sueurs. Epuisement respiratoire

 

Radio thoracique face et profil. Fibroscopie bronchique avec lavage broncho-alvéolaire. Gaz du sang.

 

Pneumocystose Pneumonie bactérienne Tuberculose Kaposi pulmonaire. Pleurésie. Pneumothorax

 

Anémie. Embolie pulmonaire. Asthme. ëdème pulmonaire. Cancer pulmonaire.

Digestifs :

Difficultés à avaler, vomissements + ou - sanglants Selles sanglantes ou noires Douleurs abdominales

 

Déshydratation. Etat de choc. Hypotension artérielle. Anurie (pas d'urines).

 

Fibroscopie gastrique. Coloscopie. Examens de selles. Radios et échographie de l'abdomen.

 

Candidose ¶sophagienne. Colite infectieuse (CMV, clostridium, crypto/microsporidiose) Kaposi ou lymphome digestif. Pancréatite (ddI, pentamidine).

 

Ulcère gastrique. Urgences chirurgicales: appendicite, péritonite, cholecystite, fistule anale, occlusion intestinale...

Neurologiques :

Paralysie ou anesthésie d'un hémicorps. Perte de vision d'un côté.Crise d'épilepsie. Troubles de l'équilibre (paralysie faciale, tremblements permanents, ). Méningite = maux de tête, vomissements, fièvre.

 

Somnolence. Obnubilation. Coma.

 

Hypertension intracranienne = maux de tête + vomissements + vue double

 

Scanner cérébral. IRM.

Eventuellement : - Ponction lombaire. - EEG

Toxoplasmose cérébrale. Lymphome cérébral. Encéphalite (VIH, CMV, herpès). Polynévrite (VIH, antiviraux...). Polyradiculonévrite. Cryptococcose. Tuberculose. Méningite bactérienne.

 

Epilepsie. Accident vasculaire cérébral. Tumeur cérébrale.

Psychiatriques :

Tentative de suicide. Hallucinations. Etat maniaque. Delirium tremens.

 

Scanner cérébral

 

Dépression. Bouffée délirante. Intoxication (amphétamines, alcool)

 

Psychose maniaco-dépressive. Schizophrénie. Etat de manque (alcool, morphiniques)

Ophtalmologiques :

Tout trouble visuel. Kératoconjonctivite.

 

Corps volants. Mouches flottantes. Voile devant un ¶il.

 

Fond d'¶il. +++

 

Rétinite à CMV. Lésion cérébrale (toxo...). Uvéite. Zona. Herpès.

 

Conjonctivite banale (bactérienne ou allergique).

Cardiologiques :

Douleur thoracique. Essouflement.

 

Cyanose. ëdème pulmonaire.

 

Electrocardiogramme. Echographie cardiaque.

 

Péricardite (tuberculose...) Endocardite (usagers de drogues). Myocardite (VIH, médicaments).

 

Infarctus du myocarde. Hypertension artérielle.

Dermatologiques :

Purpura (petites tâches rouges, surtout aux membres inférieurs).

 

Numération formule sanguine. Chiffre de plaquette. Fond d'¶il.

 

Thrombopénie (baisse du nombre de plaquettes).

Allergiques :

Rougeur cutanée généralisée.ëdème du visage, de la gorge. Urticaire. Démangeaisons.

Signes respiratoires. Etat de choc. Hypotension artérielle.

Antibiotiques : sulfamides (Bactrim ++)

 

Alimentaire. Aspirine. Bêta-lactamines : Pénicilline, Clamoxyl, Augmentin...

Usagers de drogues intraveineuses

Coma + pupilles serrées + respiration lente = overdose

Abcès cutanés, septicémie, endocardite.

Porteurs de cathéter veineux central :

Fièvre élevée. Peau rouge. Douleur à l'emplacement du cathéter.

Frissons pendant la perfusion ou lors du rincage du cathéter. Etat de choc.

 

 

Hémocultures.

 

 

Septicémie sur cathéter

 

 

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