"On s'accroche à la vie", m'avait dit mon parrain de AIDES avec un sourire si calme et si peu moralisateur, que je m'étais dit en faisant un rapide remake de la mienne complètement destroy, qu'il y avait là peut-être une pointe de vérité. La première phrase du premier jour de ma formation de volontaire prononcée par Jean-Claude B. fut : « être volontaire à Aides ce n'est pas un accompagnement à la mort c'est au contraire un accompagnement à la vie ». Toute ambiguïté était levée et suscitait dès lors une énigme : vivre avec, alors que la presse, les médias, nous bourraient le crâne du contraire.
En 1992, une éditrice m'a renvoyé un manuscrit que j'avais écrit en me disant hargneusement : « Guibert a clos le chapitre sur le sida ; et alors ma belle, la toxicomanie n'en parlons même pas, cela n'intéresse plus personne !ä Ça pour écrire vous savez écrire, vous êtes une très bonne romancière, mais vous savez, le sida, insista-t-elle, on en meurt, on en meurt vous savez ! ». Silence devant ma sidération, elle reprit : « Vous n'auriez pas quelque chose d'autre, de moins rebutant à me proposer ? ». Très peu de temps après, les vautours avaient déniché Cyril Collard qui a fait couler pas mal d'encre passant du statut d'ange à celui de démon.
Il était une fois
Génération soixantuitarde, baba cool, Mai 68, l'Inde, l'Asie, le voyage, la défonce, c'était beau comme dans le film « More » de Barbet Schroeder. L'aiguille était nickel et avait une odeur de révolteä Évidemment, je fonçais dedans, mes veines en prirent un coup, et les grains de poudre qui me débarrassaient de mon mal de vivre au début furent vite badigeonnés du mot galère.
S'en sortir, c'était le premier objectif de chaque toxicomane, pendant qu'il s'envoyait son shoot : « c'est le dernier, demain j'arrête ». Bonne parole, après avoir fait la queue dans un squat à dix sur une seringue ; puisque nos copains, les pharmaciens sympas, daignaient nous vendre au bout de la n-iéme boutique, le fameux vaccin antigrippe accompagné de la shooteuse. Entre l'aiguille commune et le Néocodion, notre santé vacillait et quand les premières rumeurs vinrent des States : sida-homos tombent comme des mouches, l'info était loin loin loinä
Alors vinrent les bons samaritains, genre Monsieur le Docteur Olivenstein à qui j'ai proposé plus tard mes services en le rencardant quand même que j'étais séropositive et qui m'a répondu texto de sa voix bourrue, qu'il n'en avait rien à foutre et que c'était mon problème.
Les docteurs qui ont bien voulu nous sauver nous proposèrent les sevrages de l'époque où l'on n'avait plus le droit d'écouter les Rolling Stones, des fois que ça nous remettrait dans l'ambiance.
Sortie d'affaire par un acharnement acharné, je n'avais qu'un seul désir : « être beau et con à la fois » c'est à dire être comme tout le monde : maison, bébés, amour, boulotä le rêve.
Bonheur
Et cela s'est passé comme dans ce rêve où mon corps a appris la vraie chaleur du soleil, la pluie qui mouille et autres broutilles comme d'acheter un disque, en m'étonnant que le vendeur me rende la monnaie. L'eau ne me faisait plus peur, la sueur puante du manque ne tombait plus glaciale sous mes aisselles, enfin le vrai froid, chaud, boire, manger, dormir, aimer enfin au naturel.
Le 8 Août 85 un enfant est né en pleine forme et il y avait même le papa qui allait avec. J'étais réconciliée avec la vie, j'avais quelqu'un au bout de mes doigts à aimer et il m'en fallait plein d'autres comme ça.
Super boom patatrac ! autour de mon bidon presque gros de 6 mois, un zona se développe en même temps qu'on commence à parler du VIH, et mon instinct me fait faire le test. Coup de fil du labo assassin pour m'annoncer sans ménagement - en m'engueulant - ma séropositivité.
Patratrac
Port Royal, service maternité, cinq minutes pour choisir, à l'époque 60 % de chances que le bébé soit infecté, on ne savait rien de rien et les médecins avaient un regard inquisiteur en me faisant comprendre que le garder était criminel. Douleur, affolement.
Alors moi je m'en foutais du VIH, fallait surtout pas en parler et naïvement on a pensé qu'on pourrait oublier, le passé de tox, le bébé raté, et que la science allait faire vite puisque dans un an, m'avait-on promis , on trouverait quelque chose : « c'était trop grave ».
Mais les années passent sur la déprime où je néglige le premier enfant, le mari et mon corps.
«Oubliez, me disaient les médecins, ayez une vie saine et vous vivrez comme tout le monde, vous ne tomberez pas malade». J'ai mis un scotch sur ma mémoire pendant des années. Mais le virus avait la santé, et fit quelques polyradiculonévrites qui me plantèrent sur une chaise roulante. Les kilos partaient, la faim aussi, la gueule des gens du quartier devant mon physique chamboulé ; que m'était-il arrivé ?
Le tournant
Bizarrement, j'ai réappris à vivre, en rencontrant des gens comme moi, après avoir écrit le livre que les éditeurs m'ont renvoyé en plein bide. Des amis sont partis, avec qui j'ai fait un bout de chemin.
Aujourd'hui la pluie tombe, il fait nuit dehors, le vent souffle et c'est comme cela que je pourrais commencer un nouveau roman, celui des gens qui vivent avec, pressés de tout, mais tremblant toujours un peu quand le téléphone sonne pour annoncer quelque chose qui fera de la peine.
Sale époque ? génération sidaä « pour l'instant vivez », m'a ordonné le docteur R. quand je lui réclamai le droit à la dignité, si jamaisä Il me répondit : « pour la qualité de la vie on verra plus tard ! ». Comment lui en vouloir, après toutes ces années d'études où on lui a dit qu'il allait soigner et guérir, alors qu'il voit les hôpitaux se remplir d'une clientèle nouvelle, jeune, et pas faite pour prendre des médics à 20, 30, 40 ans. Des malades qui veulent vivre coûte que coûte, sans s'effrayer de la blouse blanche.
Quelquefois j'enrage de voir des gens en bonne santé et ne rien faire de leur temps, alors que moi j'ai tant de choses encore à faire, vite, faire, écrire, témoigner, surtout ne pas oublier.
Savoir que pour nous un déjeuner de décalé, c'est toute une organisation à reconstruire, à articuler avec les rendez-vous des médecins, des labos, et surtout de la vie sentimentale tout en sachant que demain, on sera peut-être patraque, même si on nous croise avec le sempiternel « ça va ? » forcément on répondra que : « oui, ça va bien ! ».
Bonjour
Insomnies, 5 heures du mat', c'est là que je suis bien, tellement sereine, en pensant à mon programme de demain. J'ai l'impression de toucher la vie comme on soupèse sensuellement un tissu d'une inimaginable densité, entre mes deux doigts. Je ne dirais pas que le VIH rend heureux, mais sa perversion nous permet un fusionnement tellement profond et intime qu'il intensifie la sensualité à la vie. Ces courts moments valent le temps qu'on s'y fonde.
Le rituel veut ensuite que je ferme la fenêtre, je fais le tour de la maison, je recouvre mon fils, avec cet éternel tourbillonnement dans ma tête qui m'interroge, lui dire ou ne pas lui dire.
Le réveil sonne, petit déj', agitation, autour d'une vie aménagée comme celle de tout le monde mais si différente.
Christine WEINBERGER
Je survis avec le VIH depuis environ 5 ans. C'est pourtant peu de temps mais j'ai tout perdu. Je paye les erreurs de par la dope et d'avoir trop aimé les femmes. Je ne regrette rien. Vivre jeune, mourir vite !!
Les conséquences sur le plan personnel : quand je me réveille le matin, je suis mort. Professionnel : ambiance tendue. Côté amoureux, y'a plus rien. On ne gère pas sa relation avec le virus, c'est lui même qui nous gère, en ce qui me concerne.
Je hais toutes ces pubs qui nous font croire au bonheur, et nous ouvrent ces portes sur l'avenir.
Je remercie le gouvernement pour cette 3ème guerre (sang contaminé, prohibition de la dope, seringue interdite, et le manque de communication, information 10 ans après que le mal soit fait).
Alain
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