Vous avez la parole


Je pensais que ça n'arrivait qu'aux marginaux

 

 

Comme beaucoup de gens, je pensais que ça n'arrivait qu'aux autres, aux homos, aux marginaux. Pourtant, j'avais beaucoup d'amis homosexuels et plusieurs d'entre eux étaient morts du sida. Mais, en tant que femme menant une vie « normale », je me sentais protégée. C'est vraiment bête, ces idées-là, qu'on nous avait fourrées dans la tête.

Fin 1990, Bruno, avec qui je vis depuis plusieurs années, a donné son sang. C'est comme cela qu'il a appris qu'il était séropositif. On m'a conseillé de faire le test. Je suis sortie du centre de dépistage avec mes résultats. Il neigeait. Je me sentais complètement désemparée. On devrait mieux accompagner les gens à ce moment-là.

 

J'aurais préféré ne pas savoir

 

J'en ai voulu à Bruno. J'aurais préféré ne pas savoir. Cela m'aurait évité toutes ces angoisses, tous ces soucis. Je serais partie rapidement, un jour. Depuis l'annonce de ma séropositivité, je fais un blocage sexuel complet. Je refuse toute vie de femme. Mon corps n'a plus le désir de l'autre. Chaque rapport m'apporte des infections dues au manque d'envie, à ce mental si atteint. Je suis une « cérébrale ». Utérus et vagin se sont refermés comme un coquillage qui ne voudrait plus entendre l'appel du sexe et recevoir des ondes de plaisir. Mon corps, ne me parle plus de douleurs, de médicaments à prendre, de maladie mais parle moi d'amourä

J'ai consulté une psychologue, au centre de soins palliatifs de l'hôpital de l'Hôtel-Dieu, à Paris. Elle disait qu'il faut réapprendre à vivre, à se laisser caresser. J'ai cessé d'aller la voir le jour où j'ai compris que personne ne pourrait « porter » ma maladie à ma place et que, si je voulais survivre, il fallait que je me prenne en charge.

Heureusement, il y a beaucoup d'amour entre Bruno et moi, beaucoup de tendresse, de compréhension. Je ne pensais pas qu'une telle relation pouvait exister, qu'on pouvait dépasser le sexuel. On ne peut pas savoir qui a contaminé l'autre et c'est très bien comme ça.

Je trouve inadmissible que certaines personnes qui se savent séropositives ne le disent pas à celles avec qui elles ont des rapports et les contaminent. Je ne suis pas non plus d'accord avec les femmes séropositives qui font un enfant. Il risque de se retrouver malade ou orphelin.

Peut-être réagirais-je autrement si j'avais vingt ans. La question ne se pose plus pour moi. J'ai eu un retour d'âge précoce, en 1992. J'avais 48 ans. Cela s'est passé à la période où ma mère est morte. Je ne la voyais plus depuis un an. Elle passait son temps à me contrarier. J'étais séropositive, fatiguée ; je voulais me préserver. J'ai su qu'elle était malade quatre mois avant son décès. Je me suis beaucoup culpabilisée de ne pas avoir été plus présente auprès d'elle. Cela a été la grande chute de mes T4.

 

Médecin attentiste

 

J'ai longtemps été suivie à l'Hôtel-Dieu, par un médecin hématologue. Quand je suis arrivée à 170 T4, il m'a dit que ce devait être passager, qu'il fallait attendre pour voir si ça n'allait pas remonter. Au bilan suivant, 110 T4. Il a demandé un troisième bilan. 99 T4. Quand il a voulu en faire un quatrième, je n'ai pas pu m'empêcher de rire. J'ai commencé l'AZT à 89 T4. Les quinze premiers jours, j'ai eu des nausées, j'étais obligé de prendre du Primpéran. Ensuite, je l'ai bien supporté. Mes T4 sont remontés à 114, puis à 115. J'aurais voulu qu'ils augmentent plus. On m'a doublé les doses d'AZT. Je ne l'ai pas très bien supporté. Le médecin de l'Hôtel-Dieu ne m'expliquait pas grand chose. Il ne voulait pas non plus que mon généraliste renouvelle les ordonnances d'AZT, alors que cela m'aurait évité d'aller à l'hôpital et d'attendreä Ce généraliste est très bien. Il nous écoute, mon ami et moi et se tient informé des dernières découvertes. Voici quelques semaines, nous nous sommes décidés à changer d'hôpital. On devrait créer le guide « Gault et Millau » de l'hôpital : tant d'étoiles pour survies par an. Enlèvement d'étoiles pour nombreux décès dans l'annéeä

Ces dernières années, j'ai eu plusieurs problèmes avec les médecins. Un ophtalmologue que j'avais consulté, dans le privé, était mécontent parce qu'il allait devoir nettoyer tous ses appareils. Je lui ai demandé ce qu'il faisait, pour ses patients séropositifs qui ne le lui disaient pasä Il est très difficile de trouver un dentiste. Lorsque je lui ai dit que j'étais séropositive, ma gynécologue ne m'a pas dit qu'elle ne voulait plus me suivre. Mais elle a cessé de m'examiner. Résultat : j'avais une mycose, qui s'est aggravée. Une autre gynécologue que j'avais consultée à l'Hôtel-Dieu, a refusé de me donner une ordonnance à 100%. J'ai décidé de ne pas quitter son bureau jusqu'à ce que je l'obtienne. Elle a fini par céder. J'ai écrit au directeur de l'hôpital, qui m'a donné raison. Mais, dans cette lettre, je dénonçais un autre problème et, comme par hasard, suite à cela, mon dossier a disparuä Mon ami et moi ferons ce qu'il faut pour qu'ils le retrouvent ! Heureusement, il y a aussi des médecins qui font bien leur métier. Le tout, c'est de s'adresser à une bonne boutique !

 

Je suis révoltée

 

Tous ces grands professeurs, qui passent à la télé et ne prononcent jamais une parole optimisteä Ils ne veulent pas donner de faux espoirs. Mais un petit encouragement de temps en temps, ça ferait du bien ! Je suis très révoltée contre la maladie qui a gâché ma vie. Je la ressens comme une injustice. Pourquoi moi ? J'ai l'impression d'être punie pour quelque chose que je n'ai pas commis. Avant, j'étais très croyante. Depuis quelques mois, je ne crois plus en rien. Je ne peux plus prier. Avec toutes ces catastrophes dans le monde, comment penser qu'il y a un bon Dieu ? La foi, c'était comme une consolation, une bouée à laquelle se raccrocher. Je me retrouve avec un grand vide.

Je suis assez pessimiste. Bruno est plus calme, plus intérieur. Il m'épaule, il me remonte le moral. J'aimerais mieux partir la première. Je demanderais à des amis de s'occuper de lui. De son côté, il m'a dit que, si un jour j'allais trop mal, que je souffrais trop, il ferait quelque chose. Au début, ça m'a réconfortée. J'ai pensé que c'était une grande preuve d'amour. Maintenant, ça me fait un peu peur : et si, même très malade, j'avais envie de vivre ? Moi, je suis égoïste : je ne ferais pas la même chose pour lui. Je préférerais le garder avec moi, même s'il allait mal.

 

Je n'ai jamais été rejetée

 

En un sens, j'ai de la chance : je vis en couple et j'ai des amis. J'ai parlé de ma séropositivité au travail, à quelques collègues. Je n'ai jamais été rejetée. La journée mondiale du sida a été mémorable : lorsque j'ai pris mon poste, mes collègues arboraient un ruban rouge, paroles muettes de soutien, comme s'ils avaient voulu me montrer qu'ils étaient avec moi dans cette lutte. Maintenant, ces personnes viennent me voir, m'apportent des livres de la bibliothèque, me téléphonentä J'ai aussi annoncé ma séropositivité au médecin du travail et à l'assistante sociale, qui ont tout fait pour m'arranger. J'ai pu travailler à mi-temps, puis passer en longue maladie. Heureusement, je travaillais dans une grande institution, où les malades sont protégés.

Je l'ai aussi dit à mon frère et à sa famille. Ce ne sont pas des gens très instruits. Ils vivent en profonde Provence. Je ne me serais jamais attendue à une réaction pareille. Ils ont pris rendez-vous avec un médecin, qui leur a tout expliqué. Depuis, mon frère, qui ne me téléphonait jamais, m'appelle régulièrement.

Ce qui me gêne avec cette maladie, c'est que, recevant tant, je ne donne pas. Je voudrais aller visiter des malades, dans les hôpitaux. Mais je suis trop sensible. Lorsque j'allais voir mes amis, je leur prenais la main et je pleurais. Ça n'est pas d'un grand réconfort pour la personneä J'ai quand même fait de petites démarches. J'ai mis en relation l'association Sol En Si et le comité d'entreprise de la société où je travaillais.

Depuis plusieurs mois, je vais aux ateliers santé de AIDES. Avant, je ne voulais pas : je craignais d'être enfermée dans un ghetto. J'ai aussi peur de devenir amie avec des personnes séropositives, et de les perdre ensuite. Beaucoup de mes amis homosexuels sont décédés ces dernières annéesä

 

C'est un crime de s'aimer ?

 

Je ne supporte pas de vivre dans le mensonge. Avant, quand quelqu'un mourait du sida, on racontait que c'était un cancer. L'hypocrisie a changé. Maintenant, les médecins demandent : « Comment avez-vous été contaminée ? ». Comme si ça les regardaitä Souvent, les gens répondent : par transfusion. Même si ce n'est pas vrai. Moi je dis : par rapports sexuels. C'est un crime, de s'aimer ? Tout ce mensonge m'étouffe. Ce n'est pas comme ça que les choses avanceront !

Depuis quelque temps, j'ai un peu plus de sérénité. Je me dis que j'ai un peu de temps et que c'est bien d'en profiter. Si j'ai la chance de vieillir, j'achèterai une grande maison. J'y logerai gratuitement les animaux des personnes qui ne peuvent pas les garder, parce qu'elles sont hospitalisées ou décédées et j'y garderai tous les animaux abandonnésä C'est là mon rêve (finir entourée d'animaux familiers).

 

Maryse

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