Quelle est la réþexion d'un médecin qui suit des femmes séropositives désirant avoir un enfant ? Quelles sont les questions importantes qui se posent à ce moment-là ? Entretien avec le Dr Marie-Gisèle Lebrette, qui travaille à l'hôpital Rothschild, à Paris.
Quelles sont les principaux sujets que vous abordez avec une femme, un couple confrontés au VIH, qui désirent avoir un enfant ou s'interrogent à ce sujet ?
M-G L : Mon premier rôle consiste à écouter ce désir de grossesse ou d'enfant, à évaluer la situation où se trouve le couple. Il me faut ensuite répondre à ses questions, informer de manière aussi exacte et objective que possible. Les patientes commencent souvent par m'interroger sur le risque de contamination de l'enfant. Je leur réponds, en tenant compte de leur situation clinique et biologique. Nous parlons bien sûr de la récente étude sur l'AZT pendant la grossesse.
Je crois aussi qu'il est de mon devoir éthique de susciter ou d'accompagner une réþexion chez cette femme, chez ce couple. Nous sommes ainsi conduits à parler de sujets difÞciles. 15 à 20 % des enfants atteints par le VIH souffrent d'une forme sévère et précoce de sida, avec des atteintes neurologiques très importantes. Ils décèdent souvent avant l'âge de deux ans. C'est très dur pour les parents.
Dans le cas où l'enfant est atteint de la forme plus habituelle d'infection par le VIH, comparable à celle de l'adulte, il pourra mener une vie normale, au moins pendant plusieurs années. Mais il lui faudra prendre des traitements (Bactrim, AZTä) dès le diagnostic de contamination. Plus tard, il posera des questions, auxquelles ses parents devront répondre, sur ces médicaments et ce qu'ils signiÞent.
Nous sommes aussi amenés à parler de l'avenir de l'enfant, qu'il soit ou non atteint par le virus. Que se passera-t-il si sa mère ou son père est malade ? Si ses parents ne sont plus là, s'il se retrouve orphelin ? Certains couples ont déjà prévu cette éventualité et savent qui, dans leur famille, parmi leurs proches, s'occupera de l'enfant, si eux-mêmes ne peuvent plus le faire. Mais parfois, le couple, la femme n'ont parlé de leur séropositivité à personne. Je les encourage à se conÞer à l'un de leurs proches car il est important de pouvoir compter sur un soutien.
La situation peut être très difÞcile lorsque la découverte de la contamination par le VIH se fait en même temps que la grossesse, à l'occasion d'un bilan sanguin.
Que se passe-t-il pour un couple dont l'un des membres est séropositif et l'autre non ?
M-G L : Bien souvent, ces couples ont déjà réþéchi à cette question et sont très conscients du risque de contamination du partenaire, même au cours d'un rapport unique (au moment de l'ovulation). Lorsque l'homme est séronégatif, certaines femmes ont l'idée de recueillir son sperme.
Lorsque la femme est séronégative, il faut savoir que, si elle est contaminée pendant la conception, le risque d'infection par le VIH est très élevé chez l'enfant. Un couple où la femme n'est pas contaminée par le VIH peut s'adresser au CECOS (Centre d'études et de conservation du sperme humain), pour une insémination artiÞcielle. Le CECOS de Paris a déjà accepté de telles demandes. C'est une démarche qui dure au moins un an, avec de nombreux entretiens avec des médecins, des psychologuesä Ce parcours est le même pour tous les couples, qu'il soient ou non confrontés au VIH.
Quelle est votre attitude lorsqu'un couple concerné par le VIH décide d'avoir un enfant ?
M-G L : Une fois que la femme, que le couple ont pris leur décision, mon rôle est de les soutenir. Nous faisons en sorte que la grossesse se passe le plus normalement possible. La plupart du temps, elle se déroule bien et la femme éprouve un sentiment de plénitude pendant cette période. En revanche, elle peut éprouver une forte angoisse après la naissance, pendant les trois premiers mois nécessaires pour savoir si l'enfant est ou non contaminé.
Quelle est votre attitude par rapport à une femme qui choisit d'interrompre sa grossesse?
M-G L : Il peut parfois être difÞcile de faire le deuil de cet enfant, de ce désir de maternité. Je m'efforce d'apporter mon soutien, si la femme le souhaite. Si nécessaire, on peut proposer une aide psychologique, pour une démarche plus approfondie.
Dans tous les cas, mon rôle est d'informer, de ne pas juger et de soutenir la décision prise par la femme, quelle que soit cette décision.
Propos recueillis par Thierry PRESTEL .
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