Vous avez la parole


Les gens du peuple

 

 

En 1990, j'ai donné mon sang. Comme j'avais une vie assez calme depuis plusieurs années, j'ai rempli le questionnaire sans inquiétude. Dix ou quinze jours plus tard, j'ai reçu une lettre me demandant d'aller me présenter à l'hôpital de l'Hôtel-Dieu. C'est là que j'ai appris ma séropositivité. J'ai eu l'impression que le médecin, sans me le dire clairement, me reprochait d'avoir failli contaminer des dizaines de personnes. En rentrant, je l'ai annoncé à Maryse, avec qui je vivais depuis un ou deux ans. Elle est allée faire le test. Elle aussi est séropositive. J'ai ensuite essayé de joindre des personnes avec qui j'avais eu des relations sexuelles ces dernières années, pour les prévenir.

 

C'est plutôt calme

 

Depuis que j'ai appris ma séropositivité, je ne vis plus, je survis. J'ai 38 ans et je n'ai plus vraiment de projets, sinon de partir en vacances de temps en temps. Je pense qu'à un moment, je tomberai malade. Je ne crois pas au médicament miracle. Mais je ne pense pas non plus tout le temps à la séropositivité. Je tâche de profiter des petits plaisirs de la vie, déguster un bon repas, regarder le ciel lorsque je me promèneä Avant, j'aurais cru que, si j'apprenais que j'étais contaminé, j'aurais envie de brûler la vie par les deux bouts. En fait, c'est plutôt calme. J'ai la chance d'être en ménage, d'avoir un travail, un logement. J'ai un fils, que j'avais eu avant d'être avec Maryse. J'aurai le sentiment de laisser une trace derrière moi.

Au début, Maryse pensait que c'était moi qui l'avait contaminée. Elle a arrêté de se poser la question. On ne sait pas et c'est bien comme ça. La séropositivité ne nous a pas éloignés. Nous étions déjà très proches. On s'épaule, on se soutient. Mais ça ne nous a pas rapprochés non plus. Dans notre vie sexuelle, il y a quelque chose de cassé. Nous n'avons plus de rapports. Mais je n'ai pas envie de consulter un psychologue. On voit assez de médecins comme ça !

 

Les dentistes, c'est la folie

 

Si j'avais été seul, je crois que je ne me serais pas fait suivre. Mais, à deux, c'est différent. Pendant cinq ans, on a vu le même médecin, à l'Hôtel-Dieu. Il commentait les analyses et c'était tout. Ma consultation la plus longue a dû durer dix ou douze minutes. Cela devrait faire partie de son travail, d'expliquer les choses, petit à petit. Nous sommes beaucoup plus proches de notre médecin de ville qui, par chance, s'intéresse au sida. Grâce à lui et aux ateliers santé de AIDES, nous avons pu en savoir un peu plus. D'ailleurs, nous avons récemment changé d'hôpital. Quant aux dentistes, c'est de la folie. Certains, même à l'hôpital, ont refusé de me soigner en raison de ma séropositivité. J'en ai vu d'autres, très bien mais trop chersä

Je n'ai parlé de ma séropositivité ni à mon travail, ni à ma famille. Je veux qu'on me considère comme un bien-portant. Je n'ai pas envie qu'on me plaigne. Mais je commence à avoir des difficultés professionnelles. Je dois m'absenter une fois par mois, pour les examens et autres petits tracas, m'arrêter tous les quatre mois, parce que je suis fatigué. On me demande ce qui se passe. J'ai un métier physique : je suis dans le bâtiment. Je me demande comment je vais faire, quand je n'aurai plus la force. Je n'ai pas envie de rester inactif. J'aimerais bien travailler à mi-temps mais je pense que ce n'est pas possible : l'entreprise est trop petite.

 

Dans les cafés, sur les chantiers

 

C'est vraiment un problème crucial, qui mériterait d'être débattu au niveau national. Pour les personnes qui ont un métier intellectuel, il est sans doute plus simple de continuer à travailler, à être autonome quand on est malade. C'est comme les émissions télévisées : on voit toujours des gens qui savent parler, qui ont de l'instruction. C'est très bien. Cela fait avancer l'information. Mais on ne voit pas de gens comme nous, des gens du peuple, des ouvriers, des petits Françaisä Nous avons pourtant des choses à dire, même si nous ne savons pas toujours bien les dire. Dans les cafés, sur les chantiers, les gens pensent que le sida ne les concerne pas. S'ils voyaient à la télé des gens comme eux, cela les aiderait peut-être à prendre conscience. On risque peut être de les affoler. Mais ça vaut mieux que d'être contaminé.

Une autre chose qui me frappe, c'est le peu de monde qui vient aux manifs. D'ailleurs, on n'en parle quasiment pas à la télévision. Même aux ateliers santé de AIDES, on est très peu nombreux. Si les gens atteints eux-mêmes ne se mobilisent pas pour quelque chose qui les concerne directement, je me demande comment les choses changeront !

En revanche, certaines associations sont très actives. Je les félicite. Cependant, on peut regretter qu'aucun homme politique n'ait inscrit dans son programme électoral le problème du sida à un rang honorable. Le combat contre le sida ne doit-il pas être aussi virulent que le virus lui-même ?

 

Bruno

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