En décembre 1992, au cours d'une émission télévisée, j'ai vu le Pr. Henrion, spécialiste du sida, à l'hôpital de Port-Royal. Je l'ai entendu dire que, d'ici un an, les femmes séropositives pourraient avoir un enfant sans risque de contaminer le f¶tus.
Suite à cette bonne nouvelle, j'ai pris rendez-vous avec lui : je voulais en savoir plus sur ce sujet, mieux connaître les progrès de la science. J'ai été le voir en janvier 93.
Il m'a reçue très froidement. Il m'a demandé depuis quand je savais que j'étais séropositive. J'ai répondu décembre 90. Il m'a demandé combien de T4 j'avais. À l'époque, j'en avais 170-180. Il m'a demandé si je me rendais compte de ce que je faisais. Il m'a dit : « c'est de la folie, de vouloir un enfant. Avec votre nombre de T4, il y a 98 % de risques de contamination. Avec aussi peu de défenses, vous risquez d'avoir une toxoplasmose pendant la grossesse, de ne même pas la mener à termeä».
Je n'étais pas venue pour cela, mais pour en savoir plus sur ce qu'il avait annoncé au cours de l'émission télévisée. Il a refusé de revenir sur ce sujet. Il a dit : « de toutes façons, ce n'est pas pour vous, c'est pour les femmes qui ont plus de 200 T4 ». Je me suis énervée, et, Þnalement, je suis sortie.
J'ai revu un peu plus tard mon médecin, le Pr. Kazatchkine, à Broussais. Henrion lui avait raconté notre rendez-vous. Kaza m'a un peu grondée, parce que je ne lui en avais pas parlé. Mais il comprenait que je désire un enfant. Il m'a dit : il faut en discuter avec la gynécologue du service.
Je l'ai d'abord vue seule, en mai. Elle m'a fait un frottis, et m'a demandé de bien réþéchir et de revenir avec mon compagnon, à la rentrée, en septembre.
Au cours de ce second rendez-vous, elle a été très sévère. Elle est rentrée dans le vif du sujet : si je suis fatiguée et que l'enfant brailleä Mon compagnon pourra-t-il s'occuper de l'enfant, si je suis malade ? Son travail le lui permettra-t-il ? Avons-nous de la famille qui puisse nous aider ? Sa famille et la mienne pourraient nous aider, mais elles ne sont pas au courant de ma séropositivité et ni lui ni moi ne souhaitons les en informer. Chez les Africains, le sida est très tabou. Le médecin nous a dit que, si l'enfant était malade, il serait très difÞcile de le cacherä
Elle a parlé de toutes ces choses auxquelles on ne pense pas, mais qui doivent être difÞciles à assumer..
Elle nous a donné deux mois pour réþéchir et, pendant ce temps, on a fait les examens nécessaires.
Nous voulions une insémination artiÞcielle, aÞn que mon compagnon ne prenne pas le risque de se contaminer, car il n'est pas séropositif.
Nous étions décidés à faire cet enfant. Mais mon ami a perdu son emploi, et moi, je n'avais toujours pas retrouvé de travail.
J'ai þippé. Je voulais avoir un enfant, mais pas dans des conditions difÞciles, en n'ayant pas de quoi acheter les couchesä
Plus tard, mon ami et moi nous sommes quittés. Ma soif d'enfant est toujours là. Mais je ne veux pas le faire seule : j'ai toujours souhaité que mon enfant ait un père, qu'il grandisse dans une famille. C'est encore plus vrai maintenant : si cet enfant risque d'être orphelin de mère, il faut qu'il y ait quelqu'un pour s'en occuper.
Mon médecin de ville me conseille d'attendre. Elle me dit que la science progresse, que je suis jeune, que j'ai 10 ans devant moi, que j'ai au moins jusqu'à 40 ans pour faire un enfantä Je vois bien qu'elle ne souhaite pas que j'aie d'enfant dans mon état actuel. Nous n'en parlons plus. On parle d'autre chose.
Au quotidien, c'est très difÞcile : je vois des amies qui allaitent leur bébé et je sais que cela, je ne pourrai jamais le faire, même si mon désir se concrétisait.
Des copines me plaisantent : qu'est-ce que tu attends pour en faire un ? Je fais des efforts pour qu'elles ne sachent pas ce que je vis, ce que je ressens. À l'exception de mon compagnon et d'un ami, mes proches ne savent pas que je suis séropositive. Je ne peux pas le leur dire.
A. S.
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