J'ai toujours du mal à apprécier un ouvrage sitôt qu'y affleurent régulièrement des expressions caractéristiques d'une spécialité, ici la psychanalyse, qui soit recouvrent un sens différent du sens commun, soit sont hermétiques pour le non-initié. Mais il est vrai que la collection dans laquelle paraît ce livre, « l'espace analytique », n'est pas ciblée vers le grand-public : ce livre est plutôt destiné à des professionnels qu'au vulgum pecus.
Néanmoins il touche, et dans tous les sens du terme.
Il touche droit à un point faible des états et sociétés dits modernes, par le constat du court-circuit institutionnel dont sont frappés la mort et le deuil. Ce sont les personnes concernées par le sida qui ont dû faire face - charge et chance - non seulement à l'urgence et l'exclusion sociale, mais aussi, au-delà de jugements moralistes à l'emporte-pièce, à l'exclusion qu'accomplit la mort même. Par delà une profession médicale qui ne se reconnait qu'une mission - guérir -, cette analyse frappe au niveau où la mort est un événement psychique et pas seulement l'ultime avatar biologique.
Il touche droit au c¶ur avec un fragment de la cure thérapeutique de Joseph, homosexuel séropositif, avec d'autres tranches de vies encore, soudainement oblitérées en plein développement, mais toujours en quête de sens. Séropositif, malade, thérapeute ou accompagnateur bénévole, qui se frotte à la mort plus qu'il n'est bienséant dans cette société, s'y pique en rencontrant ses derniers retranchements.
Sans oublier le « touché-coulé » de la loi d'indemnisation des hémophiles contaminés, calquée sur celle des victimes du terrorismeä
Le dernier chapitre, « le deuil impossible », nous apprend d'abord que les vies et ¶uvres de Van Gogh, Dali, Sabato, etc. se sont jouées sur le fond d'une lutte impossible contre un frère aîné décédé avant leur naissance et dont ils portent le prénom, sous le poids d'un double envahissant idéalisé par leurs parents. Certainement et très intéressant. Suit alors une analyse de l'avortement, comme « modalité du complexe de castration » : ma perplexité croît. J'ai l'impression que voilà la suite d'un autre livre. Réaliser le lien avec le deuil-sida est au-delà de mes capacités. S'agit-il de montrer, quelle que soit la situation sérologique mais à travers d'autres exemples extrêmes, la difficulté pour tout humain à vivre avec la mort, à mourir symboliquement pour vivre enfin ? Assez tordu.
DU SIDA, l'anticipation imaginaire de la mort et sa mise en discours ; Chantal Saint-Jarre ; éd. Denoël.
Sylvie DUGEAY.
Nous écrire